jeudi 2 octobre 2014

PLATON ET LA TRADITION IDEALISTE DANS LA PENSEE PHILOSOPHIQUE






COURS D'HISTOIRE DE LA PHILOSOPHIE ANTIQUE I
                     Dr. Ezouah Leon koffi
PARTIE I:

 PLATON ET LA TRADITION IDEALISTE DANS LA PENSEE      PHILOSOPHIQUE



I.                   Au fondement d’une pensée philosophique fertile :

·         Le mobilisme strict (Héraclite)
·         L’immobilisme (Parménide) : le père de l’ontologie, le premier discours métaphysique provient de lui. C’est lui qui pose la question de l’Être. Et trouvera écho et relais de Platon à Heidegger en passant par Aristote. Chez lui il y a que deux voix qui s’offrent à l’homme le voyageur au cœur de la connaissance. Il y a la Vérité et l’opinion. La première mène vers l’Être qui seul est et la seconde mène au non être, qui ne peut être connaître puisqu’il n’est pas.
L’Être parménidéen a pour caractéristiques suivantes : inengendré, éternel c’est-à-dire sans commencement ni fin, infini, indivisible et homogène, immobile et sphérique et unité absolue. Il renferme en une seule réalité l’Etre et la pensée qui a pour objet l’être. 
·         Le relativisme et le scepticisme absolu(les sophistes)



 


1.       Le problème platonicien
La réflexion philosophique de Platon prend forme à partir de problème politique d’Athènes. L’œuvre de Platon est marque de part en part de son intention d’avoir un rôle a joué dans les affaires publiques. Cela est depuis la naissance de la philosophie une des préoccupations de ses prédécesseurs. Comme le fait remarquer Gaston Maire, « les Grecs avait conçu l’idée du philosophe législateur et chefs d’Etat» (Platon, PUF, Paris, 1970, p.21). En effet, Pythagore et après lui ses disciples firent figurent de réformateurs politique, Héraclite essaya d’instaurer en vain l’aristocratie, Parménide paraissait pour un législateur. Dans ces conditions Platon ne dérobe pas à cette tendance tracée déjà avant. En outre étant de famille noble, il reçu une éducation qui l’y préparait. Dans la Lettre VII, Platon y fait voir son intention d’entrer en politique depuis son jeune âge.
A coté de cette déclaration d’intention, un autre évènement pousse le philosophe à faire de la question politique la principale préoccupation philosophie. Il s’agit de la condamnation à mort de son maître Socrate qui incarnait la justice qui enseignait. La particularité de cette condamnation est de ce fut le fait de la démocratie. Dès lors la question même de la justice, de la société juste se pose à Platon. La solution que préconise-t-il est que pour rendre l’Etat juste, un Etat conforme à la sagesse et à la vérité. Dans ce cas seul le philosophe en ait capable, il doit donc régner. L’effectivité de cette entreprise nécessite un travail de pédagogie et d’éducation à la sagesse et à la justice. C’est le contenu de cette sagesse à inculquer aux citoyens qui donne naissance à la pensée Platonicienne. La question de justice et de la vérité qui sera le contenu de cette philosophie repose sur un postulat ontologique.
2.      Le postulat ontologique de Platon
Par postulat ontologique, nous entendons la détermination fondamentale de toute philosophie ; l’appréhension et la signification de l’Être (tôôo on) dans un système ou une doctrine philosophique. Tout discours philosophique est en effet un discours sur l’Être (tôôo on), quelque soit la conception que les différentes philosophies s’en font. Le postulat ontologique est, en somme, la conception de l’Être, le contenu herméneutique ontique que revêt un discours philosophique. Ici il s’agit de la conception de départ de l’Être chez Platon, les présupposés ontologiques du discours platonicien.
2.1. L’idée comme source de l’herméneutique de l’Être chez Platon
Avant d’en arrivée à aux questions de la justice et de la vérité qui constituent les éléments axiomatiques de sa préoccupation politique, Platon au milieu des débats engagés par Héraclite, Parménide et les Sophistes, opte pour l’Idée, comme seule vraie lieu ontologique. Tout prend naissance à partir de sa conception de l’Idée. C’est à partir de là que le système platonicien devient intelligible à lui-même. Qu’est-ce que l’Idée? Quelle est la nature de l’Idée ? D’emblée, montrer que l’idée est forme ; une forme intelligible, modèle de toutes, réalité hors de portée de la sensation. L’idée fonde le phénomène et lui donne sens, sens comme intelligibilité et comme orientation. L’idée est synonyme de « ousia », c’est-à-dire essence ou nature des choses. Mais l’Idée platonicien ne se confond pas au concept. Le concept résulte de l’acte de l’esprit qui connait les choses sensible. L’Idée platonicienne est plus que le concept ; elle se tient en elle-même, elle n’est pas une représentation de la réalité sensible dans l’esprit du sujet pensant. Est-elle plutôt, le contenu indépendant et objectif du concept ; l’essence objective que le concept atteint. Le mouvement est descendant. On part de l’Idée pour saisir le concept qui est représentation.
L’Idée a trois caractéristiques[1] d’abord elle est éternelle et immuable. Cette première caractéristique nous situe dans l’apriorisme. L’Idée ne dépend pas de l’expérience qu’elle transcende. Elle est anté-expérience. Elle existe depuis toujours et n’a pas besoin des choses pour être. Elle est incomposée (cf. Phédon, 78, c) la nature incomposée de l’Idée justifie qu’elle demeure identique à elle-même, perpétuellement inchangée en clair immuable : « or, ce qui, précisément, garde toujours les mêmes rapports et la même nature, n’est-ce pas en cela que consiste principalement les choses incomposées?»[2](Phédon, 78,c). L’idée est l’en-soi, l’être en soi qui dans toutes les conditions reste uniquement elle-même, « éternellement unie à elle-même dans l’unicité de sa nature formelle » (Banquet, 211b). Par exemple l’Egale en soi, le Beau en soi, la réalité en soi de chaque chose.
Ensuite l’idée est archétype, le terme renvoie à deux compréhensions. La première signifie qu’elle est modèle des êtres sensibles, les êtres pour soi, dont leur consistance n’est perçue qu’à travers elle. L’idée pour cela archè, commencement ; commencement comme origine et comme fondement. Elle est aussi forme ; la structure d’unité des objets sensibles. C’est la nature formelle de toute chose. En tant qu’archétype du sensible, l’idée est de l’ordre de l’universelle. C’est un principe d’unification du multiple sensible où coïncide les contraire, le même et l’autre, la semblable et la dissemblable, l’être et le non-être. Elle forme le caractère commun des êtres en perpétuel mutation. Ainsi parmi les différentes espèces d’objets beaux, l’idée du Beau vient comme une synthèse de leur diversité différentielle. Pour cela l’idée est être général ou genre.
Enfin l’Idée est « nature, réalité consistante dotée de la plénitude de l’existence, Être seul réel, parce que stable et un »[3]. Nature parce qu’elle est constitue ce qu’est véritablement les êtres, leur définition, leur essence. Elle est donc ousia, principe et cause de toute chose. Comme seul Être véritable, elle est fondement de tout existant.
L’Idée platonicien constitue en son sein une hiérarchie à telle enseigne que passer sous silence cet aspect ce serait réduire l’Être platonicien à l’Être parménidéen. Ainsi donc au sommet de l’Idée ou des idées, il y a le Bien en soi (agaton). Et selon Alain, « qui tient le Platon des idées ne tient pas encore tout Platon comme on verra. Qui n’aperçoit pas le Bien au-delà des idées perd même les idées.»[4]. Platon dans ses Définitions définit claire le Le Bien en ces termes : « le Bien : la cause, pour les êtres, de leur salut ; la cause en vertu de laquelle toute chose tend vers sa propre réalisation, tendance de laquelle découlent les choix que nous devons faire »[5](414e, 110). Le Bien en effet est le principe suprême des idées, l’Idée par excellence. Il est la réalité de leur réalité, la supra-réalité. Il est cause des idées car éminemment supérieur à leur existence et à leur essence (République, VI, 508, e). Les idées elles-mêmes ne sont pas intelligibles sans le Bien en soi. Il représente leur détermination fondamentale et téléologique. L’Idée du Bien comme l’Être des êtres éternelles et immuables a du point de vue de Platon un statu divin, pour ne pas dire est presque dieu. Toutes les idées sont perçues par ce Bien, proviennent de ce Bien en soi et retourne à lui. « Eh bien ! Pour les connaissables aussi, ce n’est pas seulement, disons-le, d’être connus qu’ils doivent au Bien, mais de lui ils reçoivent en outre et l’existence et l’essence, quoique le Bien ne soit pas essence, mais qu’il soit encore au-delà de l’essence, surpassant celle-ci en dignité et en pouvoir.» (République, 509b)
C’est pourquoi Platon n’eut pas meilleur image que celui du soleil pour le symboliser. « C’est le soleil que je dis être le rejeton du Bien, rejeton que le Bien a justement engendré dans une relation semblable à la sienne propre : exactement ce qu’il est lui-même dans le lieu intelligible, par rapport à l’intelligence comme aux intelligibles, c’est cela qu’est le soleil dans le lieu visible, par rapport à la vue comme par rapport aux visibles. » (République, VI, 508c). L’idée du Bien est dès lors à la fois cause de la réalité et du savoir. Elle a une fonction à la fois ontologique et épistémologique.

 2.2.La vérité transcendantale
A partir du postulat de l’Idée, Platon peut soutenir la possibilité d’atteindre la Vérité comme réalité universelle qui surpasse les apparences sensibles et les contingences subjectives. La Vérité selon Platon et contre les sophistes n’est pas à la mesure et à condition humaine et des choses ; l’homme n’est pas la mesure de la vérité comme son critère de validité. La vérité est une et universelle c’est-à-dire inconditionnelle et éternelle parce qu’elle est Idée et de se confond dans son absoluité à l’Idée où Réalité et essence s’identifient et coïncident.
Platon trouve donc une réponse révolutionnaire aux questions qui entraînaient le scepticisme. Chaque chose est différente des autres choses. Ainsi le non-être peut exister puisqu'il a l'être comme différence (comme autre) et par le fait même, l'être n'est pas l'ensemble des choses mais chacune d'elles. Le mensonge et l'erreur existent donc mais ils sont "ce qui ne doit pas être": ils ne doivent surtout pas être enseignés comme la vérité.
La philosophie menant à une vie heureuse, produit la connaissance vraie et essentielle. Celle-ci, comme nous l'indique le Philèbe se résume en l'unité de la beauté, de la symétrie (harmonie) et de la vérité. Nous voyons que la méthode dialectique est la manière dont Platon aborde l'introspection et la réforme des opinions et des préjugés inhérents à la vie humaine, c'est-à-dire à son existence dans une cité. Il cherche avant tout à éviter le scepticisme vis-à-vis l'état de la connaissance et de l'action humaine.
3.      L’Être et la réalité : Compréhension de l’idéalisme Platonicien comme réalisme
3.1  Le dualisme
Lorsque nous partons de la nature de l’Idée, force est de reconnaître que Platon n’échappe à la tentation d’un dualisme dans la tentative de surmonter le grave problème du devenir et de la connaissance. La question de l’être et de la réalité prend donc sens chez Platon dans un dualisme dynamique. Du point de vue l’être, Platon trouve qu’il y a deux espèces d’être : il y a l’espèce intelligible et l’espèce visible (horaton) (République, VI, 509d). La première espèce c’est ce que la tradition retient de Platon : le monde intelligible ou le monde des idées. Il faut souligner que les idées sont entre elles en relation. Les idées sont hiérarchisées suivant leur généralité croissante et, par conséquent, suivant leur portée ontologique. Elles sont en rapport de dépendance, de causalité mais toutes orientées vers le plus Être, le Bien en soi. Les idées sont les seules objets de l’intellect humain, au-delà de toutes sensations, au-dessus ou hors de portée de l’expérience péritiatique. C’est encore le monde de l’être au sens parménidéen, où chaque idée demeure éternellement dans son ipséité c’est-à-dire identique à elle-même ; les idées sont les formes éternelles et immuables avions-nous mentionné plus haut.
A côté de ce monde « a-péritiatique », non phénoménal, Platon reconnait l’existence du monde sensible. Contrairement à l’opinion que l’on se fait de ce dualisme platonicien qui dénierait l’existence aux choses sensibles qu’il nomme encore espèce visible, Platon accorde une place à ceux-ci. Le monde sensible existe. C’est ici que l’on doit faire remarquer que le terme exister, où être chez Platon signifie simplement être sujet d’expérience de l’homme soit comme sensation soit comme intellection. Le mode d’existence du monde sensible est différent du premier. Pour le cas du monde sensible l’existence est reconnue au mouvement, au devenir mais seulement comme illusion d’être. Dans l’absoluité de leur phénoménalité les êtres sensibles apparaissent singuliers et multiples. Le monde sensible comme monde du devenir, changeant, jamais stable, toujours mouvant, né d’un lieu défini pour disparaître ensuite, accessible à l’opinion jointe à la sensation (Timée, 52a, Phèdre, 241c).  « En effet nous avons distingué deux sortes d’être, dit Platon, l’un était, par hypothèse, au rang de modèles, intelligible et demeurant toujours identique ; imitation du modèle, tel était le second, sujet du devenir et visible.» (Timée, 48e-49a)
Les espèces visibles ou le monde sensible peuvent être objet de sensation à cause de leur participation aux idées dont elles sont les copies. Il y a bien une distinction ontologique entre ces deux espèces mais cette distinction se situe au niveau de ce que Platon entend par Réalité.
3.2. Le réalisme platonicien
La réalité chez Platon ne se confond pas avec l’existence sensible et palpable ; ce qui est objet de sensation ou d’intuition sensible. La réalité renvoie à la vérité de chaque chose. Ce dont l’on peut avoir non une vision mais une saisie intellective, et qui se ramène à la connaissance. La réalité d’un être c’est sa nature perçue identique à elle-même sous tous les rapports, son essence. La caractéristique du réel est l’universalité, l’unicité, l’immuabilité. La conjonction de l’existence et l’essence constitue ce qu’est la réalité platonicienne car c’est seulement de cette conjonction que la connaissance est possible. Seule la réalité donc est susceptible de connaissance. L’essence en effet qu’elle implique est le seul élément qui rend capable la connaissance, l’épistémè. (République, 508e-509a). Le réalisme de Platon est par conséquent de l’ordre de l’essence et s’applique ainsi à la seule espèce intelligible. L’espèce visible est non réelle pour la simple raison que soumise au devenir, les choses sensibles y figurent toujours en perpétuelle contradiction d’elles-mêmes, en apparence illusoire. En somme, les idées sont donc plus réelles que les espèces visibles ou le monde sensible. La réalité platonicienne n’est pas phénoménale ou péritiatique ; est-elle intellective. « La réalité, te dis-je, qui réellement, est sans couleur, sans forme, intangible ; objet de contemplation pour le pilote seul de l’âme…mais le savoir qui a pour objet ce qui est réellement une réalité.» (Phèdre, 247d,e).
4.      De la valeur philosophique de l’allégorie de la caverne : théorie de la connaissance Platonicienne
Le mythe ou l’allégorie de la caverne qui ouvre d’emblée le livre VII de la République (République, VII, 514a-521c) est une véritable théorie de la connaissance chez Platon. La valeur philosophique d’une telle allégorie se mesure en effet dans sa conception même de la connaissance, de l’acte de savoir dont elle fait montre. Cette allégorie jette plus de lumière sur le postulat ontologique de Platon. Elle permet de comprendre l’enjeu de la théorie des idées dans son rapport avec le monde empirique. Ainsi la valeur philosophique de ce mythe peut être appréhendée sur le plan de l’être et sur le plan de la connaissance.
4.1.Sur le plan de l’Etre : la participation
Le mythe de la caverne montre que le dualisme opéré n’est pas absolu. Le mythe de la caverne qui symbolise le monde sensible par les ombres projeté par le soleil, traduit bien que le dualisme de Platon est hypothèse de travail à fin de réhabiliter le monde sensible contrairement à Parménide. Platon en effet établit une relation entre le monde des essences éternelles et immuables avec le monde du devenir et de la contingence ; cette relation se saisie comme participation. Bien que Platon ne s’étale pas beaucoup sur cette idée de la participation, mais le concept de participation nous donne le statu ontologique des réalités sensible chez lui. En effet, le monde sensible tire donc son existence de celle qui en constitue l’essence comme paradigme. La participation peut renvoyer soit à la cause soit à l’imitation comme une palle copie des vraies réalités. Le statu ontologique des choses sensibles reste par conséquent des êtres non-réalités au sens platonicien du terme. Ceux-ci n’offrent qu’à l’occasion l’opinion ou la doxa lorsque l’on veut en dire quelque chose.
L’Essence quant à elle se trouve hors du temps et de l’espace. Elle ne peut être perçue par aucun de nos sens, mais se révèle à la pensée en vertu de sa clarté intrinsèque et de la distinction qui la délimite par rapport à toute autre essence5. Chaque essence possède une multiplicité de caractères ou propriétés intelligibles, qui peuvent être analysés par la dialectique. Montrer le lien nécessaire entre ces propriétés et l’essence, c’est ce que Platon appelle « rendre compte » ou « raisonner sur la cause » ou la connaissance.
4.2. Sur le plan de la connaissance : l’épistémè est ousia, essence
Sur le plan de la connaissance, le mythe de la caverne montre qu’il y a de véritable connaissance que celle des formes éternelles et immuables. Ainsi donc la théorie des Formes de Platon et sa théorie de la connaissance sont – selon le principe même des idées – si étroitement liées qu’on doit les examiner simultanément. Selon Platon, toute connaissance présente deux caractéristiques. Premièrement, elle doit être certaine et infaillible. Deuxièmement, elle doit avoir pour objet ce qui est vraiment réel par contraste avec ce qui est seulement apparence. Ce qui est absolument réel étant immobile, permanent et immuable, Platon identifie le réel connaissable, intelligible à la sphère idéelle de l’être, la réalité en soi. Pour lui, donc, la thèse empiriste, selon laquelle toute connaissance provient de l’expérience des sens est condamnable : les propositions découlant de l’expérience des sens ont, tout au plus, un certain degré de probabilité. Elles ne sont pas certaines et véritables. De plus, les objets de l’expérience sensible sont des phénomènes changeants du monde physique. Ils ne constituent donc pas des objets appropriés de la connaissance. Comme le montre bien l’allégorie de la caverne, ce sont des êtres en deçà de la réalité voire illusion de réalité.
De même, au rang des représentations subjectives à proscrire dans la connaissance, Platon place l’opinion. Les postulats ou les affirmations touchant au monde physique ou visible, y compris les observations du sens commun et les propositions en leur sujet, ne sont que des opinions. Certaines de ces opinions sont bien fondées ; d’autres ne le sont pas ; mais aucune d’elles ne peut être considérée comme connaissance authentique. La connaissance constitue un niveau plus élevé parce qu’elle met en jeu la pensée plutôt que l’expérience sensible. La pensée doit être utilisée de façon appropriée. Elle mène à des connaissances intellectuelles qui sont certaines et les objets de ces connaissances intellectuelles sont les universaux permanents, les essences éternelles qui constituent le monde réel perçu.
La perception ne peut, par elle-même, constituer un fondement logique pour des jugements scientifiques et pourtant c’est un fait que ceux-ci surgissent en nous à l’occasion de la perception. Platon résout cette contradiction apparente par sa théorie de l’anamnèse ou réminiscence. Dans une existence pré-empirique, non corporelle, l’âme a contemplé toutes les Idées ; à la naissance, le savoir qu’elle en possédait est devenu latent, mais peut, de l’intérieur, retrouver son actualité et redevenir pleinement conscient. Le Ménon (81c, 85ca-86c) en apporte une preuve : en posant à un jeune esclave, qui n’a jamais appris la géométrie, une série de questions graduées, Socrate arrive à lui faire trouver la réponse juste à un problème donné, c’est-à-dire, soutient-il à la lui faire retrouver. En effet, ce monde des essences, des réalités transcendantes, nous l’avons déjà connu, c’est ce monde des « choses du ciel » où, dans les temps lointains, nos âmes côtoyaient les dieux. Il s’agira donc pour nous de nous « ressouvenir » de ce que nous avions oublié. La réminiscence est à la fois une réactivation d’un contenu latent et un véritable apprentissage (mathèsis) quand on rapporte ce souvenir à la conscience d’ignorance qui a précédé l’âme. Loin d’être une recherche désordonnée au sein des souvenir, l’effort de remémoration vise une vérité déjà possédée, laquelle oriente implicitement un tel effort.
La réminiscence est pour Platon non ressouvenir de vérités dépendantes de l’âme, mais de vérité dont la connaissance comme telle ne dépend pas d’une incarnation de l’âme dans tel ou tel corps particuliers ou ayant vécu à un lieu ou à un moment de l’histoire. Ce sont des vérités transhistoriques et anhistoriques, éternelles dont il s’agit chez Platon ; une idée à ne pas occulté. Dans l’anamnèse, l’expérience joue le rôle d’excitant, et cela de deux manières. D’une part dans la mesure où le concret est une image de l’Idée, il en fait resurgir l’aperception. Dans la mesure où, d’autre part, il n’est est qu’une image imparfaite et contient des contradictions, il éveille la conscience de la transcendance de la Forme. Le sujet connaissant se rend compte alors des déficiences de l’opinion et son savoir devient ainsi scientifique. L’essentiel de la théorie de la connaissance est le processus de la « réminiscence ».
Ici il ne faut pas oublié que la méthode adéquate pour parvenir à l’anamnèse ou à la remémoration est la dialectique en sa double dimension socratique et platonicienne : ironie et maïeutique selon Socrate et ascension ou élévation de l’âme chez Platon même. Mais retenons ici la dialectique du connaître en sa trilogie.

4.2.1. La dialectique du connaître : comment accéder à la vraie réalité ou aux essences
4.2.1.1 Les trois formes de la dialectique
La dialectique pour Platon est la méthode pour parvenir à l’univers des formes- essences, le monde des Idées. C'est la méthode par laquelle l’intellect s'élève jusqu'au monde des Idées dont elle est familière et se meut dans ce monde. C'est le mouvement par lequel l'âme s'élève des choses sensibles aux Idées, puis explore et contemple l’Idée en soi, le Bien et enfin, redescends dans le monde sensible pour y exercer une activité morale et politique. La dialectique revêt donc trois axes :
La dialectique ascendante : elle se dit encore l’anagogie entendons par la montée vers les Idées. On analysera le passage de l'opinion au savoir, de la philodoxie à la philosophie. Après avoir montré que ceux à qui il faut confier le gouvernement de la cité sont les philosophes, Platon, à la fin du livre V, 480,a de la République, distingue les philosophes des non-philosophes, qu'il appelle les philodoxes : il définit très distinctement l'opinion : « L'opinion est quelque chose d'intermédiaire entre le savoir et l'ignorance. Elle ne porte ni sur l'être véritable (Idées) ni sur ce qui n'est pas (le néant) mais sur quelque chose qui est intermédiaire entre l'être et le néant : ce quelque chose c'est le monde sensible ». Les hommes qui opinent perçoivent confusément mais ne pensent pas. « Les philodoxes sont ceux qui promènent leurs regards sur la multitude des choses belles mais n'aperçoivent pas les Idées et ne peuvent suivre celui qui les voudrait conduire à cette contemplation, qui voient la multitude des choses justes sans voir la justice même, et ainsi du reste, ceux là opinent sur tout mais ne connaissent rien de ce sur quoi il opinent ». L'opinion est donc irréfléchie, incertaine, elle se fie aux apparences et elle y adhère sans examen critique.  L'opinion peut se trouver vrai mais c'est par hasard, elle ne voit jamais les raisons qui la font vrai. Le savoir (épistémé)  C'est la connaissance philosophique des Idées, la seule connaissance véritable selon Platon. Elle est élévation de l’opinion vers celles-là (les idées).
La dialectique contemplative (la Noésis) : C'est le sommet de la dialectique ascendante, où l'âme contemple intuitivement les Idées et entrevoit l’Idée absolue, le Bien. Cela signifie évidemment que l'esprit perçoit immédiatement l'essentiel : c'est l’absolue intellection.
 La dialectique descendante (la Diairésis) : C'est le mouvement par lequel la pensée partant des Idées revient jusqu'au monde sensible pour le dominer en y introduisant la rationalité. Dans cette dialectique le monde sensible acquiert du sens car le philosophe y le rend à lui-même l'intelligible à partir de ce qui à été vu là-haut lors de Noésis. Elle organise alors, en fonction de l'Idée du Bien la conduite de chaque individu et de la Cité.
4.2.1.2. Les degrés de la connaissance chez Platon
La distinction entre le sensible et l'intelligible, du point de vue l’être, doit se comprendre comme une séparation ; à cette séparation correspond une hiérarchie épistémologique. L'opinion porte sur le monde sensible, et la science est la connaissance des réalités intelligibles. Cette division de la connaissance est exprimée par Platon au moyen de l'analogie de la ligne dans La République, VI, 509 e-510c. (Voir image ci-dessous)  
  (Source Encyclopédie Wikipedia, article sur Platon)
Cette représentation des degrés de la connaissance par une ligne a une portée à la fois ontologique et épistémologique tout comme l’allégorie de la caverne: l'âme, au contact d'une chose, se trouve affectée selon la nature de cette chose. Il y aura donc autant de manières d'être affecté qu'il y ait de modes d'être, et ces manières d'être affecté définissent des manières de parler d'un objet ou de le penser. Les modes de connaissance et les espèces qui leur correspondent sont décrits dans ce texte, à savoir : la conjecture (eikasa) porte sur les images et les illusions ; la croyance (pistis) porte sur les êtres vivants et les objets fabriqués ; la pensée porte sur les notions et les nombres ; l'intellect porte sur les Formes. Nous pouvons compléter cette liste avec l'ignorance, bien que ce ne soit pas même une connaissance : l'ignorance correspond au non-être pour ainsi dire un non-savoir. L'opinion (qui renferme la conjecture et la croyance) ne porte pas en elle-même son critère de vérité et fausseté car étant un jugement sur des objets instables.
Les réalités intelligibles sont-elles l'objet de la pensée et de l'intellect, et Platon les désigne par le nom de science. La pensée correspond aux raisonnements discursifs, se fondant sur des hypothèses, et elle comprend toutes les sciences particulières, comme les mathématiques. L'intellect est au contraire une saisie de ce qui est, de manière inconditionnelle, et cette intuition est donc la science par excellence, que Platon nomme dialectique, c'est-à-dire la science des Formes et de leurs rapports. À cette Forme la plus haute de la connaissance, à proprement parler la seule connaissance vraie, correspond l'activité par excellence de l'âme, qui est l'activité de l’intellect
L'analogie de la ligne, répond ainsi aux questions de savoir ce qui est connu, et quels types de connaissance correspondent aux différentes sortes de réalités connues. Mais, il faut encore savoir quelles méthodes y correspondent et quelles sont les facultés de l'âme qui permettent la connaissance. Les dialogues présentent plusieurs moyens par lesquels il est possible d'acquérir un savoir, ou du moins d'avancer dans l'initiation philosophique ; ce sont, en premier lieu, le ressouvenir, la réfutation, et la dialectique, cette dernière n'étant rien d'autre que la philosophie elle-même. Platon utilise par ailleurs plusieurs procédés d'exposition de sa pensée, qui sont la dialectique, le mythe et le paradigme.

5.     De l’homme platonicien
5.1.Le dualisme en l’homme
Platon est le dualiste par excellence par sa conception des deux espèces d’être et par distinction-séparation qu’il établit en l’homme : le corps et l’âme où l’âme semble être emprisonnée dans le corps. La philosophie consiste essentiellement en l'effort, pour délivrer l'âme du corps. Cette délivrance ne viendra que d'une conversion radicale de l'âme aux Idées. Qu'est ce qu'une conversion ? L'âme ou la pensée doit se détourner, se désengager des biens exclusivement sensibles, matériels pour se tourner vers le Bien intelligible, le Bien spirituel. Le mot grec pour dire conversion est épistrophe, ou épistropho : tendre son esprit vers, être attentif à, se convertir à. Bref, l'épistrophe détourne des biens trompeurs, des biens spécieux, vers le Bien substantiel, essentiel et éternel.  Pour parvenir à cette conversion, une éducation est nécessaire. Elle peut être : une éducation proprement philosophique (paideia) ( mythe de la ca verne, République, livre 7)  -une éducation mathématique,( République, livre 6 et 7)  -une éducation érotique (Phèdre, Le Banquet)
5.2. L’immortalité de l’âme
Le mot « âme », en grec ψυχή, revient le plus fréquemment dans les dialogues de Platon, en particulier dans Phèdre, La République et Phédon. Dans les rares dialogues où il n'est pas utilisé, on trouve constamment des discours y faisant allusion. Malgré l'omniprésence de ce terme, Platon n'en a jamais fourni de signification complète. En revanche, il en donne des descriptions abondantes et variées, qui privilégient chacune telle ou telle qualité ou propriété. Ainsi, à défaut de pouvoir fournir une définition précise de l'âme chez Platon, il est possible d'établir une classification de ces descriptions. Certaines propriétés, semblent toutefois plus indispensables que d'autres : c'est le cas de la conception de l'âme comme principe du mouvement, et de la pensée : « Toute âme est immortelle. Tout ce qui se meut soi-même est immortel » (Phèdre, 245c.)  « Ce qui porte le nom d'âme, quelle est la définition ? (...) le mouvement qui est capable de se mouvoir lui-même » (Lois, X, 895 e-896a.)
Pour Platon, l'âme est un être proche des Idées, au divin, qui a un mouvement propre. Et parce qu’elle est de nature semblable à celles-ci, est-elle immortelle et se compose de trois puissances :
  • l'épithumia (ἐπιθυμία), l'« appétit », élément concupiscible, désirant, le siège du désir (faim, sexualité), des passions.
  • le thumos (θυμός), la « colère », élément irascible, agressif ; ce pourrait être traduit par « cœur » ; il est cette partie de l'âme susceptible d'emportement, de colère, de courage.
  • le logistikon (λογιστικόν), le « raisonnable », ou esprit, élément rationnel, immortel, divin. 
Platon expose cette constitution « tripartite » de l'âme dans le Phèdre et dans La République. Le noûs, ou la raison, en tant qu'il a seul rapport à l'intelligible, est le plus noble des trois. Le second, c’est la caractéristique de la volonté d'enrichissement personnel, de bonne réputation, et des tentatives de prouesses qui en découlent. Il n'est utile que s'il se met au service de l'élément raisonnable, afin de maîtriser le premier, qui mène au vice. En d'autres termes, la vie bonne suppose que s'établisse, entre ces trois parties de l'âme, une hiérarchie : le noûs gouverne le thumos, qui gouverne l’épithumia.
Chacune de ces parties possède ainsi une vertu, qui lui est propre : la sagesse pour l'esprit, le courage pour l'élément agressif, et la tempérance, pour l'élément désirant ; l'harmonie de ces trois parties est la vertu de justice. La pensée de Platon a également évolué[6]. Ce tripartisme remonte à Pythagore selon Diogène Laërce  (VIII, 30). Platon croyait l'âme immortelle, et chercha, sans prétendre pouvoir y parvenir, à le prouver dans le Phédon, qui raconte le dernier jour de Socrate. Cette immortalité se lie à la thèse de la migration des âmes et de leur purification après la mort, qu'il décrit dans trois mythes, à la fin du Gorgias, de La République et du Phédon. Platon admet cinq formes d'âmes : celles des dieux, des démons, des héros, des habitants de l'Enfer, des humains (La République, III, 392a).
6.     La morale Platonicienne : justice comme vertu principielle et première
6.1. De la vertu
Chez Platon la vraie nature de la vertu c’est la pensée et l’exercice de la philosophie. Comme le souligne Monique Canto-Sperber, la réflexion morale d’inspiration socratique, rapportée à la justification des actions et aux meilleurs raisons d’agir, s’appuie chez Platon à une réflexion encore une fois ontologique et épistémologique sur la nature même de l’âme immatérielle et du monde. Parler donc de la vertu c’est en quelque sorte toucher l’essence de l’âme. Cela est lié chez Platon. La morale est chez lui une science de la vertu et par ricochet une étude de l’âme. Dans le Phédon la morale, est appréhendée comme une ascension de l’âme du corps vers le divin, le Bien en soi. Il s’agit donc d’une purification nécessaire de l’âme afin de la mettre à part du corps : « de l’obliger à se ramasser sur elle-même, entièrement détachée du corps, comme si elle l’était de ses liens » (Phédon, 67c-d). Guider par la philosophie l’âme prend alors « le divin pour spectacle et pur aliment » afin de s’en voler vers ce qui lui est apparenté et assorti. L’acte moral ou l’acte vertueux consiste donc à débarrasser des pesanteurs du corps et plus encore à se débarrasser de l’humaine misère (Phédon 80d ; 84a-b).
Platon suggère que l’âme pour accéder au Bien doit faire l’effort de remémoration (l’aspect épistémologique de la vertu) en vue de parvenir progressivement au Bien. Le Bien est la forme suprême des formes, ou la forme des formes, beauté suprême de la Beauté, l’ordre suprême, l’Harmonie des harmonies et symétrique. L’âme vertueuse est celle qui s’attache à la contemplation de ce Bien, condition de sa moralité. Le Bien constitue le but de tout. L’éducation des âmes est de réaliser la ressemblance des âmes avec le Bien. L’éducation doit accomplir cette indentification de l’âme avec le Bien parce que l’homme doit reproduire en ses actes l’équivalent du Bien. En effet dans le Philèbe Platon définit le Bien comme la fin poursuivie dans toute activité dont la condition nécessaire est « d’être parfait (telon/teleou) et même tout ce qu’il y a de plus parfait ».(Philèbe 20d) Ce Bien que tout le monde poursuit à pour spécificité d’être intégré dans une vie humaine et qui lui donne le qualité de vie bonne et vertueuse.
6.2 LA justice comme harmonie de l’âme et de la cité
Selon la pensée morale antique, la justice est essentiellement la vertu principielle de toutes les autres vertus. Dès l’avènement de la démocratie athénienne, la justice fut considérée le principe même de l’univers qui se maintient en ordre. Elle y est vue comme une harmonie, harmonie qui est synonyme d'un autre concept central dans la pensée rationaliste grecque : le Bien. La justice est encore perçue comme un principe de concorde et comme une vertu partagée à la différence de vertus individuelles comme la sagesse ou le courage. Dès lors, l’homme qui n’est pas vertueux ne respecte donc pas son rôle dans l'univers et crée par là un déséquilibre dans la Cité, l’espace de l'organisation humaine à l'image de celle du Cosmos. Dans l’histoire de la philosophie grecque les sophistes seront les premiers à déranger cette harmonie cosmique en enseignant que les lois morales sont artificielles, qu’elles sont créées seulement pour assurer le bon fonctionnement de la communauté. La justice est pour eux un instrument de pouvoir au service de la Cité, elle n’a rien de transcendantale ni d’ontologique. Leur conception de la justice sera critiquée par Socrate et qui influencera la conception de la justice selon Platon.
Selon Socrate en effet, la justice peut être comparée à la médecine qui consiste à prendre soin de la vie et la santé du corps. Cette métaphore assimile le corps social au corps biologique. La justice est alors la préservation de la santé de la société, la vertu par excellence[7], étroitement liée à un autre concept idéal : l’éducation des citoyens. Si la polis, en d’autres termes le bon gouvernement de la Cité en est la condition, la justice est avant tout une qualité individuelle : Il s'agit en effet d'une disposition essentielle de l’âme, d'une vertu sans laquelle la société ne saurait être juste. Comme faisant partie de l’âme, la justice n’est pas arbitraire et ni subjective.
Dans La République, intitulée encore « De la justice », Platon conçoit la justice à partir de cette compréhension socratique. Ainsi, il met en parallèle la justice dans l’âme et justice dans la polis. Il montre bien que la justice de la partie (l’homme) est en parfaite symbiose avec la justice du tout, de l’ensemble (la république). La partie et le tout sont en phase, ordonnés et harmonieux. L'idée de justice, qui renvoie à l’ordre et à l’harmonie procède de ce parallélisme. Dans la cité platonicienne, la justice est fondée sur l'équilibre de trois parties sociales décrites dans La République : les philosophes qui dirigent la Cité, les guerriers qui la défendent et les artisans qui veillent à sa prospérité. Une série de citation extrait du livre I de la République nous permettra de mieux comprendre pourquoi Platon opte pour une acception d’ordre et d’harmonie dans sa définition de la justice :
La justice n'est pas forcément dire la vérité : «  Par exemple, si un homme atteint de folie redemandait à son ami les armes qu'il lui a confiées dans le plein exercice de sa raison, tout le monde convient qu'il ne faudrait pas les lui rendre, et qu'il y aurait de l'injustice à le faire, comme à vouloir lui dire toute la vérité dans l'état où il se trouve. La justice ne consiste donc pas précisément à dire la vérité, et à rendre à chacun ce qui lui appartient. » (République, Livre I, 330c-331d)
La justice n'est pas faire du bien à ceux qu'on aime, et faire du mal aux ennemis : « Si donc quelqu’un dit que la justice consiste à rendre à chacun ce qu’on lui doit, et s’il entend par là que l’homme juste doit du mal à ses ennemis comme il doit du bien à ses amis, ce langage n’est pas celui d’un sage, car il n’est pas conforme à la vérité : nous venons de voir que jamais il n’est juste de faire du mal à personne. » (République, Livre I, 331a.334e)
La justice est une vertu, l'injustice un vice : « Après que nous fûmes tombés d’accord que la justice était vertu et habileté, et l’injustice vice et ignorance »  (République, Livre I, 336b.339ass)
L'injustice est moins avantageuse que la justice : « Il est donc faux (…) que l’injustice soit plus avantageuse que la justice. » (République, Livre I, 344dss)

7.      L’idéal politique platonicien

7.1. La politique comme ordre moral et comme éducation
La théorie des idées est présente de bout en bout dans toute la pensée philosophique de Platon surtout à son point culminant qu’est la politique. Il  faut tenir compte de la préséance de l’idée du BIEN et de l’idée de justice précédemment abordés. Ainsi parler de la politique chez Platon tout en passant sous silence ces deux notions clés c’est passer à coté de l’idée de politique chez Platon. Comment alors s’articulent ses deux notions dans la philosophie politique de Platon ? Nous devons également avoir en vue que le problème platonicien est la quête de la cité juste.
Platon explique l’essence et l’objet de sa pensée politique à l'aide d’un mythe dit de la marionnette au premier des Lois (I, 644d–645c). Ce mythe symbolise l'homme comme une marionnette fabriquée par les dieux qui les tiennent par des cordons ou des fils ; mais, la particularité de celles-ci est que, les cordons qui aident à la manipuler, sont, dans le cas des hommes, à l'intérieur du corps, parce qu'ils traduisent les affects de l’âme : plaisir, douleur, crainte, et le Noûs par le raisonnement, qui tirent les hommes en des directions contraires ; parmi ces affects, celui du raisonnement est le plus faible. Ce mythe reprend les différents mythes représentant l'âme comme une réalité composée de parties, qui ne sont pas spontanément en harmonie. Cette représentation de l'homme comme une marionnette, c'est-à-dire comme une réalité vivante, qui n'est pas, par nature, guidée par la raison, justifie pour Platon le rôle de la politique : l'âme, a en effet besoin d'être éduquée, pour être en mesure de réaliser son bien, et cette éducation passe par les lois conçues comme un discours rationnel, que la cité adresse aux citoyens.
Cette représentation anthropologique explique donc que la recherche de la meilleure constitution soit le principal souci de Platon : le but d'une cité bien constituée est de faire mener à ses citoyens une vie conforme au bien, vie qui est une vie heureuse, et qui ne peut se réaliser qu'en fonction de l'état de l'âme, et dans le cadre d'une vie commune. L'âme est ainsi toujours la finalité des spéculations de Platon, tant politiques que métaphysiques. Le point commun des différentes réflexions politiques que l'on trouve dans les dialogues est la question de savoir comment unifier la multiplicité des éléments, des fonctions et des forces composant une cité, autrement dit la question de savoir ce que doit être une vie commune. La politique est alors conçue comme une technique qui, dans un territoire donné, et face à des éléments hétérogènes, doit prendre soin de réaliser l'unité de la cité, en la dotant d'un régime politique (politeia, également traduit par constitution). Ce soin de l'unité, c'est la philosophie, et le philosophe seulement qui est de droit à gouverner la cité et il doit gouverner la cité.
La quête de ce régime politique idéal constitue l'essentiel de La République et des Lois, en outre les dialogues dits socratiques attestaient déjà la détermination politique de Platon, puisqu'il y écrit des critiques virulentes à l’encontre des sophistes, ces rhéteurs. Cette recherche écarte d'emblée toutes les formes de cités existantes, tant démocratiques qu'aristocratiques : les discordes, les dissensions, les désaccords qui marquent en effet les cités réelles, dissensions entre des partis, entre des classes, sont aux yeux de Platon un symptôme de corruption.  L'on ne saurait donc tenir pour politiques des régimes qui ne peuvent parvenir à faire vivre ensemble des citoyens en fonction de la justice. La politique est éducation à la justice.
Dans La République, Socrate est engagé dans la recherche d'une définition de la justice. Cherchant cette définition au niveau de la cité, il étudie la répartition des fonctions en son sein, pour montrer que le meilleur régime ne dépend pas d’autres choses que de l'exercice approprié de chaque fonction dans la cité, considérée comme un tout. La cité juste est ainsi composée de trois groupes, les gouvernants, les gardiens ou soldats et les paysans. À chaque groupe correspond particulièrement une vertu, mais tous les groupes ne possèdent pas seulement une seule et unique vertu : si les gouvernants possèdent la vertu de sagesse, ils sont aussi tempérants et courageux ; les gardiens sont courageux, mais également tempérants, et puisque les gouvernants sont choisis dans ce groupe, les gardiens reçoivent aussi une éducation à la sagesse ; enfin, les paysans ces producteurs, qui constituent le plus grand nombre des citoyens, possèdent la vertu de tempérance.
Dans Les Lois, Platon fait discuter plusieurs vieillards sur la valeur de la constitution de plusieurs cités. Cherchant les meilleurs moyens d'inculquer les vertus, Platon parle notamment des vertus éducatives de l'ivresse (Livre I).


7.2. Les régimes politiques dans la perspective Platonicienne
Platon décrit la manière dont on passe d'un régime politique à un autre (La République 545c–576b). Cet enchaînement n'a pas, pour Platon, une valeur historique : comme dans le Timée, il s'agit de présenter une succession essentiellement logique. Platon en distingue donc cinq :
1.      l'aristocratie, le gouvernement des meilleurs. Il correspond à l'idéal du « philosophe-roi », qui réunit pouvoir et sagesse entre ses mains. Ce régime est suivi de quatre régimes imparfaits :
2.      la timocratie ou timarchie, régime fondé sur l'honneur ;
3.      l'oligarchie, régime fondé sur les richesses ;
4.      la démocratie, régime fondé sur l'égalité ;
5.      la tyrannie, régime fondé sur le désir ; ce dernier régime marque la fin de la politique, puisqu'il abolit les lois.
Le déséquilibre dans les cités, par lequel on passe d'un régime à un autre, correspond au déséquilibre qui s'inscrit dans la hiérarchie entre les parties de l'âme. De même qu'une vie juste suppose que le noûs gouverne le thumos, et que celui-ci contrôle l’épithumia, la cité juste implique le gouvernement des philosophes, dont le noûs, la raison, est la vertu essentielle. Au contraire, le régime timocratique correspond au gouvernement du thumos, le courage et l'ardeur guerrière, vertus essentielles des soldats, ou gardiens de la cité, et le régime tyrannique à celui de l’épithumia : la tyrannie est donc un régime où seules dominent les passions du tyran.



CONCLUSION
M. P.-M. SCHUHL à propos de l’importance de Platon écrit ceci : « les autres philosophes n’ont guère fait que mettre des notes de bas des pages de ses œuvres» tant la pensée du fondateur de l’académie a touché la question fondamentale de la réalité, la chose en soi. L’idéalisme platonicien trouve écho encore aujourd’hui non seulement dans l’idéalisme romantique du XIX et XXème siècle, mais lorsque la recherche de la vérité sort des méandres de l’opinion pour toucher l’en-soi, la vraie réalité qui apparait toujours en situation voilée qu’il faut pour l’atteindre l’ascèse, l’élévation de l’intelligence : la dialectique. La dialectique comme quête de la chose en soi, est aussi la capacité d’aimer le vrai.



[1] Nous suivons ici la remarque de Gaston MAIRE, Platon, PUF, 1970, p.33.
[2] Platon, Phédon, in œuvres complètes, trad. Léon ROBIN, éd. Gallimard, Paris,1989, p.796.
[3] Gaston MAIRE, op.cit., p.33.
[4] ALAIN, Idées, introduction à la philosophie, Paul Hartmann, Paris, 1977.
[5] Platon, Définitions, in œuvres complètes, op.cit., p.1398.
5 Comparez la théorie cartésienne des « idées claires et distinctes ».
[6] Dans le Phédon (vers 385 av. J.-C.), il admet une âme (65a, 77a, 80a, 105c) ; dans La République (vers 370 av. J.-C.), il admet trois parties de l'âme (IV, 436-441) ; dans le Phèdre il fait une présentation imagée de l'âme sous la forme d'un attelage, avec un cheval noir, qui représente la partie désirante, un cheval blanc qui représente la partie irascible, et le cocher qui représente l'esprit (246a, 253c) ; Platon, dans le Timée, à la fin de sa vie, admet trois âmes (69c, 89e).
[7] Létitia MOUZE, « La justice ou la nature des choses selon Platon » in La Justice, p. 26-39.

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