COURS D'HISTOIRE DE LA PHILOSOPHIE ANTIQUE I
Dr. Ezouah Leon koffi
PARTIE I:
PLATON ET LA TRADITION IDEALISTE
DANS LA PENSEE PHILOSOPHIQUE
I.
Au fondement d’une pensée philosophique
fertile :
·
Le
mobilisme strict (Héraclite)
·
L’immobilisme
(Parménide) : le père de l’ontologie, le premier discours métaphysique
provient de lui. C’est lui qui pose la question de l’Être. Et trouvera écho et
relais de Platon à Heidegger en passant par Aristote. Chez lui il y a que deux
voix qui s’offrent à l’homme le voyageur au cœur de la connaissance. Il y a la
Vérité et l’opinion. La première mène vers l’Être qui seul est et la seconde
mène au non être, qui ne peut être connaître puisqu’il n’est pas.
L’Être
parménidéen a pour caractéristiques suivantes : inengendré, éternel
c’est-à-dire sans commencement ni fin, infini, indivisible et homogène,
immobile et sphérique et unité absolue. Il renferme en une seule réalité l’Etre
et la pensée qui a pour objet l’être.
·
Le
relativisme et le scepticisme absolu(les sophistes)
1. Le problème platonicien
La réflexion
philosophique de Platon prend forme à partir de problème politique d’Athènes.
L’œuvre de Platon est marque de part en part de son intention d’avoir un rôle
a joué dans les affaires publiques. Cela est depuis la naissance de la
philosophie une des préoccupations de ses prédécesseurs. Comme le fait
remarquer Gaston Maire, « les Grecs avait conçu l’idée du philosophe
législateur et chefs d’Etat» (Platon,
PUF, Paris, 1970, p.21). En effet, Pythagore et après lui ses disciples firent
figurent de réformateurs politique, Héraclite essaya d’instaurer en vain
l’aristocratie, Parménide paraissait pour un législateur. Dans ces conditions
Platon ne dérobe pas à cette tendance tracée déjà avant. En outre étant de
famille noble, il reçu une éducation qui l’y préparait. Dans la Lettre VII,
Platon y fait voir son intention d’entrer en politique depuis son jeune âge.
A coté de
cette déclaration d’intention, un autre évènement pousse le philosophe à faire
de la question politique la principale préoccupation philosophie. Il s’agit de
la condamnation à mort de son maître Socrate qui incarnait la justice qui
enseignait. La particularité de cette condamnation est de ce fut le fait de la
démocratie. Dès lors la question même de la justice, de la société juste se pose
à Platon. La solution que préconise-t-il est que pour rendre l’Etat juste, un
Etat conforme à la sagesse et à la vérité. Dans ce cas seul le philosophe en
ait capable, il doit donc régner. L’effectivité de cette entreprise nécessite
un travail de pédagogie et d’éducation à la sagesse et à la justice. C’est le
contenu de cette sagesse à inculquer aux citoyens qui donne naissance à la
pensée Platonicienne. La question de justice et de la vérité qui sera le
contenu de cette philosophie repose sur un postulat ontologique.
2. Le postulat ontologique de Platon
Par postulat
ontologique, nous entendons la détermination fondamentale de toute philosophie ;
l’appréhension et la signification de l’Être (tôôo
on)
dans un système ou une doctrine philosophique. Tout discours philosophique est en
effet un discours sur l’Être (tôôo
on),
quelque soit la conception que les différentes philosophies s’en font. Le
postulat ontologique est, en somme, la conception de l’Être, le contenu
herméneutique ontique que revêt un discours philosophique. Ici il s’agit de la
conception de départ de l’Être chez Platon, les présupposés ontologiques du
discours platonicien.
2.1. L’idée
comme source de l’herméneutique de l’Être chez Platon
Avant d’en
arrivée à aux questions de la justice et de la vérité qui constituent les éléments
axiomatiques de sa préoccupation politique, Platon au milieu des débats engagés
par Héraclite, Parménide et les Sophistes, opte pour l’Idée, comme seule vraie
lieu ontologique. Tout prend naissance à partir de sa conception de l’Idée.
C’est à partir de là que le système platonicien devient intelligible à lui-même.
Qu’est-ce que l’Idée? Quelle est la nature de l’Idée ? D’emblée, montrer
que l’idée est forme ; une forme intelligible, modèle de toutes, réalité
hors de portée de la sensation. L’idée fonde le phénomène et lui donne sens,
sens comme intelligibilité et comme orientation. L’idée est synonyme de « ousia », c’est-à-dire essence ou
nature des choses. Mais l’Idée platonicien ne se confond pas au concept. Le
concept résulte de l’acte de l’esprit qui connait les choses sensible. L’Idée
platonicienne est plus que le concept ; elle se tient en elle-même, elle
n’est pas une représentation de la réalité sensible dans l’esprit du sujet
pensant. Est-elle plutôt, le contenu indépendant et objectif du concept ;
l’essence objective que le concept atteint. Le mouvement est descendant. On
part de l’Idée pour saisir le concept qui est représentation.
L’Idée a trois caractéristiques[1] d’abord elle est éternelle et immuable.
Cette première caractéristique nous situe dans l’apriorisme. L’Idée ne dépend
pas de l’expérience qu’elle transcende. Elle est anté-expérience. Elle
existe depuis toujours et n’a pas besoin des choses pour être. Elle est
incomposée (cf. Phédon, 78, c) la nature incomposée de l’Idée justifie qu’elle
demeure identique à elle-même, perpétuellement inchangée en clair
immuable : « or, ce qui,
précisément, garde toujours les mêmes rapports et la même nature, n’est-ce pas
en cela que consiste principalement les choses incomposées?»[2](Phédon,
78,c). L’idée est l’en-soi, l’être en soi qui dans toutes les conditions reste
uniquement elle-même, « éternellement
unie à elle-même dans l’unicité de sa nature formelle » (Banquet,
211b). Par exemple l’Egale en soi, le Beau en soi, la réalité en soi de chaque
chose.
Ensuite l’idée est archétype, le
terme renvoie à deux compréhensions. La première signifie qu’elle est modèle
des êtres sensibles, les êtres pour soi, dont leur consistance n’est perçue
qu’à travers elle. L’idée pour cela archè, commencement ; commencement
comme origine et comme fondement. Elle est aussi forme ; la structure
d’unité des objets sensibles. C’est la nature formelle de toute chose. En tant
qu’archétype du sensible, l’idée est de l’ordre de l’universelle. C’est un principe
d’unification du multiple sensible où coïncide les contraire, le même et
l’autre, la semblable et la dissemblable, l’être et le non-être. Elle forme le
caractère commun des êtres en perpétuel mutation. Ainsi parmi les différentes
espèces d’objets beaux, l’idée du Beau vient comme une synthèse de leur
diversité différentielle. Pour cela l’idée est être général ou genre.
Enfin l’Idée est « nature, réalité consistante dotée de la plénitude de l’existence, Être
seul réel, parce que stable et un »[3].
Nature parce qu’elle est constitue ce qu’est véritablement les êtres, leur
définition, leur essence. Elle est donc ousia, principe et cause de toute chose.
Comme seul Être véritable, elle est fondement de tout existant.
L’Idée platonicien constitue en son sein une hiérarchie
à telle enseigne que passer sous silence cet aspect ce serait réduire l’Être
platonicien à l’Être parménidéen. Ainsi donc au sommet de l’Idée ou des idées,
il y a le Bien en soi (agaton).
Et selon Alain, « qui tient le
Platon des idées ne tient pas encore tout Platon comme on verra. Qui n’aperçoit
pas le Bien au-delà des idées perd même les idées.»[4].
Platon dans ses Définitions définit claire le Le Bien en ces termes :
« le Bien : la cause, pour les
êtres, de leur salut ; la cause en vertu de laquelle toute chose tend vers
sa propre réalisation, tendance de laquelle découlent les choix que nous devons
faire »[5](414e, 110). Le Bien en effet est le
principe suprême des idées, l’Idée par excellence. Il est la réalité de leur
réalité, la supra-réalité. Il est cause des idées car éminemment supérieur à leur
existence et à leur essence (République,
VI, 508, e). Les idées elles-mêmes ne sont pas intelligibles sans le Bien en
soi. Il représente leur détermination fondamentale et téléologique. L’Idée du Bien
comme l’Être des êtres éternelles et immuables a du point de vue de Platon un statu
divin, pour ne pas dire est presque dieu. Toutes les idées sont perçues par ce
Bien, proviennent de ce Bien en soi et retourne à lui. « Eh bien ! Pour les connaissables aussi,
ce n’est pas seulement, disons-le, d’être connus qu’ils doivent au Bien, mais
de lui ils reçoivent en outre et l’existence et l’essence, quoique le Bien ne
soit pas essence, mais qu’il soit encore au-delà de l’essence, surpassant
celle-ci en dignité et en pouvoir.» (République, 509b)
C’est
pourquoi Platon n’eut pas meilleur image que celui du soleil pour le
symboliser. « C’est le soleil que je dis être le rejeton du Bien, rejeton que le
Bien a justement engendré dans une relation semblable à la sienne propre :
exactement ce qu’il est lui-même dans le lieu intelligible, par rapport à
l’intelligence comme aux intelligibles, c’est cela qu’est le soleil dans le
lieu visible, par rapport à la vue comme par rapport aux visibles. » (République,
VI, 508c). L’idée du Bien est dès lors à la fois cause de la réalité et
du savoir. Elle a une fonction à la fois ontologique et épistémologique.
2.2.La vérité transcendantale
A partir du
postulat de l’Idée, Platon peut soutenir la possibilité d’atteindre la Vérité
comme réalité universelle qui surpasse les apparences sensibles et les
contingences subjectives. La Vérité selon Platon et contre les sophistes n’est
pas à la mesure et à condition humaine et des choses ; l’homme n’est pas
la mesure de la vérité comme son critère de validité. La vérité est une et
universelle c’est-à-dire inconditionnelle et éternelle parce qu’elle est Idée
et de se confond dans son absoluité à l’Idée où Réalité et essence
s’identifient et coïncident.
Platon
trouve donc une réponse révolutionnaire aux questions qui entraînaient le
scepticisme. Chaque chose est différente des autres choses. Ainsi le non-être
peut exister puisqu'il a l'être comme différence (comme autre) et par le fait
même, l'être n'est pas l'ensemble des choses mais chacune d'elles. Le mensonge
et l'erreur existent donc mais ils sont "ce qui ne doit pas être":
ils ne doivent surtout pas être enseignés comme la vérité.
La
philosophie menant à une vie heureuse, produit la connaissance vraie et
essentielle. Celle-ci, comme nous l'indique le Philèbe se résume en
l'unité de la beauté, de la symétrie (harmonie) et de la vérité. Nous voyons
que la méthode dialectique est la manière dont Platon aborde l'introspection et
la réforme des opinions et des préjugés inhérents à la vie humaine,
c'est-à-dire à son existence dans une cité. Il cherche avant tout à éviter le
scepticisme vis-à-vis l'état de la connaissance et de l'action humaine.
3. L’Être et la réalité : Compréhension de l’idéalisme Platonicien
comme réalisme
3.1 Le dualisme
Lorsque nous
partons de la nature de l’Idée, force est de reconnaître que Platon n’échappe à
la tentation d’un dualisme dans la tentative de surmonter le grave problème du
devenir et de la connaissance. La question de l’être et de la réalité prend
donc sens chez Platon dans un dualisme dynamique. Du point de vue l’être,
Platon trouve qu’il y a deux espèces d’être : il y a l’espèce intelligible et l’espèce visible (horaton)
(République, VI, 509d).
La première espèce c’est ce que la tradition retient de Platon : le monde
intelligible ou le monde des idées. Il faut souligner que les idées sont entre
elles en relation. Les idées sont hiérarchisées suivant leur généralité croissante et, par
conséquent, suivant leur portée ontologique. Elles sont en rapport de
dépendance, de causalité mais toutes orientées vers le plus Être, le Bien en
soi. Les idées sont
les seules objets de l’intellect humain, au-delà de toutes sensations,
au-dessus ou hors de portée de l’expérience péritiatique. C’est encore
le monde de l’être au sens parménidéen, où chaque idée demeure éternellement
dans son ipséité c’est-à-dire identique à elle-même ; les idées sont les
formes éternelles et immuables avions-nous mentionné plus haut.
A côté de ce
monde « a-péritiatique », non phénoménal, Platon reconnait l’existence
du monde sensible. Contrairement à l’opinion que l’on se fait de ce dualisme
platonicien qui dénierait l’existence aux choses sensibles qu’il nomme encore
espèce visible, Platon accorde une place à ceux-ci. Le monde sensible existe. C’est ici que l’on doit faire
remarquer que le terme exister, où être chez Platon signifie simplement être
sujet d’expérience de l’homme soit comme sensation soit comme intellection. Le
mode d’existence du monde sensible est différent du premier. Pour le cas du
monde sensible l’existence est reconnue au mouvement, au devenir mais seulement
comme illusion d’être. Dans l’absoluité de leur phénoménalité les êtres sensibles apparaissent
singuliers et multiples. Le monde sensible comme monde du devenir, changeant,
jamais stable, toujours mouvant, né d’un lieu défini pour disparaître ensuite,
accessible à l’opinion jointe à la sensation (Timée, 52a, Phèdre, 241c).
« En effet nous avons distingué deux sortes d’être, dit Platon, l’un était, par hypothèse, au rang de
modèles, intelligible et demeurant toujours identique ; imitation du
modèle, tel était le second, sujet du devenir et visible.» (Timée, 48e-49a)
Les espèces
visibles ou le monde sensible peuvent être objet de sensation à cause de leur
participation aux idées dont elles sont les copies. Il y a bien une distinction
ontologique entre ces deux espèces mais cette distinction se situe au niveau de
ce que Platon entend par Réalité.
3.2. Le réalisme platonicien
La réalité chez
Platon ne se confond pas avec l’existence sensible et palpable ; ce qui est
objet de sensation ou d’intuition sensible. La réalité renvoie à la vérité de chaque chose. Ce dont
l’on peut avoir non une vision mais une saisie intellective, et qui se ramène à
la connaissance. La réalité d’un être c’est sa nature perçue identique à
elle-même sous tous les rapports, son essence. La caractéristique du réel est
l’universalité, l’unicité, l’immuabilité. La conjonction de l’existence et
l’essence constitue ce qu’est la réalité platonicienne car c’est seulement de
cette conjonction que la connaissance est possible. Seule la réalité donc est
susceptible de connaissance. L’essence en effet qu’elle implique est le seul
élément qui rend capable la connaissance, l’épistémè. (République, 508e-509a). Le réalisme de Platon est par conséquent de
l’ordre de l’essence et s’applique ainsi à la seule espèce intelligible.
L’espèce visible est non réelle pour la simple raison que soumise au devenir,
les choses sensibles y figurent toujours en perpétuelle contradiction
d’elles-mêmes, en apparence illusoire. En somme, les idées sont donc plus
réelles que les espèces visibles ou le monde sensible. La réalité platonicienne
n’est pas phénoménale ou péritiatique ; est-elle intellective. « La réalité, te dis-je, qui réellement, est
sans couleur, sans forme, intangible ; objet de contemplation pour le
pilote seul de l’âme…mais le savoir qui a pour objet ce qui est réellement une
réalité.» (Phèdre, 247d,e).
4. De la valeur philosophique de l’allégorie de la caverne : théorie de
la connaissance Platonicienne
Le mythe ou l’allégorie de la caverne qui ouvre d’emblée le
livre VII de la République (République,
VII, 514a-521c) est une véritable théorie de la connaissance chez Platon.
La valeur philosophique d’une telle allégorie se mesure en effet dans sa conception
même de la connaissance, de l’acte de savoir dont elle fait montre. Cette
allégorie jette plus de lumière sur le postulat ontologique de Platon. Elle
permet de comprendre l’enjeu de la théorie des idées dans son rapport avec le
monde empirique. Ainsi la valeur philosophique de ce mythe peut être
appréhendée sur le plan de l’être et sur le plan de la connaissance.
4.1.Sur le plan de l’Etre : la participation
Le mythe de
la caverne montre que le dualisme opéré n’est pas absolu. Le mythe de la
caverne qui symbolise le monde sensible par les ombres projeté par le soleil,
traduit bien que le dualisme de Platon est hypothèse de travail à fin de réhabiliter
le monde sensible contrairement à Parménide. Platon en effet établit une
relation entre le monde des essences éternelles et immuables avec le monde du
devenir et de la contingence ; cette relation se saisie comme
participation. Bien que Platon ne s’étale pas beaucoup sur cette idée de la
participation, mais le concept de participation nous donne le statu ontologique
des réalités sensible chez lui. En effet, le monde sensible tire donc son
existence de celle qui en constitue l’essence comme paradigme. La participation peut renvoyer
soit à la cause soit à l’imitation comme une palle copie des vraies réalités.
Le statu ontologique des
choses sensibles reste par conséquent des êtres non-réalités au sens
platonicien du terme. Ceux-ci n’offrent qu’à l’occasion l’opinion ou la doxa
lorsque l’on veut en dire quelque chose.
L’Essence
quant à elle se trouve hors du temps et de l’espace. Elle ne peut être perçue
par aucun de nos sens, mais se révèle à la pensée en vertu de sa clarté
intrinsèque et de la distinction qui la délimite par rapport à toute autre
essence5.
Chaque essence possède une multiplicité de caractères ou propriétés
intelligibles, qui peuvent être analysés par la dialectique. Montrer le lien
nécessaire entre ces propriétés et l’essence, c’est ce que Platon appelle
« rendre compte » ou « raisonner sur la cause » ou la
connaissance.
4.2. Sur
le plan de la connaissance : l’épistémè est ousia, essence
Sur le plan
de la connaissance, le mythe de la caverne montre qu’il y a de véritable
connaissance que celle des formes éternelles et immuables. Ainsi donc la théorie des
Formes de Platon et sa théorie de la connaissance sont – selon le principe même
des idées – si étroitement liées qu’on doit les examiner simultanément. Selon Platon, toute connaissance
présente deux caractéristiques. Premièrement,
elle doit être certaine et infaillible. Deuxièmement,
elle doit avoir pour objet ce qui est vraiment réel par contraste avec ce qui
est seulement apparence. Ce qui est absolument réel étant immobile,
permanent et immuable, Platon identifie le réel connaissable, intelligible à la
sphère idéelle de l’être, la réalité en soi. Pour lui, donc, la thèse
empiriste, selon laquelle toute connaissance provient de l’expérience des sens
est condamnable : les
propositions découlant de l’expérience des sens ont, tout au plus, un certain
degré de probabilité. Elles ne sont pas certaines et véritables. De
plus, les objets de l’expérience sensible sont des phénomènes changeants du
monde physique. Ils ne constituent donc pas des objets appropriés de la
connaissance. Comme le montre bien l’allégorie de la caverne, ce sont des êtres
en deçà de la réalité voire illusion de réalité.
De même, au rang des représentations
subjectives à proscrire dans la connaissance, Platon place l’opinion. Les postulats
ou les affirmations touchant au monde physique ou visible, y compris les
observations du sens commun et les propositions en leur sujet, ne sont que des
opinions. Certaines de ces opinions sont bien fondées ; d’autres ne le sont pas
; mais aucune d’elles ne peut être considérée comme connaissance authentique. La connaissance constitue
un niveau plus élevé parce qu’elle met en jeu la pensée plutôt que l’expérience
sensible. La pensée doit être utilisée de façon appropriée. Elle mène à des
connaissances intellectuelles qui sont certaines et les objets de ces
connaissances intellectuelles sont les universaux permanents, les essences
éternelles qui constituent le monde réel perçu.
La
perception ne peut, par elle-même, constituer un fondement logique pour des
jugements scientifiques et pourtant c’est un fait que ceux-ci surgissent en
nous à l’occasion de la perception. Platon résout cette contradiction apparente
par sa théorie de l’anamnèse
ou réminiscence. Dans une existence pré-empirique, non corporelle, l’âme a
contemplé toutes les Idées ; à la naissance, le savoir qu’elle en
possédait est devenu latent, mais peut, de l’intérieur, retrouver son
actualité et redevenir pleinement conscient. Le Ménon (81c, 85ca-86c) en apporte une preuve : en posant à un
jeune esclave, qui n’a jamais appris la géométrie, une série de questions
graduées, Socrate arrive à lui faire trouver la réponse juste à un problème
donné, c’est-à-dire, soutient-il à la lui faire retrouver. En effet, ce
monde des essences, des réalités transcendantes, nous l’avons déjà connu, c’est
ce monde des « choses du ciel » où, dans les temps lointains, nos
âmes côtoyaient les dieux. Il s’agira donc pour nous de nous
« ressouvenir » de ce que nous avions oublié. La réminiscence est à la fois une réactivation d’un contenu latent et
un véritable apprentissage (mathèsis)
quand on rapporte ce souvenir à la conscience d’ignorance qui a précédé l’âme. Loin
d’être une recherche désordonnée au sein des souvenir, l’effort de remémoration
vise une vérité déjà possédée, laquelle oriente implicitement un tel effort.
La réminiscence est pour Platon non ressouvenir de
vérités dépendantes de l’âme, mais de vérité dont la connaissance comme telle
ne dépend pas d’une incarnation de l’âme dans tel ou tel corps particuliers ou
ayant vécu à un lieu ou à un moment de l’histoire. Ce sont des vérités
transhistoriques et anhistoriques, éternelles dont il s’agit chez Platon ;
une idée à ne pas occulté. Dans l’anamnèse, l’expérience joue le rôle d’excitant, et cela de deux
manières. D’une part dans la mesure où le concret est une image de l’Idée, il
en fait resurgir l’aperception. Dans la mesure où, d’autre part, il n’est est
qu’une image imparfaite et contient des contradictions, il éveille la
conscience de la transcendance de la Forme. Le sujet connaissant se rend compte
alors des déficiences de l’opinion et son savoir devient ainsi scientifique. L’essentiel de la théorie
de la connaissance est le processus de la « réminiscence ».
Ici il ne
faut pas oublié que la méthode adéquate pour parvenir à l’anamnèse ou à la
remémoration est la dialectique en sa double dimension socratique et platonicienne :
ironie et maïeutique selon Socrate et ascension ou élévation de l’âme chez
Platon même. Mais retenons ici la dialectique du connaître en sa trilogie.
4.2.1. La dialectique
du connaître : comment accéder à la vraie réalité ou aux essences
4.2.1.1 Les trois formes de la dialectique
La dialectique pour Platon est la méthode pour parvenir à
l’univers des formes- essences, le monde des Idées. C'est la méthode par
laquelle l’intellect s'élève jusqu'au monde des Idées dont elle est familière et
se meut dans ce monde. C'est le mouvement par lequel l'âme s'élève des choses
sensibles aux Idées, puis explore et contemple l’Idée en soi, le Bien et enfin,
redescends dans le monde sensible pour y exercer une activité morale et
politique. La dialectique revêt donc trois axes :
La dialectique ascendante : elle se dit encore l’anagogie
entendons par la montée vers les Idées. On analysera le passage de l'opinion au
savoir, de la philodoxie à la philosophie. Après avoir montré que ceux à qui il
faut confier le gouvernement de la cité sont les philosophes, Platon, à la fin
du livre V, 480,a de la République, distingue les philosophes des
non-philosophes, qu'il appelle les philodoxes : il définit très distinctement
l'opinion : « L'opinion est quelque
chose d'intermédiaire entre le savoir et l'ignorance. Elle ne porte ni sur
l'être véritable (Idées) ni sur ce qui n'est pas (le néant) mais sur quelque
chose qui est intermédiaire entre l'être et le néant : ce quelque chose c'est
le monde sensible ». Les hommes qui opinent perçoivent confusément
mais ne pensent pas. « Les
philodoxes sont ceux qui promènent leurs regards sur la multitude des choses
belles mais n'aperçoivent pas les Idées et ne peuvent suivre celui qui les
voudrait conduire à cette contemplation, qui voient la multitude des choses
justes sans voir la justice même, et ainsi du reste, ceux là opinent sur tout
mais ne connaissent rien de ce sur quoi il opinent ». L'opinion est
donc irréfléchie, incertaine, elle se fie aux apparences et elle y adhère sans
examen critique. L'opinion peut se trouver vrai mais c'est par hasard,
elle ne voit jamais les raisons qui la font vrai. Le savoir (épistémé)
C'est la connaissance philosophique des Idées, la seule connaissance véritable
selon Platon. Elle est élévation de l’opinion vers celles-là (les idées).
La dialectique contemplative (la Noésis) : C'est
le sommet de la dialectique ascendante, où l'âme contemple intuitivement les
Idées et entrevoit l’Idée absolue, le Bien. Cela signifie évidemment que
l'esprit perçoit immédiatement l'essentiel : c'est l’absolue intellection.
La dialectique descendante (la Diairésis) :
C'est le mouvement par lequel la pensée partant des Idées revient jusqu'au
monde sensible pour le dominer en y introduisant la rationalité. Dans cette dialectique
le monde sensible acquiert du sens car le philosophe y le rend à lui-même
l'intelligible à partir de ce qui à été vu là-haut lors de Noésis. Elle organise alors, en fonction de l'Idée du Bien la
conduite de chaque individu et de la Cité.
4.2.1.2. Les
degrés de la connaissance chez Platon
La
distinction entre le sensible et l'intelligible, du point de vue l’être, doit
se comprendre comme une séparation ; à cette séparation correspond une
hiérarchie épistémologique. L'opinion porte sur le monde sensible, et la
science est la connaissance des réalités intelligibles. Cette division de la
connaissance est exprimée par Platon au moyen de l'analogie de la ligne dans
La République, VI, 509 e-510c.
(Voir image ci-dessous)
(Source Encyclopédie
Wikipedia, article sur Platon)
Cette
représentation des degrés de la connaissance par une ligne a une portée à la
fois ontologique et épistémologique tout comme l’allégorie de la caverne:
l'âme, au contact d'une chose, se trouve affectée selon la nature de cette chose.
Il y aura donc autant de manières d'être affecté qu'il y ait de modes d'être,
et ces manières d'être affecté définissent des manières de parler d'un objet ou
de le penser. Les modes de connaissance et les espèces qui leur correspondent
sont décrits dans ce texte, à savoir : la conjecture (eikasa) porte sur les images et les illusions ; la croyance (pistis) porte sur les êtres vivants et les objets fabriqués ; la pensée porte sur les notions et les
nombres ; l'intellect porte sur
les Formes. Nous pouvons compléter cette liste avec l'ignorance, bien que ce ne soit pas même une connaissance :
l'ignorance correspond au non-être pour ainsi dire un non-savoir. L'opinion
(qui renferme la conjecture et la croyance) ne porte pas en elle-même son
critère de vérité et fausseté car étant un jugement sur des objets instables.
Les réalités
intelligibles sont-elles l'objet de la pensée et de l'intellect, et Platon les
désigne par le nom de science. La pensée correspond aux raisonnements
discursifs, se fondant sur des hypothèses, et elle comprend toutes les sciences
particulières, comme les mathématiques. L'intellect est au contraire une saisie de ce qui est, de
manière inconditionnelle, et cette intuition est donc la science par
excellence, que Platon nomme dialectique, c'est-à-dire la science des Formes et de leurs
rapports. À cette
Forme la plus haute de la connaissance, à proprement parler la seule connaissance vraie,
correspond l'activité par excellence de l'âme, qui est l'activité de l’intellect
L'analogie de
la ligne, répond ainsi aux questions de savoir ce qui est connu, et quels types
de connaissance correspondent aux différentes sortes de réalités connues. Mais,
il faut encore savoir quelles méthodes y correspondent et quelles sont les
facultés de l'âme qui permettent la connaissance. Les dialogues présentent
plusieurs moyens par lesquels il est possible d'acquérir un savoir, ou du moins
d'avancer dans l'initiation philosophique ; ce sont, en premier lieu, le ressouvenir,
la réfutation, et la dialectique, cette dernière n'étant rien d'autre que la philosophie
elle-même. Platon utilise par ailleurs plusieurs procédés d'exposition de sa
pensée, qui sont la dialectique, le mythe et le paradigme.
5.
De l’homme platonicien
5.1.Le dualisme en l’homme
Platon est le dualiste par excellence par sa conception des
deux espèces d’être et par distinction-séparation qu’il établit en l’homme :
le corps et l’âme où l’âme semble être emprisonnée dans le corps. La
philosophie consiste essentiellement en l'effort, pour délivrer l'âme du corps.
Cette délivrance ne viendra que d'une conversion radicale de l'âme aux Idées.
Qu'est ce qu'une conversion ? L'âme ou la pensée doit se détourner, se
désengager des biens exclusivement sensibles, matériels pour se tourner vers le
Bien intelligible, le Bien spirituel. Le mot grec pour dire conversion est
épistrophe, ou épistropho : tendre son esprit vers, être attentif à, se
convertir à. Bref, l'épistrophe détourne des biens trompeurs, des biens
spécieux, vers le Bien substantiel, essentiel et éternel. Pour parvenir à
cette conversion, une éducation est nécessaire. Elle peut être : une
éducation proprement philosophique (paideia) ( mythe de la ca verne,
République, livre 7) -une éducation mathématique,( République, livre 6 et
7) -une éducation érotique (Phèdre, Le Banquet)
5.2. L’immortalité de l’âme
Le mot « âme », en grec ψυχή, revient le
plus fréquemment dans les dialogues de Platon, en particulier dans Phèdre,
La République et Phédon. Dans les rares dialogues où il n'est pas
utilisé, on trouve constamment des discours y faisant allusion. Malgré
l'omniprésence de ce terme, Platon n'en a jamais fourni de signification
complète. En revanche, il en donne des descriptions abondantes et variées, qui
privilégient chacune telle ou telle qualité ou propriété. Ainsi, à défaut de
pouvoir fournir une définition précise de l'âme chez Platon, il est possible
d'établir une classification de ces descriptions. Certaines propriétés, semblent
toutefois plus indispensables que d'autres : c'est le cas de la conception
de l'âme comme principe du mouvement, et de la pensée : « Toute âme est immortelle. Tout ce qui se
meut soi-même est immortel » (Phèdre, 245c.) « Ce
qui porte le nom d'âme, quelle est la définition ? (...) le mouvement qui
est capable de se mouvoir lui-même » (Lois, X, 895 e-896a.)
Pour Platon, l'âme est un être proche des Idées, au divin,
qui a un mouvement propre. Et parce qu’elle est de nature semblable à celles-ci,
est-elle immortelle et se compose de trois puissances :
- l'épithumia (ἐπιθυμία), l'« appétit », élément concupiscible, désirant, le siège du désir (faim, sexualité), des passions.
- le thumos (θυμός), la « colère », élément irascible, agressif ; ce pourrait être traduit par « cœur » ; il est cette partie de l'âme susceptible d'emportement, de colère, de courage.
- le logistikon (λογιστικόν), le « raisonnable », ou esprit, élément rationnel, immortel, divin.
Platon
expose cette constitution « tripartite » de l'âme dans le Phèdre
et dans La République. Le noûs, ou la raison, en tant qu'il a
seul rapport à l'intelligible, est le plus noble des trois. Le second, c’est la
caractéristique de la volonté d'enrichissement personnel, de bonne réputation,
et des tentatives de prouesses qui en découlent. Il n'est utile que s'il se met
au service de l'élément raisonnable, afin de maîtriser le premier, qui mène au
vice. En d'autres termes, la vie bonne suppose que s'établisse, entre ces trois
parties de l'âme, une hiérarchie : le noûs gouverne le thumos,
qui gouverne l’épithumia.
Chacune de ces
parties possède ainsi une vertu, qui lui est propre : la sagesse pour l'esprit, le courage pour l'élément agressif, et la tempérance, pour l'élément désirant ;
l'harmonie de ces trois parties est la vertu de justice. La pensée de
Platon a également évolué[6].
Ce tripartisme remonte à Pythagore selon Diogène Laërce (VIII, 30). Platon croyait l'âme immortelle,
et chercha, sans prétendre pouvoir y parvenir, à le prouver dans le Phédon,
qui raconte le dernier jour de Socrate. Cette immortalité se lie à la thèse de
la migration des âmes et de leur purification après la mort, qu'il décrit dans
trois mythes, à la fin du Gorgias, de La République et du Phédon.
Platon admet cinq formes d'âmes : celles des dieux, des démons, des héros,
des habitants de l'Enfer, des humains (La République, III, 392a).
6.
La morale
Platonicienne : justice comme vertu principielle et première
6.1. De la vertu
Chez Platon la vraie nature de la vertu c’est la pensée et
l’exercice de la philosophie. Comme le souligne Monique Canto-Sperber, la réflexion
morale d’inspiration socratique, rapportée à la justification des actions et
aux meilleurs raisons d’agir, s’appuie chez Platon à une réflexion encore une
fois ontologique et épistémologique sur la nature même de l’âme immatérielle et
du monde. Parler donc de la vertu c’est en quelque sorte toucher l’essence de
l’âme. Cela est lié chez Platon. La morale est chez lui une science de la vertu
et par ricochet une étude de l’âme. Dans le Phédon la morale, est appréhendée
comme une ascension de l’âme du corps vers le divin, le Bien en soi. Il s’agit
donc d’une purification nécessaire de l’âme afin de la mettre à part du
corps : « de l’obliger à se
ramasser sur elle-même, entièrement détachée du corps, comme si elle l’était de
ses liens » (Phédon, 67c-d). Guider par la philosophie l’âme prend
alors « le divin pour spectacle et
pur aliment » afin de s’en voler vers ce qui lui est apparenté et
assorti. L’acte moral ou l’acte vertueux consiste donc à débarrasser des
pesanteurs du corps et plus encore à se débarrasser de l’humaine misère (Phédon 80d ; 84a-b).
Platon suggère que l’âme pour accéder au Bien doit faire
l’effort de remémoration (l’aspect épistémologique de la vertu) en vue de
parvenir progressivement au Bien. Le Bien est la forme suprême des formes, ou
la forme des formes, beauté suprême de la Beauté, l’ordre suprême, l’Harmonie
des harmonies et symétrique. L’âme vertueuse est celle qui s’attache à la
contemplation de ce Bien, condition de sa moralité. Le Bien constitue le but de
tout. L’éducation des âmes est de réaliser la ressemblance des âmes avec le
Bien. L’éducation doit accomplir cette indentification de l’âme avec le Bien
parce que l’homme doit reproduire en ses actes l’équivalent du Bien. En effet
dans le Philèbe Platon définit le
Bien comme la fin poursuivie dans toute activité dont la condition nécessaire
est « d’être parfait (telon/teleou) et même tout ce qu’il y a de plus parfait ».(Philèbe
20d) Ce Bien que tout le monde poursuit à pour spécificité d’être intégré dans
une vie humaine et qui lui donne le qualité de vie bonne et vertueuse.
6.2 LA justice comme harmonie de l’âme et de la cité
Selon la pensée morale antique, la justice est
essentiellement la vertu principielle de toutes les autres vertus. Dès
l’avènement de la démocratie athénienne, la justice fut considérée le principe
même de l’univers qui se maintient en ordre. Elle y est vue comme une harmonie,
harmonie qui est synonyme d'un autre concept central dans la pensée
rationaliste grecque : le Bien. La justice est encore perçue comme un
principe de concorde et comme une vertu partagée à la différence de vertus
individuelles comme la sagesse ou le courage. Dès lors, l’homme qui n’est pas vertueux
ne respecte donc pas son rôle dans l'univers et crée par là un déséquilibre
dans la Cité, l’espace de l'organisation humaine à l'image de celle du Cosmos.
Dans l’histoire de la philosophie grecque les sophistes seront les premiers à déranger
cette harmonie cosmique en enseignant que les lois morales sont artificielles,
qu’elles sont créées seulement pour assurer le bon fonctionnement de la
communauté. La justice est pour eux un instrument de pouvoir au service de la
Cité, elle n’a rien de transcendantale ni d’ontologique. Leur conception de la
justice sera critiquée par Socrate et qui influencera la conception de la
justice selon Platon.
Selon Socrate en effet, la justice peut être comparée à la médecine
qui consiste à prendre soin de la vie et la santé du corps. Cette métaphore assimile
le corps social au corps biologique. La justice est alors la préservation de la
santé de la société, la vertu par excellence[7],
étroitement liée à un autre concept idéal : l’éducation des citoyens. Si
la polis, en d’autres termes
le bon gouvernement de la Cité en est la condition, la justice est avant tout
une qualité individuelle : Il s'agit en effet d'une disposition
essentielle de l’âme, d'une vertu sans laquelle la société ne saurait être
juste. Comme faisant partie de l’âme, la justice n’est pas arbitraire et ni
subjective.
Dans La République, intitulée encore « De la
justice », Platon conçoit la justice à partir de cette compréhension
socratique. Ainsi, il met en parallèle la justice dans l’âme et justice dans la
polis. Il montre bien que la justice
de la partie (l’homme) est en parfaite symbiose avec la justice du tout, de
l’ensemble (la république). La partie et le tout sont en phase, ordonnés et
harmonieux. L'idée de justice, qui renvoie à l’ordre et à l’harmonie procède de
ce parallélisme. Dans la cité platonicienne, la justice est fondée sur
l'équilibre de trois parties sociales décrites dans La République : les philosophes qui dirigent la Cité, les guerriers qui la défendent et les artisans qui veillent à sa
prospérité. Une série de citation extrait du livre I de la République nous
permettra de mieux comprendre pourquoi Platon opte pour une acception d’ordre
et d’harmonie dans sa définition de la justice :
La justice n'est pas forcément dire la vérité : « Par exemple, si un homme atteint de folie
redemandait à son ami les armes qu'il lui a confiées dans le plein exercice de
sa raison, tout le monde convient qu'il ne faudrait pas les lui rendre, et
qu'il y aurait de l'injustice à le faire, comme à vouloir lui dire toute la
vérité dans l'état où il se trouve. La justice ne consiste donc pas précisément
à dire la vérité, et à rendre à chacun ce qui lui appartient. » (République, Livre I, 330c-331d)
La justice n'est pas faire du bien à ceux qu'on aime, et faire du mal aux
ennemis : « Si donc
quelqu’un dit que la justice consiste à rendre à chacun ce qu’on lui doit, et
s’il entend par là que l’homme juste doit du mal à ses ennemis comme il doit du
bien à ses amis, ce langage n’est pas celui d’un sage, car il n’est pas
conforme à la vérité : nous venons de voir que jamais il n’est juste de faire
du mal à personne. » (République,
Livre I, 331a.334e)
La justice est une vertu, l'injustice un vice : « Après que nous
fûmes tombés d’accord que la justice était vertu et habileté, et l’injustice
vice et ignorance » (République, Livre I, 336b.339ass)
L'injustice est moins avantageuse que la justice :
« Il est donc faux (…) que l’injustice soit plus avantageuse que la justice. » (République, Livre I, 344dss)
7. L’idéal politique platonicien
7.1. La politique comme ordre moral et comme éducation
La théorie des idées est présente de bout en bout dans toute
la pensée philosophique de Platon surtout à son point culminant qu’est la
politique. Il faut tenir compte de la
préséance de l’idée du BIEN et de l’idée de justice précédemment abordés. Ainsi
parler de la politique chez Platon tout en passant sous silence ces deux
notions clés c’est passer à coté de l’idée de politique chez Platon. Comment
alors s’articulent ses deux notions dans la philosophie politique de
Platon ? Nous devons également avoir en vue que le problème platonicien est
la quête de la cité juste.
Platon explique l’essence et l’objet de sa pensée politique à
l'aide d’un mythe dit de la marionnette au premier des Lois (I, 644d–645c). Ce mythe symbolise
l'homme comme une marionnette fabriquée par les dieux qui les tiennent par
des cordons ou des fils ; mais, la particularité de celles-ci est que, les
cordons qui aident à la manipuler, sont, dans le cas des hommes, à l'intérieur
du corps, parce qu'ils traduisent les affects de l’âme : plaisir, douleur,
crainte, et le Noûs par le raisonnement,
qui tirent les hommes en des directions contraires ; parmi ces affects,
celui du raisonnement est le plus faible. Ce mythe reprend les différents
mythes représentant l'âme comme une réalité composée de parties, qui ne sont
pas spontanément en harmonie. Cette représentation de l'homme comme une marionnette, c'est-à-dire
comme une réalité vivante, qui n'est pas, par nature, guidée par la raison,
justifie pour Platon le rôle de la politique : l'âme, a en effet besoin
d'être éduquée, pour être en mesure de réaliser son bien, et cette éducation
passe par les lois conçues comme un discours rationnel, que la cité adresse aux
citoyens.
Cette représentation
anthropologique explique donc que la recherche de la meilleure constitution
soit le principal souci de Platon : le but d'une cité bien constituée est
de faire mener à ses citoyens une vie conforme au bien, vie qui est une vie
heureuse, et qui ne peut se réaliser qu'en fonction de l'état de l'âme, et dans
le cadre d'une vie commune. L'âme est ainsi toujours la finalité des
spéculations de Platon, tant politiques que métaphysiques. Le point commun des
différentes réflexions politiques que l'on trouve dans les dialogues est la
question de savoir comment unifier la multiplicité des éléments, des fonctions
et des forces composant une cité, autrement dit la question de savoir ce que
doit être une vie commune. La
politique est alors conçue comme une technique qui, dans un territoire donné,
et face à des éléments hétérogènes, doit prendre soin de réaliser l'unité de la
cité, en la dotant d'un régime politique (politeia, également traduit
par constitution). Ce soin de l'unité, c'est la philosophie, et le
philosophe seulement qui est de droit à gouverner la cité et il doit gouverner
la cité.
La quête de ce régime politique
idéal constitue l'essentiel de La République et des Lois, en
outre les dialogues dits socratiques attestaient déjà la détermination politique
de Platon, puisqu'il y écrit des critiques virulentes à l’encontre des
sophistes, ces rhéteurs. Cette recherche écarte d'emblée toutes les formes de
cités existantes, tant démocratiques qu'aristocratiques : les discordes,
les dissensions, les désaccords qui marquent en effet les cités réelles,
dissensions entre des partis, entre des classes, sont aux yeux de Platon un
symptôme de corruption. L'on ne saurait
donc tenir pour politiques des régimes qui ne peuvent parvenir à faire vivre
ensemble des citoyens en fonction de la justice. La politique est éducation à
la justice.
Dans La République,
Socrate est engagé dans la recherche d'une définition de la justice. Cherchant
cette définition au niveau de la cité, il étudie la répartition des fonctions
en son sein, pour montrer que le meilleur régime ne dépend pas d’autres choses que
de l'exercice approprié de chaque fonction dans la cité, considérée comme un
tout. La cité juste est
ainsi composée de trois groupes, les
gouvernants, les gardiens ou soldats
et les paysans. À chaque groupe
correspond particulièrement une vertu, mais tous les groupes ne possèdent pas
seulement une seule et unique vertu : si les gouvernants possèdent la
vertu de sagesse, ils sont aussi tempérants et courageux ; les gardiens
sont courageux, mais également tempérants, et puisque les gouvernants sont
choisis dans ce groupe, les gardiens reçoivent aussi une éducation à la sagesse ;
enfin, les paysans ces producteurs, qui constituent le plus grand nombre des
citoyens, possèdent la vertu de tempérance.
Dans Les Lois,
Platon fait discuter plusieurs vieillards sur la valeur de la constitution de
plusieurs cités. Cherchant les meilleurs moyens d'inculquer les vertus, Platon
parle notamment des vertus éducatives de l'ivresse (Livre I).
7.2. Les régimes politiques dans la
perspective Platonicienne
Platon décrit la manière
dont on passe d'un régime politique à un autre (La République 545c–576b). Cet enchaînement n'a pas,
pour Platon, une valeur historique : comme dans le Timée, il s'agit
de présenter une succession essentiellement logique. Platon en distingue donc
cinq :
1.
l'aristocratie, le gouvernement des meilleurs. Il
correspond à l'idéal du « philosophe-roi », qui réunit pouvoir et
sagesse entre ses mains. Ce régime est suivi de quatre régimes
imparfaits :
2.
la timocratie ou timarchie, régime fondé sur l'honneur ;
3.
l'oligarchie, régime fondé sur les
richesses ;
4.
la démocratie, régime fondé sur l'égalité ;
5.
la tyrannie, régime fondé sur le désir ; ce
dernier régime marque la fin de la politique, puisqu'il abolit les lois.
Le déséquilibre dans les
cités, par lequel on passe d'un régime à un autre, correspond au déséquilibre
qui s'inscrit dans la hiérarchie entre les parties de l'âme. De même qu'une vie
juste suppose que le noûs gouverne le thumos, et que celui-ci
contrôle l’épithumia, la cité juste implique le gouvernement des
philosophes, dont le noûs, la raison, est la vertu essentielle. Au contraire, le régime
timocratique correspond au gouvernement du thumos, le courage et
l'ardeur guerrière, vertus essentielles des soldats, ou gardiens de la cité, et
le régime tyrannique à celui de l’épithumia : la tyrannie est donc
un régime où seules dominent les passions du tyran.
CONCLUSION
M. P.-M. SCHUHL à propos de l’importance de Platon écrit
ceci : « les autres philosophes
n’ont guère fait que mettre des notes de bas des pages de ses œuvres» tant
la pensée du fondateur de l’académie a touché la question fondamentale de la
réalité, la chose en soi. L’idéalisme platonicien trouve écho encore
aujourd’hui non seulement dans l’idéalisme romantique du XIX et XXème
siècle, mais lorsque la recherche de la vérité sort des méandres de l’opinion
pour toucher l’en-soi, la vraie réalité qui apparait toujours en situation
voilée qu’il faut pour l’atteindre l’ascèse, l’élévation de
l’intelligence : la dialectique. La dialectique comme quête de la chose en
soi, est aussi la capacité d’aimer le vrai.
[1] Nous
suivons ici la remarque de Gaston MAIRE, Platon,
PUF, 1970, p.33.
[2] Platon, Phédon, in œuvres complètes, trad. Léon ROBIN,
éd. Gallimard, Paris,1989, p.796.
[3] Gaston
MAIRE, op.cit., p.33.
[4] ALAIN, Idées, introduction à la philosophie,
Paul Hartmann, Paris, 1977.
[5] Platon, Définitions, in œuvres complètes,
op.cit., p.1398.
5 Comparez la
théorie cartésienne des « idées claires et distinctes ».
[6] Dans le Phédon
(vers 385 av. J.-C.), il admet une âme (65a,
77a, 80a, 105c) ; dans La République (vers 370 av. J.-C.), il
admet trois parties de l'âme (IV,
436-441) ; dans le Phèdre il fait une présentation imagée de
l'âme sous la forme d'un attelage, avec un cheval noir, qui représente la
partie désirante, un cheval blanc qui représente la partie irascible, et le
cocher qui représente l'esprit (246a,
253c) ; Platon, dans le Timée, à la fin de sa vie, admet trois
âmes (69c, 89e).
[7] Létitia
MOUZE, « La justice ou la nature des choses selon Platon » in La
Justice, p. 26-39.
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