dimanche 12 octobre 2014

Alexis de Tocqueville (1835) DE LA DÉMOCRATIE EN AMÉRIQUE I, EXTRAIT



Les démocraties sont naturellement portées à concentrer toute la force sociale dans les mains du corps législatif. Celui-ci étant le pouvoir qui émane le plus directement du peuple, est aussi celui qui participe le plus de sa toute-puissance. On remarque donc en lui une tendance habituelle qui le porte à réunir toute espèce d'autorité dans son sein. Cette concentration des pouvoirs, en même temps qu'elle nuit singulièrement à la bonne conduite des affaires, fonde le despotisme de la majorité.

Les législateurs des États se sont fréquemment abandonnés à ces instincts de la démocratie; ceux de l'Union ont toujours courageusement lutté contre eux.

Dans les États, le pouvoir exécutif est remis aux mains d'un magistrat placé en apparence à côté de la législature, mais qui, en réalité, n'est qu'un agent aveugle et un instrument passif de ses volontés. 0ù puiserait-il sa force? Dans la durée des fonctions ? Il n'est, en général, nommé que pour une année. Dans ses prérogatives ? Il n'en a point pour ainsi dire. La législature peut le réduire à l'impuissance, en chargeant de l'exécution de ses lois des commissions spéciales prises dans son sein. Si elle le voulait, elle pourrait en quelque sorte l'annuler en lui retranchant son traitement.

La Constitution fédérale a concentré tous les droits du pouvoir exécutif, comme toute sa responsabilité, sur un seul homme. Elle a donné au Président quatre ans d'existence; elle lui a assuré, pendant toute la durée de sa magistrature, la jouissance de son traitement; elle lui a composé une clientèle et l'a armé d'un veto suspensif. En un mot, après avoir soigneusement tracé la sphère du pouvoir exécutif, elle a cherché à lui donner autant que possible, dans cette sphère, une position forte et libre.

Le pouvoir judiciaire est, de tous les pouvoirs, celui qui, dans les constitutions d'États, est resté le moins dépendant de la puissance législative.

Toutefois, dans tous les États, la législature est demeurée maîtresse de fixer les émo­lu­ments des juges, ce qui soumet nécessairement ces derniers à son influence immédiate.

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