mardi 7 octobre 2014

COURS DE PHILOSOPHIE DE LA NATURE



COURS DE PHILOSOPHIE DE LA NATURE
Dr Ezouah leon
Problématique du cours : Qu’est-ce que la philosophie de la nature ? Faut-il identifier philosophie de la nature et cosmologie ? Face au progrès et au développement des sciences de la nature, une philosophie de la nature est-elle encore nécessaire ? Le problème du pourquoi du monde matériel peut-il être résolu sans la réponse à la question du comment des phénomènes matériels ? Quelle est la validité épistémologique de la philosophie de nature?
Plan du cours
INTRODUCTION : cosmologie, philosophie de la nature et science de la nature.
I.                   Aux origines de la Philosophie de la nature
1.      De la cosmogonie à la cosmologie : premier moment de la réflexion philosophique 
2.      Les grandes écoles de cosmologie : méthode et conception
II.                Une philosophie en crise avec Parménide et Socrate/Platon
1.      Parménide et la question du devenir
2.      Socrate et Platon : le monde de la participation
III.             De la physique : refondation aristotélicienne
1.      Redéfinition de l’objet : la physis
2.      L’apport de Thomas d’Aquin. Hylémorphisme
IV.             L’avènement et le développement des sciences de la nature  à l’époque moderne : la crise
1.      La mise en crise : L’efficacité des sciences de la nature
2.      De la qualité à la quantification : statu privilégié de l’expérience scientifique.
V.                Une reformulation de la philosophie de la nature : exposé de la controverse  support de cours
1.      Une nécessité de collaboration scientifique : interdépendance
2.      Philosophie de la nature connaissance autonome et nécessaire
CONCLUSION : ouverture sur le respect de la nature et sa préservation selon les thèses des écologistes.

INTRODUCTION
La philosophie comme réflexion critique n’a pas d’objet limite et s’applique à tout ce qui entoure l’homme, son expérience et ses aspirations. Elle est d’un statut épistémologique particulier car sa démarche est d’un autre ordre de rationalité. Elle est la recherche de la vraie nature des choses et la cause de leur surgissement. Dans le concept de cause, il faut entendre le double sens d’origine et de finalité c’est-à-dire d’où proviennent les êtres et ce en vue de quoi ils sont. La prétention de la philosophie va au-delà des phénomènes, de leur contingence, de leur être multiple pour leur trouver une signification unitaire et unificatrice. Pourquoi ce besoin de unification quand tout est devenir et diversité autour du philosophe ? Ce n’est qu’une apparence et le philosophe cherche à percer l’apparence car celle-ci est porté par l’être Un, comme substrat, et qui certainement se meut en vue de... Pour le philosophe toute chose a un sens (le terme sens doit être entendu aussi en son double aspect d’orientation et de signification), et ce sens c’est aussi la vraie essence des étants.
Cette quête de sens qui est aussi enquête sur l’essence des étants s’applique à la Nature. La philosophie qui a pour objet de réflexion la Nature s’appelle aujourd’hui philosophie de la nature ; Concept tout aussi équivoque que son objet tant la Nature est une notion vaste et pluridimensionnelle. En effet, le premier problème que soulève cette philosophie à la postmodernité ou à l’époque contemporaine est la définition même du concept de Nature comme objet. C’est la définition de son objet qui nous permettra de lever l’équivoque dont elle semble entachée avant tout débat.
Comme toute discipline, la philosophie de la Nature a une histoire propre et celle-ci coïncide avec le commencement de l’histoire de la philosophie en générale. Dans ses origines en Grèce antique et selon ce que les philosophes de l’histoire de la philosophie ont convenu d’appeler la période présocratique, la philosophie a débuté comme réflexion sur le cosmos. L’étymologie de cosmos renvoie à l’ordre et à l’univers (ensemble ordonné de la matière et des êtres matériels). Le cosmos qui fut au centre de la préoccupation des premiers philosophes était d’abord la matière ; la matière non organique, la matière comme le donné immédiat de l’expérience spontanée des premiers philosophes. En somme, il s’agit du monde matériel. En ce sens, la philosophie de la nature est synonyme de la cosmologie, terme formé par Christian Wolf en 1731, et devient réflexion philosophique sur la réalité matérielle dans toute sa diversité.
La cosmologie commença comme cosmogonie vers le VIIème siècle av. J.C avec les grecques qui se consacrent à l’étude de l’origine de l’univers. Le terme cosmogonie est le plus ancien et est explicitement utilisé par Parménide (v. 515 av. J.-C.-v. 440 av. J.-C.), comme le titre d’un traité sur l’origine du monde (Kosmogonia). En tant cosmogonie, la philosophie de la nature fut d’ordre mythique et poétique à travers les poèmes d’Hésiode (VIIIe-VIIe siècle av. J.-C.) et d’Homère (VIIIe siècle av. J.-C). Mais elle fut abandonné par les présocratiques pour s’adonner une réelle réflexion sérieuse sur la matière dans le but de découvrir quelle est la réalité matérielle constitutif du cosmos ; car sa connaissance intrinsèque n’est pas évidente pour eux.
La nature c’est encore la physis d’Aristote. C’est le nom qu’Aristote donne à l’objet de connaissance des Milésiens et qu’il va amender par la suite. Et pour cela il les appela les physiciens. Pour Aristote la Nature comme physis n’est pas seulement la réalité matérielle inerte ou le cosmos de ses anciens avant lui, mais la totalité des êtres qui ont en eux-mêmes leur propre principe de mouvement et qui sont par conséquent des êtres auto-mobiles et séparés les uns des autres. Ainsi donc la philosophie de la nature depuis Aristote gardera pendant longtemps la dénomination de physique. Nous verrons dans ce cours comment s’articule la physique chez Aristote car il se considère comme un refondateur de la physis des anciens.
A l’époque médiévale, le terme philosophia naturalis remplacera celui de la physique avec les mêmes références aristotéliciennes. L’avènement de l’époque moderne marquera un tournant décisif pour la philosophie de la nature. Les modernes garderont le terme original du stagirite de physique, cependant avec une détermination particulière qui fait quitter la sphère du philosophique pour devenir (ou se substituer à) la science de la nature. Tandis que la physique d’Aristote reste malgré tout une science théorétique c’est-à-dire une connaissance philosophique de la Nature, la physique des modernes et jusqu'à nos jours, est une connaissance scientifique selon la terminologique moderne et contemporaine. La science de la nature est donc la connaissance expérimentale qui cherche à expliquer la loi de fonctionnement de la Nature et les rapports entre ses éléments matériels constitutifs et n’a cure des questions de sens et d’essence de la réalité matérielle.
Au-delà tous ses changements de sens de l’objet de la philosophie de la nature, elle demeure la réflexion philosophique sur la réalité matérielle du monde. Pour ce cours nous utiliserons indifféremment la terminologie philosophie de la nature ou cosmologie.
 La science de la nature semble prendre le dessus de la philosophie de la nature par les résultats qu’elle produit à la suite de ses investigations sur la matière. Elle répond mieux au vœu de Descartes qui voudrait voir l’homme devenir comme maître et possesseur de la nature. Au XVIe et surtout au XVIIe siècle, la science de la nature prend une importance capitale avec les savants physiciens comme Nicolas Copernic (1473-1543), Galilée (1564-1642), Newton (1642-1727), etc. Les avancées significatives de leur découverte qui parfois remettaient en cause les acquis des présocratiques et d’Aristote, place la science de la nature au même un piédestal que la philosophie de la nature. Ainsi, contre la conception traditionnellement du monde reçue comme géocentrisme, Copernic prouve qu’il s’agit en réalité d’un héliocentrisme.
A titre d’exemple les méthodes et les résultats de la science de la nature modernes s’imposent déjà XVIIe siècle grâce à la combinaison des capacités de théoricien et d'artisan de Galilée. Aux anciennes méthodes fondées sur l'induction et la déduction, Galilée ajoute la vérification systématique par l'expérience, en utilisant les outils scientifiques nouvellement inventés tels que le télescope, le microscope et le thermomètre. Vers la fin du XVIIe siècle, l'expérimentation est élargie par l'utilisation du baromètre découvert par le mathématicien et physicien italien Evangelista Torricelli, de l’horloge par le mathématicien, physicien et astronome hollandais Christiaan Huygens. La science de nature produit la technicité et s’aide en même temps de la technique pour mieux observer les phénomènes naturels et fournir de façon apodictique les lois de leur fonctionnement et de leurs relations.
Visiblement la philosophie de la nature dans ces conditions est mise à mal et sa nécessité est occultée. Il lui manque des outils qui lui donneront une accessibilité adéquate au monde matériel afin d’en fournir une explication que la science de la nature a déjà perfectionnée. Dès lors, est-elle négliger voire délaissée et l’interprétation qu’elle prétend donner de la nature paraît parfois archaïque et erronée face aux donnés de la science. Est-il dans ce cas légitime de parler de philosophie de la nature tant que les sciences expérimentales de la nature fournissent déjà des résultats probants à cet effet ? Autrement dit une philosophie de la nature est-elle encore nécessaire ? La question peut être encore plus simplement posée sans toutefois s’avérée simpliste : pourquoi une philosophie de la nature à côté des sciences de la nature ?
Le philosophe répondra certainement par l’affirmative et fera appelle à l’argument de sa méthode : la démarche réflexive qui cherche à atteindre la vraie essence et le sens du monde physique. Elle met alors la science dans une situation d’interpelée afin qu’elle ne s’arrête pas à une simple mise en équations des phénomènes et à l’explication des lois de la nature. En effet, selon le physicien Louis de Broglie la science aujourd’hui a besoin de la philosophie et doit insérer parmi ses préoccupations celle de la philosophie. Il se montra tout aussi soucieux de mener à bien une réflexion philosophique sur la valeur des découvertes de la science moderne.
A partir de là une controverse s’amorce. Elle s’articule en deux temps. D’abord est-il possible à la philosophie de chercher le pourquoi du monde matériel sans chercher le comment du monde que lui offre les sciences de la nature ? Cette préoccupation nous conduit ensuite à celle-ci : la science naturelle doit-elle alors servir de fondement à la réflexion philosophique ? Ainsi se dessinent deux conceptions philosophiques de la philosophie de la nature l’une qui pense qu’elle doit fonder son discours sur l’expérience scientifique de la matière seule capable de lui donner accès au réel et l’autre qui maintient que la philosophie doit partir de ses propres ressources pour fonder son discours. Car le faire autrement c’est se dénaturer elle-même et sombrer dans l’illusion. Ces deux positions controversées sont incarnées respectivement par deux figures que sont le P. Dominique H. SALMAN, professeur au Saulchoir et le P. Norbert. M. LUYTEN professeur à Fribourg. L’identification de ces professeurs comme incarnant la controverse est simplement un choix méthodologique pour le besoin de ce cours. Ce n’est pas un choix exclusif car il bien d’autres auteurs célèbres sur la question.
Force est de reconnaitre que la philosophie de la nature est une discipline en crise au sein même de la philosophie. Notre objectif dans ce cours sera donc la mise en exergue de cette crise. L’intérêt de cette controverse nous permettra de relever malgré tout l’avancée de cette philosophie in crisis. La crise n’est pas un péril pour la philosophie, au contraire cela est un fertilisant pour le discours philosophique. La crise nous permet de en lumière, d’abord la nature de philosophie de la nature comme cosmologie dans ses origines et ensuite, son rapport avec les sciences de la nature qui partage avec elle le même ; rapport qui doit se situer entre autonomie et interdépendance.
I.                   Aux origines de la philosophie de la nature
1.      De la cosmogonie à la cosmologie : premier moment de la philosophie naissante
La philosophie de la nature comme réflexion et recherche de l’intelligibilité du monde matériel coïncide avec l’origine même de la philosophie en Grèce. Avant d’être réflexion sur la réalité matérielle elle fut d’abord une cosmogonie c’est-à-dire une étude de l’origine de l’univers.  La préoccupation de concevoir l’origine de l’univers était moins une question d’ordre rationnel que d’ordre religieuse et théogonique. La cosmologie naissante se confond avec les mythes des origines qui sont d’abord des théogonies (voire les mythes grecs de la naissance des dieux). Aussi elle s’exprimait à travers des poésies dont les plus connus sont celles d’Hésiode et d’Homère. La pensée de Pythagore également qui est certes cosmologie ne se dérobe pas de cette tradition ; il repose pour une bonne part sur des mythes. Chez Pythagore il n’y a pas encore de dissociation entre une réflexion proprement d’ordre rationnel et d’ordre mythique qui fonde d’ailleurs sa secte religieuse[1]. Les préoccupations s’articulaient autour de la généalogie des dieux (théogonie), la métempsycose, de l’immortalité de l’âme etc.
Selon la Théogonie d'Hésiode[2], au début était le Chaos, un tout incommensurable au sein duquel les éléments constituant le monde actuel étaient mélangés. Quatre entités s'en séparèrent : Gaïa (la Terre), Éros (le Désir amoureux vu comme force créatrice primordiale), Érèbe (les Ténèbres des Enfers) et Nyx (la Nuit). Gaïa engendra Ouranos (le Ciel), le premier principe fécondateur mâle (pour les Anciens, le Ciel fécondait la Terre par ses pluies, comparables à une semence), et de leurs étreintes naquirent les Titans, dont Cronos, les trois Cyclopes et les Hécatonchires (géants à cent bras). Selon la tradition orphique, l'eau et des éléments formèrent spontanément la terre, d'où un Chronos monstrueux surgit, lequel créa l'Éther, l'Érèbe et le Chaos, puis engendra un œuf d'où naquit Éros, qui donna à son tour naissance à la Lune et au Soleil puis à la Nuit, avec qui il conçut Ouranos et Gaïa.
Cette cosmogonie mythique ou les cosmogonies mythiques sont enfermées dans l’univers sensible, celui qui est perçu immédiatement à travers les sens, à partir de l’observation visuelle de la voûte céleste et des éléments terrestres. Bien que s’agissant d’une cosmogonie doublée d’une théogonie, il est exclu l’idée de transcendance. Rien n’est perçu au-delà de l’univers sensible. Les dieux sont les symboles de quelques éléments du monde ainsi ou sont représentés par les éléments du cosmos. La cosmogonie n’explique pas l’origine du monde en dehors des forces mêmes du monde qu’elle déifie et personnalise. Ce qui est certain, les anciens grecs étaient des observateurs du cosmos, de son ordre, de ses phénomènes ordinaires, spectaculaires et extraordinaire.
La cosmogonie trop attachée une explication mythique et religieuse de l’univers ne sied plus aux philosophes naissants. Les premiers philosophes prennent leur distance avec les mythes et les poésies pour regarder en face l’univers et tenter de le rende intelligible à partir de la raison et en excluant les superstitions religieuses. Pour cela, ils furent taxés d’athée. Par exemple « ce sont ces accusations d’athéisme qui avaient contraint Anaxagore à quitter Athènes et qui feront de nouveau surface lors du procès de Socrate. »[3] D’un autre côté, les philosophes cosmologues font aussi rechigner à tous les systèmes de philosophie qui ne s’appuient pas sur la raison pour fournir une explication cohérente de la réalité matérielle. Ce sont les premiers qui avant les modernes ont désacralisé l’univers sans pour autant le dévaluer. Il n’y a plus à considérer l’arrière plan mystérieux du cosmos.
La réalité matérielle c’est ce que vont investir les premiers philosophes. Leur seul outil est dans un premier temps l’expérience spontanée avant d’en édifier une conception dans un second moment. Ce que nous entendons par expérience spontanée est l’intuition immédiate de la réalité physique par l’observation sensible (à partir des seuls sens) de la matière. Cette intuition se fait sans hypothèses organisatrices préalables. Les premiers outils de ceux-ci sont les sens. Héraclite dit à cet effet que les yeux sont meilleurs témoins que les oreilles[4]. C’est donc après la perception sensible que vient le travail rationnel qui à ce moment de la philosophie de la nature est de dégager le principe de la matière, d’identifier l’essence de cette matière universelle, ce qui la détermine fondamentalement.
La première démarche de la philosophie de la nature, que Aristote convient d’appeler physique, est celle d’une démarche principielle entendons par là l’accès au principe du monde matériel. Elle s’apparente à une démarche ontologique, sans toutefois être une ontologie, qui touche de près l’être même du monde physique. « Voilà donc, dit Maritain, la raison humaine qui, avec ses seules forces, se met en quête des principes et de causes des choses. Ce qui frappe d’abord l’intelligence de l’homme, c’est ce qu’il voit et qu’il touche, ce qu’il connaît par les sens. Et ce qu’il cherche d’abord quand il veut expliquer une chose quelconque, c’est de quoi cette chose est faite. Ainsi les premiers penseurs de la Grèce ne considèrent dans les choses que l’étoffe dont elle faites, leur matière, ce que nous appellerons plus tard la cause matérielle, qu’il regarde naïvement comme ce qui suffit à tout expliquer.»[5]
Cette démarche ne fut-elle en apparence simple pour nous aujourd’hui, ne fut pas aisée pour ces premiers philosophes qui se démarquent déjà des opinions communes. Ce qui fait surgir la méthode principielle, c’est la première donnée physique qu’ils intuitionnent : le mouvement et le devenir. C’est là le phénomène qui complexifie la réflexion philosophique pour eux. Le mouvement c’est d’abord pour eux le changement, le devenir. Cela est perçu par comme le phénomène principal du monde matériel. Le mouvement constaté est celui du changement comme transformation possible d’un corps en un autre corps. Par exemple le pain devient chair, le bois devient feu, l’eau devient un solide, la matière organique devient la terre etc. Mais ils perçoivent encore que la matière dont sont faits tous les corps sujets au changement doit être la même pour tous ; dans la mesure où c’est la même matière qui est le substrat des transformations possibles. « Mais parce qu’ils ne savent pas encore admettre que ce qui se touche et se voit, il s’imagine trouver cette matière dans quelques éléments qui tombent sous nos sens.»[6]
C’est la base de cette démarche philosophique que plusieurs écoles ou courants philosophique font apparaitre chacun expliquant la réalité matérielle du monde selon la nature qui l’entoure. Pris du point de vue individuel, ces grands courants cosmologiques sont circonstanciels et ne peuvent être considérer comme connaissance universalisable ; en revanche si l’on considère d’une manière holistique ces écoles de pensée comme formant ensemble l’ossature de la philosophie nature naissante, les connaissances qu’elles offrent sont englobantes de la réalité matérielle.  
2.      Les grands courants cosmologiques
La philosophie de la nature lorsqu’elle devient proprement philosophie a connu des grands courants de pensée qui se sont constitués en école selon l’idée maîtresse que celles-ci développent. Pour le besoin de notre problématique nous retiendrons quelques courants d’idée à savoir les écoles Ionienne, Italique et Eléate. Pour ce cours nous retiendrons la cosmologie ionienne et éléate car ce sont ses deux courants qui concernent plus notre problématique car ils révèlent le premier de la crise qui mine la philosophie de la nature.


2.1.            L’école Ionienne ou les Ioniens (vers le VIIe siècle av JC)
L’histoire retient que les premiers philosophes viennent de l’Ionie avant que la philosophie arrive en Athènes[7]. C’est avec cette école que la cosmologie prend forme et que selon Aristote c’est une science de la physis. La particularité de cette école est de concevoir le devenir de la matière. La philosophie de la nature naissante doit à l’école ionienne une systématisation du concept du devenir. Plus qu’un concept c’est le phénomène par excellence de la nature ; il y a bel et bien du changement dans le monde physique. Le devenir est compris aussi comme mouvement. Pour cela il s’agit aussi d’un courant mécanique qui perçoit du mouvement dans la matière. Le problème que tente de résoudre ce courant de pensée n’est pas comme aux dires d’Aristote dans la Métaphysique (A, 3, 983b 6-11 ; 984a 2-7) : qu’elle est la matière dont est faite les choses ? Leur préoccupation ionienne fut tout autre comme le montre Emile Bréhier et Jeanne Hersch. Qu’est ce qui explique le fait familier du devenir ? Qu’est-ce qui rend possible ce passage du même au tout autre, de l’être au non-être ? En somme qu’y-a-t-il qui persiste à travers tout changement[8]?
Pour les ioniens le devenir met en crise la possibilité de connaitre la matière. En l’admettant, il découvre le substrat, la matière qui demeure inchangé, ce qui unifie le cosmos en éternel changement. Leur doctrine va plus loin en accordant à la matière une certaine vie, comme une force interne qui la pousse au changement. Ils sont pour cela appelés des hylozoïstes (du grec hylè, matière et zoon, vie). En outre, entre le devenir perpétuelle de toute chose et la détermination de la matière comme sujet commun du devenir, le courant ionien fut le premier courant à être à la fois évolutionniste et moniste. Il est évolutionniste parce sous le terme devenir il y a l’aspect de déroulement historique, le développement, ou l’évolution de quelque réalité préexistante. Et il s’agit d’un courant monisme par qu’elle soutient qu’il une substance matérielle unique qui demeure identique à elle-même sur laquelle se repose le changement.  C’est bien à propos  de considérer l’évolutionnisme et le monisme comme la caractéristique essentielle de ce premier courant cosmologique l’Ionie.
2.1.            Les grandes figures de l’école ionienne
Le premier philosophe mentionné par l’histoire est Thalès de Milet une cité située sur la côte ionienne ; il vit aux viie et vie siècles av. J.-C. Il est considéré comme le fondateur de cette école. Vénéré par les générations postérieures comme l’un des Sept Sages de la Grèce, il se consacre à l’étude des phénomènes astronomiques, physiques et météorologiques. Selon l’hypothèse qui ressort de ses recherches, tous les phénomènes naturels constituent des formes diverses d’une substance fondamentale, à savoir l’eau. Il parvient à cette solution au problème posé plus grâce une constatation de son milieu : les plantes et les animaux se nourrissent d’humidité et que les germes vivant sont humides et par-dessus tout la terre où il vit est entourée d’eau. L’eau est la substance unique demeurant la même sous toutes les transformations des corps[9]. Il considère en outre que l’évaporation et la condensation sont des processus universels.
Anaximandre (610-545 av. JC), disciple de Thalès,  affirme selon lui, que le principe premier dont dérive toute la réalité physique est l’apeiron terme difficile à traduit mais qui donne l’infini. C’est une substance intangible,  insaisissable et indéfinie. L’apeiron une substance indéterminée, un mélange des contraires. L’on ne peut apercevoir aucune substance observable dans aucune chose. Cette substance est éternelle et indestructible. Son mouvement incessant fait naître continuellement les substances plus familières comme la chaleur, le froid, la terre, l’air et le feu, qui produisent à leur tour les différents objets et organismes qui constituent le monde que l’on connaît. Son concept de l’infini annonce le concept moderne d’un Univers infini et celui de l’évolution chez Darwin. C’est en effet Anaximandre qui introduit l’évolutionnisme dans la pensée ionienne. « il enseignait l’évolution éternelle des mondes « qui se lève et se couchent à de longs intervalles » ; pour lui l’homme provient d’animaux d’espèce différente, s’étant formé originellement au-dedans de poissons où il s’est développé et d’où il a été rejeté une fois devenu assez grand pour se suffire à lui-même »[10]
A la thèse de l’infini d’Anaximandre vient la thèse de l’air chez Anaximène (588-524).  Il reprend le monisme de Thalès selon lequel il existe une substance originelle, celle-ci désigne l’air, et non pas l’eau, comme l’élément dont est composée toute chose. Il estime que les changements auxquels sont soumis les corps peuvent être expliqués par la raréfaction et la condensation de l’air. Anaximène est ainsi le premier philosophe à expliquer des différences qualitatives par des différences quantitatives, méthode essentielle à la science de la nature.
·         Héraclite d’Ephèse (540-475)
Nous voulons insister sur la cosmologie héraclitéenne car elle est pour nous la synthèse du courant ionien. C’est avec Héraclite que les idées du changement et du mouvement,  idées caractéristiques de l’ionisme sont mises en exergue avec leurs implications. C’est aussi à partir de sa cosmologie du changement que la première crise de la philosophie de la nature va apparaître. En effet changement est selon lui la réalité concrète de la nature. Prétendre le contraire est une illusion. Le changement selon Héraclite est la transformation comme passage du même au tout autre. L’intuition des éléments du cosmos est l’intuition de l’être toujours autre et jamais du même. Nous ne touchons pas deux fois le même être, au moment où nous portons la main sur une chose, elle a déjà cessé d’être ce qu’elle était. Car tout s’écoule ; l’être est évanescent et éphémère. Nul être n’est identique à lui-même : «le froid devient chaud, le chaud froid, l’humidité sec et le sec humide. »[11] La vraie essence de la nature est à chercher le devenir ainsi qu’il se constate. La stabilité, le permanent et l’identique ne sont des réalités de notre cosmos toujours fugace.
Le devenir héraclitéen est aussi celui de la cohabitation des contraires et par là, la discorde est le spectacle de l’hylô. « La guerre est le père de toutes choses et le roi de toutes choses (…) Dieu est jour et nuit, hiver et été, surabondance et famine.»[12] Au cœur du cosmos le devenir est donc la discordance des éléments contraires parfois opposés. La discordance est également la différenciation. Dans le vivant comme dans la matière cohabite les opposés, les contraires, les divergences : « ce qui est en nous est toujours un et le même : vie et mort, veille et sommeil, jeunesse et vieillesse, car le changement de l’un donne l’autre, et réciproquement.»[13] On pourrait dire par là qu’Héraclite est le père de la pensée dialectique avant Hegel. La lutte est le phénomène originel que tout.
Au delà de toute ce changement l’Un se pose peut être saisi en son devenir et sa discordance interne. Une pensée très embarrassante dans la mesure où il allie devenir pur et l’Un comme possible. Elle est embarrassante aussi car le devenir et la discorde originelle pose qu’il y a à la fois de l’être et du non-être. Nous sommes et nous ne sommes pas dit-il. Pour résoudre ce problème et formuler la possibilité de l’Un Héraclite en appelle au feu comme principe même de la réalité physique. Tous les corps doivent être considérés comme des transformations d'un seul et même élément, qui est le feu. Tout ce qui existe en dérive et tend à y revenir. L'air, l'eau sont du feu en voie d'extinction ou de renaissance; la terre et les solides sont, du feu éteint et s'embraseront de nouveau à l'heure marquée par le destin. Le feu est le principe même du devenir et de la discorde qui demeure identique en tout : l’Un harmonique. Mais le problème demeure, le feu est le même en tout. Mais il engendre de l’être et du non-être d’où la question de la possibilité même de la compréhension du cosmos qui est et n’est pas. La philosophie de la nature ionienne s’avère par là problématique. La logique d’Héraclite sera poussée plus loin par son fidèle disciple, Cratyle, pour qui on ne peut rien dire du tout. Scepticisme qui est le corollaire d’une véritable métaphysique de la pure mobilité. Plus tard des philosophes percevront la difficulté de possibilité d’une connaissance de la nature née de la cosmologie Ionienne. Ceux-ci constitue ce que l’histoire de la philosophie convient d’appeler les éléates.
2.2.            L’école Eléatique     
L'École Éléatique ou École d'Elée est aussi un courant cosmologique qui tire son nom d'Élée, ville de la Grande-Grèce. L'idée commune à tous les philosophes éléatiques, celle qui forme le lien de l'école, est l'idée de l'unité du divers matériel, de l'Être. Ils introduisirent dans la philosophie l’idée de l’Être, qui ne va plus cesser d’alimenter le discours philosophique. L 'Être considéré en lui-même, est Un, éternel, indestructible, immuable. Pour les Eléates, rien ne naît de rien et rien ne retourne à rien, seul l’Être est. Un principe qui fut d'abord présenté sous une forme théologique (unité de Dieu) par Xénophane de Colophon, qui l'opposa au polythéisme grec. Il fut, ensuite, établi métaphysiquement par Parménide, et par là ce philosophe fut amené à faire une distinction : il y a le monde physique, connu par les sens, domaine de l'apparence et le monde réel ou intelligible, connu par la raison, objet de la science.
Enfin Zénon et Mélissus de Samos entreprirent de défendre dialectiquement le principe posé par le maître et de répondre aux objections qu'il avait suscitées de toutes parts; il s'agissait notamment de prouver que le monde sensible, étant multiple et changeant, ne saurait avoir d'existence réelle. C'est pour soutenir cette polémique que Zénon d'Elée inventa ces arguments célèbres, improprement nommés sophismes, tels que l'Achille et la Flèche qui vole, qui ont donné lieu à tant de discussions et encore de nos jours. On s'est assez souvent mépris sur le caractère propre de l'école d'Elée. Elle n'est pas aussi idéaliste qu'on l'a souvent dit. Cet Être, dont elle proclame l'unité, est étendu c'est le monde ou la substance universelle. Aristote, et il semble que ce soit à bon droit (si l'on veut bien considérer ce mot au sens étymologique, qui fait de la nature et des faits concrets, le centre de leurs préoccupations), considère les Eléates comme des physiciens. Malgré l'opposition qu'ils font entre les sens et la raison, on ne doit pas les considérer comme de purs dialecticiens; la dialectique chez eux n'est pas le principe, mais le résultat de leurs opinions métaphysiques. 
L'école d'Elée a exercé une grande influence ; d'après Ed. Zeller, « elle est le moment décisif de l'histoire de l'ancienne spéculation ». Ce n'est pas par un changement qualitatif de l'être, mais par des combinaisons variables d'éléments immuables que tous ces systèmes expliquèrent le monde. Plus que personne peut-être, Platon s'attacha aux principes éléatiques; c'est d'eux que procède directement la théorie des Idées. Enfin, l'école de Mégare, et par elle une partie au moins de l'école sceptique, se rattache à l'enseignement des philosophes d'Elée.
2.2        Les philosophes éléatiques
Les principaux représentants de l'école d'Elée sont : Parménide et Zénon. Xénophane de Colophon est le fondateur ; mais ce fut Parménide qui exposa dans son ensemble la doctrine de l'Être, Un et absolu. Chez Xénophane elle garde encore quelque chose de l'esprit des Ioniens, la pluralité; mais avec Parménide l'idéalisme éléatique apparaît dans toute sa rigueur.
Xénophane de Colophon né vers 570 avant J.-C. Il est probable qu'il conçut à la manière des Ioniens le monde comme une transformation de plusieurs principes, tels que l'eau, l'air et le feu. Mais en Italie il subit l'influence des Pythagoriciens. Il se débarrassa de l'anthropomorphisme et s'éleva, dit-on, à la conception d'un Dieu unique qui n'est pas l'unité abstraite, mais un être réel. « Il n’y a qu’un seul dieu, maître souverain des dieux et des hommes, qui ne ressembles aux mortels ni par le corps ni par la pensée.» (De la Nature).
Zénon d’Elée (489-460) fut élève de Parménide. Il s’attaqua tout comme son maître à la cosmologie des Ioniens et leurs partisans.  Il est surtout célèbre à cause de ses apories qui prouvent que le mouvement n’est pas intelligible parce que ce n’est pas possible. Le mouvement fait appelle au multiple et au non-être ; donc le mouvement n’est pas. Toute objet mobile doit parcourir d’abord la moitié de son trajet, puis la moitié de la moitié ainsi de suite de suite jusqu’à l’infini car l’espace et le temps sont indéfiniment divisible. Les deux exemples qu’il évoque et qui ont été par l’histoire philosophie sont celui de la flèche  et d’Achille aux pieds légers comme mentionné plus haut. Il s’agit bien là une négation d’un principe élémentaire de la nature que les thèses de Parménide porté à un plus haut niveau devient purement négation du monde sensible pour la simple raison que dans le réalité Achille rattrape bien la torture et la flèche sa cible.
·         Parménide (515-450 av JC)
 Tout comme Héraclite, la figure de Parménide nous intéresse à plus d’un titre. Sa pensée est à la limite une négation de la l’existence matérielle. Parménide reçut les leçons des pythagoriciens et de Xénophane. Il vint à Athènes avec son disciple  Zénon, vers 540 avant J.-C., et il fit une grande impression. Parménide exagère la doctrine de Xénophane, son maître; il nie tout devenir, toute multiplicité, et il ne reconnaît d'existence et de réalité qu'à l'unité, à l'Etre un, immuable et éternel. Dans la première partie de son livre, intitulée : Ce qui se rapporte à la vérité, et qui est une théorie de la vérité, il dit : « On ne peut connaître ni exprimer le non-être; il ne reste donc plus qu'une voie pour poser l'Etre et dire : il est ». Dans la seconde partie, intitulée Ce qui se rapporte à l'opinion, il fait une concession au sens commun et il expose sa doctrine sur l'apparence, c'est-à-dire sur ce qui est phénomène et connu par les sens. Il faut comprendre sa pensée comme une réaction à la cosmologie du devenir et du mouvement des ioniens, surtout d’Héraclite. Il prend simplement le contrepied d’Héraclite et se contente de l’Être. L’existence fondamentale est le seul objet de connaissance. il n’ ya pas de science du multiple car le multiple renvoie à l’individualité de chaque chose et ne peut permettre à l’intelligence humaine de la connaître ; l’homme connaît l’universel et il est Un. Ainsi le seul monde capable d’être connu n’est pas le monde qui est donné dans notre expérience spontanée, mais celui qui vient du témoignage de la raison. A partir d’ici se dessine une longue crise pour la philosophie de la nature.
II.                Une philosophie en crise avec Parménide et Platon
1.      Parménide et le problème de la connaissance du cosmos
La philosophie de la nature à partir de la réfutation éléatique du cosmos ionien deviendra une philosophie en crise ; la crise se situe au niveau de sa méthode et de son objet. Une crise qui sera qui reste attachée à son histoire.
Parménide introduit une dichotomie entre la méthode philosophique d’alors pour concevoir l’univers. Il y a d’une part le positivisme, intuitif, une expérience spontanée de l’univers qui est trop sensualiste et le rationalisme qui seul peut atteindre la réalité concrète des choses. En effet nous voyons clairement la séparation entre positivisme et rationalisme a son origine chez Parménide. La dichotomie en elle ne pose n’est pas problématique, en revanche lorsqu’elle accorde plus de crédit au rationalisme voilà la grande crise qu’elle engendre. Peut-on prétendre connaitre le monde matériel sans partir de l’expérience ? Il s’agit bien du monde que l’on sent et que l’on vit.
Mais pour Parménide les sens ne donnent accès qu’à une réalité illusoire. C’est ce qui a conduit les ioniens à percevoir que ce qu’il y a de plus éphémère et de plus des plus impensable : le devenir, le multiple. Les sens n’offre pas la réalité universelle qui l’Être, mais les éléments individu fugace qui caractérise un certain passage du non-être à l’être. Ceci est une illusion car le néant ne peut engendrer que le néant. Ainsi il n’y a que la raison qui touche à l’essence du cosmos qui peut voir la réalité fondamental, Un. De l’Être provient de l’être. Ainsi que le dit Parménide : « tu ne réussiras pas à couper l’Être de sa continuité avec l’Être, de sorte que il ne se dissipe au-dehors, ni il se rassemble.»
Partant, la cosmologie devient impossible, si l’on doit exclure les données de l’expérience sensible et cela est impossible car il s’agit bien du monde de  physis. Le rationalisme Parménidéen donne une autre forme de discours de l’univers ; « alors que pour les milésiens tout était inclus dans la physis, et que, donc toute réalité relevait d’un discours physique, pour les Eléates une nouvelle science est fondée, celle de l’être immobile et identique à lui-même. Pour eux, tout est donc justiciable de l’ontologie, y compris la physique.»[14] Cela se justifie dans la mesure où les thèses cosmologiques poussées à l’extrême engendrent du scepticisme. S’il y a à la fois du non-être et de l’être, et que ce mouvement est perpétuel, le discours devient vide et impossible. Or il faut que le discours dise l’Être et non des apparences de l’Être. La méthode adéquate pour dire l’être est donc la dialectique : « mais toi, de cette route de recherche écarte ta pensée. Et que l’habitude engendrée par une multitude d’expériences ne te forces pas, selon ce chemin à jeter un œil aveugle, à tourner une oreille ou une langue remplie de bruit. Mais discerne par la raison, le « logos » aux multiples ressources qui est par moi proclamé »[15] La connaissance sensible devient spécieuse. Le Logos dont il s’agit ici n’a une fonction cosmique. Il se repose sur lui-même pur intellect.
La crise de la méthode engendre une remise en cause de l’objet. Pour ce faire il est établit deux mondes celui du sensible et celui de l’Être qui est le vrai. L’existant matériel n’est plus à l’ordre des choses connaissable que comme imparfait. Parménide se tourne donc tu monde qui se trouve dans l’intelligence humaine. Mais de quel monde s’agit-il ? Le monde de l’Etre, un monde sphérique ou tout est stabilité et permanence. Ou tout simplement ce qui existe sans être objet matériel sensible. Parménide a tenu à éviter de poser la question de l’étoffe de la nature ; la réponse n’a pour lui aucune valeur de vérité. Il faut selon laisser la physis, pour toucher l’ontos, il faut poser la question de l’existence radicale seule question susceptible de conduire à la vérité, à l’alètéa.
La philosophie de nature qui cherche à comprendre le principe de la matière de l’univers, sa signification, doit donc avec Parménide changer non seulement de méthode mais aussi d’objet. Socrate et Platon son disciple fera peu ou prou l’écho de cette crise engendrer par les Eléates.
2.      Platon et la négation de la réalité matérielle
Philosophie de la nature avec Socrate sera simplement abandonnée à la lumière de la critique de Parménide. En effet la philosophie de la physis n’a plus de prestige parce que trop attaché à la réalité factice du cosmos et qui plus est ne donne pas accès à la vraie essence du monde comme.  Socrate ira jusqu’à nier lors de se procès qu’il n’est jamais abonner à cette spéculation sur la physis.
Platon va parachever la crise portée à la philosophie de la nature par Parménide. De l’abandon par Socrate, Platon arrivera à une dénégation pure et simple d’une spéculation sur la nature sensible comme connaissance scientifique. En effet, pour Platon les prétentions des présocratiques à une connaissance de l’essence que monde matériel n’est pas de la philosophie proprement parlant, mais de l’opinion que les anciens grecs appellent la doxa. La doxa n’est pas une connaissance, mais une imagination, une supputation ou une supposition de connaissance imparfaite. Dès lors on ne peut pas se fier à celle-ci pour fonder un discours cohérent et intelligible sur le monde. Parlant du monde comme point départ de toute philosophie, Platon fait une division entre un vrai monde et non pas un faux monde mais un monde pâle comme participation du premier.
Le premier monde dont s’il s’agit chez Platon est le monde de la vraie réalité seule capable d’être objet de science et de discours scientifiques. C’est le monde des idées pures, et des choses en soi. Il a plus de consistance que le monde de notre expérience spontanée. Contempteur du phénomène naturel du changement et du devenir, Platon fait un déplacement de la réalité des choses sensibles dans les idées que nous avons d’elles. Ce sont-elles qui sont plus réelle que les choses dont elles sont les idées. Car il voit en les idées, des états purs, stables, immuables et éternels car lorsque les choses ne sont plus sous nos sens leurs idées restent encore et toujours en notre intellect. Le seconde monde n’a pas de réalité ou n’est pas la vraie réalité qui puisse susciter de la science. Ce monde renferme plutôt des images qui plus est pâles du monde des idées. (Voir le livre VII de la République sur le mythe de la caverne). Les choses que nous touchons, nous sentons, que nous constatons changeantes et périssables sont sans valeur et sans réalité. Selon l’analogie du mythe de la caverne les choses sensibles sont des ombres.
Platon porte ainsi une critique dure à l’encontre de la philosophie de la nature. En déniant à son objet le statut de réalité indépendamment de nos idées, il ruine ainsi toute possibilité de philosophie de la nature. Désormais pour Platon il n’y a de philosophie que des idées pures, formes parfaites et éternelles. Nous voici loin des considérations cosmologiques. La philosophie des idées, celle qui fait abstraction de l’expérience voilà la nouvelle marche que doit emprunter la philosophie. Le monde intelligible est le seul lieu philosophique. La dialectique est la méthode privilégiée pour arriver à connaître les essences pures. Il s’agit pour l’intelligence humaine partir des idées présentent en elle depuis la naissance pour atteindre pas à pas l’idée suprême qui est le Bien en soi. La vraie connaissance scientifique est spéculation et rationalité pure. Elle a sont aboutissement dans la contemplation de l’idée du Bien. La cosmologie captive de la matière et des sens n’atteint que les ombres fuyantes et doit être dès lors abandonnée comme science de l’univers. La matière est non-être et donc aucune science de ce qui n’est pas n’est possible.
Par ailleurs Platon a eu le mérite de jeter les base d’une vrai philosophie à savoir une réflexion rationnelle qui touche à la vie nature des choses qui se trouve être l’idée. L’idée c’est en effet la forme d’une chose qui détermine celle-ci telle et qui transcende son individualité pour atteindre l’universelle. La science est connaissance de l’universelle et non de l’individuel. Mais le problème de Platon est qu’il nie la réalité même des choses dans leur singularité ou individualité. Or qu’est-ce que l’universel sans l’individuel ?
Nous voilà dans une impasse que doit surmonter la philosophie de la nature ; car la matière bien qu’elle soit selon Platon le pâle reflet des idées, fugace et mouvant, est toutefois posée et demeure objet des sens. Il faut attendre Aristote pour résoudre cette crise.
III.             Aristote et la refondation de la philosophie de la nature   
1.      La physis selon Aristote
Aristote disciple de Platon se présente dans son traité sur la Physique comme le refondateur de la philosophie de la nature mise à mal et pourtant nécessaire par les éléates et Platon. Contre Platon, Aristote vient redresser toute la philosophie et contre les cosmologues ou les physiciens, il vient refonder la connaissance du cosmos. En réfutant l’idéalisme platonicien, Aristote parvient en définitive à donner à l’intelligence humaine une prise effective sur la réalité matérielle de la nature. Il faut donc réhabilité la réalité matérielle objet de notre intuition sensible. Le monde intelligible de Platon, désincarner de la matière sera pour le stagirite insuffisant pour rendre compte de l’essence réelle des choses corporelles.
Les essences pures ou les formes viennent des objets sensibles eux-mêmes. Aristote rejette l’idée connaissance pure des essences dans une vie antérieure. Il faut unir les formes intelligibles, le monde des idées au monde sensible. Il n’y a pas d’idée archétype selon Aristote, c’est une simple fiction et cela a mis en péril la connaissance philosophique dans son ensemble. Il y a dans les choses un élément intelligible et immatériel, Aristote le reconnais ; et c’est ce qu’il appelle forme et qui correspond à leur essence ou à leur nature. A la place du concept d’idée Aristote préfère le concept forme et l’accouple avec la matière qui reçoit celle-ci.  La forme est constitutive de la substance des choses et donc ne peut être séparée de celles-ci. Elle est forme de la substance qui est dit aussi substrat qui se trouve être la matière. Dans cette unité de la forme et de la matière l’objet de la philosophie de la nature est réhabilité. La réalité matérielle changeante et périssable n’est plus un pâle reflet du monde intelligible. En outre, pour le stagirite la présence du devenir dans le monde physique n’exclue pas la possibilité de l’existence de la permanence dans les êtres mouvants. Le cosmos n’est pas devenir pur comme le soutient Héraclite mais il est aussi stabilité. « s’il n’y a pas de science du singulier sensible comme tel, une science est possible portant sur la réalité sensible, parce qu’il y a, incarné pour ainsi dire dans cette réalité, quelque chose d’intelligible et d’immatériel. Ainsi le monde des corps n’est pas objet pur d’opinion, exprimable seulement en mythe et en apologues, il est objet de science, d’une science qui est la physique.»[16]
La science physique est possible grâce à deux concepts clés qu’Aristote y introduit pour expliquer le devenir : l’acte et la puissance[17]. Par ces deux concepts il parvient à formuler une loi du devenir et de la corruption du monde physique. Le devenir est accomplissement de toute chose en sa nature vraie en acte qui n’apparait pas d’emblée et qui est contenu en elle comme à advenir. Le devenir est qualifié comme un passage de la puissance à l’acte. Par là le devenir est sous le pouvoir de la raison humaine et peut se constituer comme objet de connaissance qui est proprement celle de la philosophie de la nature ou la physique. Ainsi l’accès au monde sensible fait trouver quatre causes dans la réalité des choses en acte et en puissance : la cause finale, matérielle, formelle et efficiente[18]. C’est selon les quatre causes que seront appréhendés les rapports entre les phénomènes naturelles et étants naturels. Mais pour le stagirite la cause formelle et matérielle est ce qui concerne le plus la philosophie de la nature[19].
En outre, se démarquant de Platon, qui considère que la dialectique est la seule méthode scientifique et philosophie valable pour atteindre les essences ou les idées, Aristote distingue entre la dialectique et l’analytique. La dialectique, ou art de la discussion (dialektikè), qui propose les règles de la pensée dialoguée, ne fait que vérifier la cohérence logique des opinions probables ; l’analytique procède déductivement à partir de principes certains, fondés sur l’expérience et l’observation précise. C’est ainsi que la philosophie de la nature prend un nouveau départ. La méthode analytique sera pour Aristote la méthode par excellence de la philosophie et tous les domaines de la connaissance. Par exemple la physique, la mathématique, et la métaphysique ou philosophie première diffèrent seulement par leur objet, non par la faculté qu’elles mettent en œuvre qui est identique pour les trois. (Que les étudiants fassent un exposé sur la physis selon Aristote)  
2.      L’apport de Saint Thomas d’Aquin (1227-1274) : la philosophie de la nature à l’époque médiévale.
Après Aristote la philosophie de la nature connaîtra un développement au cours du moyen avec l’apport considérable du docteur angélique, qui va mêler la théologie à la philosophie. S’appuyant sur les thèses d’Aristote par son hylémorphisme, l’unité de la matière et de la forme et par l’introduction du principe du devenir comme acte et puissance à l’intérieur de la réalité sensible, Saint Thomas d’Aquin affirme avec certitude l’existence du monde sensible comme provenant de Dieu et allant à Dieu ; Dieu comme cause première de toute chose. La connaissance de Dieu est possible par la connaissance de la nature et cette connaissance est d’ordre sensible et intellectuel. Ce sont les deux moyens inséparables pour parvenir à la connaissance de l’univers.   
L’homme connait la nature par un processus alliant expérience et intellectus. La connaissance est le fruit d'un processus cognitif d'abstraction qui conduit l'esprit humain de l'expérience sensible et matérielle à la connaissance immatérielle de l'intellect. La connaissance sensible est médiation pour une connaissance immatérielle. Dans une objection du De Veritate, il résume ce principe par l'adage scolastique nihil est in intellectu quod non sit prius in sensu[20] (« Rien n'est dans l'intelligence qui n'ait été d'abord dans les sens »). Ce qui est dans l'intelligence est donc abstrait des images fournies par les sens. La réalité matérielle n'est donc pas en dehors de l'être humain, comme chez Platon, mais elle ne relève pas uniquement du sensible, comme dans le nominalisme qui suivra Thomas d'Aquin (par exemple chez Guillaume d'Occam). La meilleure exposition de la théorie de la connaissance de Thomas d'Aquin se trouve dans la Somme théologique, Ire partie, de la question 84 à la question 89.
Dans la connaissance intellectuelle, l’intelligence est une puissance de l'âme qui met en rapport cette dernière avec l'être universel. En effet, l'intellect n'est pas la réalité tout entière, il est donc en puissance par rapport à elle. Et comme l'intellect est en puissance par rapport à la réalité, il est passif par rapport à la réalité[21]. L'intellect n'est rien mais peut tout devenir en ce qu'il reçoit, par le moyen des sens, l'impression de la réalité : il est donc l’intellect passif[22]. Le sens cause l'acte de la connaissance sensible par le mode de l'image. Mais c'est par l'action de l'intellect agent que cette connaissance sensible se transforme en connaissance intellectuelle[23]. Quelle est la modalité de cette action de l'intellect ? C'est l'abstraction[24]. L'homme ne connaît, tout d'abord, que par les sens. La faculté de connaître le sensible ne connaît que les singularités : on ne connaît par la sensibilité que les choses individuelle ; elle ne s’élève pas encore à l’universelle. Par exemple les sens donne accès qu’à cette pomme-là, ce chien-là, etc : « Toute puissance sensible ne connaît que les êtres particuliers. » (Somme théologique, qu. 85, art. 1) ; « notre intellect opère-t-il en abstrayant des images les espèces intelligibles ?»
L'épistémologie de Thomas d'Aquin se distancie partiellement du courant néo-platonicien selon lequel les sens ne fournissent que des informations spécieuses. Elle relève davantage de la rencontre de la philosophie réaliste d'Aristote et de la conviction de foi dans l'origine divine et la bonté de la création matérielle. Les facultés sensibles de l'homme sont donc intrinsèquement bonnes, créées sans intention de tromper pour permettre à l'homme d'accéder à la connaissance du Vrai et du Bien. En outre, la question de la connaissance sensible repose sur le problème de connaître des réalités inférieures à l'esprit : le monde corporel. L'homme est un être composé d'un corps et d'une âme qui connaît en puisant dans l'univers sensible. Les sens ne sont donc pas à renier puisque l'homme est un être corporel plongé dans un monde corporel : les sens lui permettent d'être relié à ce monde corporel. C'est surtout contre les platoniciens que Thomas d'Aquin veut réaffirmer, avec Aristote, la possibilité d’une connaissance de la Nature et par ricochet la raison d’être d’une philosophie de la nature.
La philosophie de la nature avec Thomas d’Aquin est une philosophie de la causalité et de l’hylémorphisme. L’univers thomiste est l’univers qui répond à la causalité quadripartite aristotélicienne :
  • La « cause matérielle » est ce qui dans le sujet est susceptible de recevoir une détermination ;
  • la « cause formelle » est ce en quoi l'effet est, ce qui fait qu'il est ce qu'il est ;
  • la « cause efficiente » est ce qui effectue le changement ; Dieu est le premier moteur du mouvement;
  • la « cause finale » est ce vers quoi le changement se produit est Dieu.
Les deux premières causes sont dites « intrinsèques » en ce qu'elles constituent l’univers en son être même, et les deux dernières causes sont dites « extrinsèques », car elles ne sont pas constitutives de son être. C’est aussi grâce ces principes de causalité que l’univers peut être appréhendé comme matière et forme.
La « forme » est le principe intrinsèque et constitutif d'un être. Elle est donc aussi principe d'espèce et elle constitue ce que Thomas d'Aquin appelle l'essence. La « matière » est ce qui dans un être reçoit la forme, c'est-à-dire une détermination quelconque. L’intellect humain connaît la forme à partir de l'image sensible fournie par les sens : elle abstrait une forme individuée dans une matière corporelle ; elle abstrait par exemple l'idée d'homme de tel homme en particulier. L'intelligence connaît la nature des choses en abstrayant les singularités d'une chose en particulier. L'idée se forme en abstrayant de l'intelligible dans les données de l'expérience sensible ; c'est exactement le sens de ce passage : « Or, connaître ce qui existe dans une matière individuelle, mais non en tant qu’elle existe dans telle matière, c’est abstraire de la matière individuelle la forme que représentent les images » (Somme théologique, qu. 85, art. 1).
 Nous comprenons maintenant pourquoi la connaissance intellectuelle est dite abstraite. Mais il existe plusieurs niveaux d'abstraction, selon que l'intelligence abstrait plus ou moins du singulier dans une chose. Suivant le degré selon lequel l'intellect abstrait des images sensibles des formes intelligibles, l'essence de la chose (res) s'en retrouve plus ou moins éloignée de ses qualités sensibles premières. Par le procédé d'abstraction, l'intelligence explore à diverses profondeurs ou zones d'intelligibilité la chose même. Il est possible d'en distinguer trois :
  1. Laissant de côté les caractères singuliers de la chose, on découvre les natures et les lois universelles de cette chose. On trouve à ce degré les sciences expérimentales telles que la physique ou la biologie. Ces sciences découvrent la forme de la chose dans ses caractères sensibles mêmes ;
  2. laissant de côté les propriétés physiques et sensibles de la chose, on ne considère plus que l'accident quantité ; on retrouve à ce degré la mathématique, qui ne s'occupe que des relations quantitatives dans la nature même de la chose, ou dans ses relations avec les autres choses ;
  3. laissant de côté les quantités et les propriétés physiques des choses, on est dans la métaphysique, qui est donc la science la plus abstraite en ce qu'elle ne s'occupe que de l'être de la chose en tant qu'être, c’est-à-dire qu'elle traite de l'ontologie. C'est donc par là même qu'elle est la science la plus « universelle » et la plus « abstraite ».
Le mérite du docteur angélique est d’avoir donné à la Nature sa lettre de noblesse et à la philosophie de la nature une réponse claire sur la signification du monde : un monde créer et voulu par Dieu et qui a son accomplissement en Dieu. Ainsi donc, Dieu comme principe du monde physique sera au centre de tous et justifiera tout. Ainsi l’époque médiévale va se focaliser sur l’explication théologico-rationnelle de l’univers.
  1. L’univers clos le géocentrisme (exposé)
Le géocentrisme est un modèle physique ancien et erroné selon lequel la Terre se trouve immobile, au centre de l'univers. Cette théorie date de l'Antiquité et a été notamment défendue par Aristote et Ptolémée. Elle a duré jusqu’à la fin du XVIe siècle pour être progressivement remplacée par l'héliocentrisme, selon lequel la Terre tourne autour du Soleil. Le modèle de Ptolémée a été abandonné suite à la précision croissante des mesures qui ne permettait plus de tolérer les erreurs qu'il engendrait. Le géocentrisme est autant une tentative scientifique d'expliquer l'univers qu'une conception philosophique de ce monde. Un principe régit toutes les théories géocentriques, un deuxième la plupart : la Terre est le centre de l'univers, immobile de lieu (par l'an) et de position (par jour) : les changements des saisons et de jour et nuit se font donc par mouvements extérieurs à la Terre. les mouvements des planètes (au sens ancien, le mot planète inclut le Soleil et la Lune, mais pas la Terre) doivent être parfaits, donc seul le cercle est autorisé, les mouvements angulaires ou rectilinéaires étant considérés comme brusquement abrupts, forcés.

VI.             L’avènement et le développement des sciences de la nature  à l’époque moderne : le statu privilégié des sciences de la nature
    1. La mise en crise : l’utilité de la Nature
La longue période médiévale a consisté à mettre Dieu au centre du discours philosophique sur la nature et a trouvé en lui les réponses du sens de la nature. A partir du XVe siècle l’époque de la renaissance il y a un besoin de faire retour à la sagesse des anciens, ses premiers cosmologues qui crurent en la capacité de la raison, et non en les mythes et les théogonies, pour comprendre l’univers. Ainsi l’image traditionnelle du monde avec Dieu au centre est rejeter comme archaïque. Ce retour aux anciens est joint à un besoin d’orienter la connaissance de la nature sur une voie plus efficiente et plus profitable à l’homme. C’est Descartes (1596-1650) qui le premier à l’orée de la modernité annonce une certaine aspiration humaine à l’utilité de la connaissance pour l’épanouissement concret de la vie. Sur la base de l’utilité pour la vie humaine Descartes établit une distinction entre les sciences qui sera, par après, au détriment de la philosophie de la nature. Il accorde dès lors à la philosophie (la philosophie de Descartes s’identifie à la métaphysique qui pour lui est la philosophie première et la racine de toutes les autres sciences) un statu purement spéculatif non utilitaire pour les besoins concrets de l’humanité. L’aboutissement de la connaissance doit servir la cause de la conservation de la vie humaine, de son épanouissement concret ; la connaissance doit se faire pragmatique.
A ce propos Descartes écrit : « car elles m’ont fait voir qu’il est possible de parvenir à des connaissances qui soient fort utiles à la vie, et qu’au lieu de cette philosophie spéculative, qu’on enseigne dans les écoles, on en peut trouver une pratique, par laquelle connaissant la force et les actions du feu, de l’eau, de l’air, des astres, des cieux, et de tous les autres corps qui nous environnent, aussi distinctement que nous connaissons les divers métiers de nos artisans, nous les pourrions employer en même façon à tous les usages auxquels ils sont propres, et ainsi nous rendre comme maîtres et possesseurs de la nature. Ce qui n’est pas seulement à désirer pour l’invention d’une infinité d’artifices, qui feraient qu’on jouirait, sans aucune peine, des fruits de la terre et de toutes les commodités qui s’y trouvent, mais principalement aussi pour la conservation de la santé, laquelle est sans doute le premier bien et le fondement de tous les de tous les autres biens de cette vie »[25]. Il s’agit pour Descartes et pour les modernes d’édifier une nouvelle science si nécessaire et si infaillible pour servir l’homme. Le dessein est clairement défini et plusieurs savants s’en feront échos. Le rapport de l’homme à la nature va par conséquent changer ; il faut dompter la nature pour mieux l’asservir. En effet, tandis que Descartes parle de devenir maîtres et possesseurs de la nature, Francis Bacon (1561-1626) affirme qu’il est important de se mettre à l’école de la nature pour mieux la dominer. Pour ce dernier on peut vaincre la nature qu’en lui obéissance[26]. « Le but de Bacon, n’est pas a proprement parler, la connaissance, mais la puissance de la nature, c’est science opératoire.»[27]. La philosophie est dès lors disqualifiée quant à répondre au besoin de posséder et de domination de la nature. Ce qui fait dire à Karl Marx que ce qui est nécessaire de faire c’est moins une interprétation du monde qu’une œuvre de transformation de celui-ci. Lorsque la connaissance de la nature prend la voie de l’utilité pragmatique et fonctionnelle, la philosophie de la nature perd sa place de prédilection et les données sur la nature auxquelles elle donne accès ne sont plus adaptées qui plus est son considérée comme désuètes. En effet les données philosophiques depuis les présocratiques jusqu’au moyen âge sont des données qualitatives et désintéressées. Or les aspirations de l’homme modernes et contemporain appellent à des données quantitatives sur la nature.
    1. De la l’interprétation qualitative de la Nature à la quantification des phénomènes Naturels
A partir de la volonté cartésienne et de baconienne de posséder et de dominer la nature la philosophie de la nature qui est interprétations de la nature cède le pas à la nouvelle science (ou aux nouvelles sciences) de la nature qui se veut fonctionnelle. Pour la simple raison qu’elle (la philosophie) est de type qualitatif. Par type qualitatif, nous entendons par là que la connaissance philosophie se borne à nous donner une interprétation de la nature en ce qui concerne son principe, sa valeur et son sens comme essence et comme finalité. Des philosophes et des savants initient dès lors une nouvelle approche de la nature qui répond à la qui pose la question du comment la nature et les phénomènes qui y apparaissent. Par cette question les visions du monde et de la nature changent ; la nature du philosophe n’est plus la nature du scientifique.
Les notions de principe et de sens de la nature sont remplacées par la découverte des lois de la nature. En effet les scientifiques se rendent compte que les phénomènes naturels obéissent des lois naturelles et qu’il convient de déceler afin de maitriser leurs cours d’apparitions. Ainsi c’est Galilée (1564-1642) le physicien et l’astronome qui le premier découvre que les lois naturelles auxquelles obéissent tous les phénomènes naturels sont transcrites en langage mathématique. Il crée une science physicomathématique  de la nature capable de prévoir les phénomènes. Il ne dit pas quelle est l’essence des choses mais il montre, par les épreuves, que les mathématiques, avec leurs, nombres, leurs triangles, leurs cercles, en somme leurs figures géométriques, sont le seul langage capable de déchiffrer le livre de la nature[28].  La métaphore de la nature comme un livre est éloquent ; les lignes de ce livre sont comme des codes mathématiques. Autrement dit, la Nature tient un discours mathématique à l’homme. Galilée s’intéresse plus à cette méthode de déchiffrement de ce code qu’à la nature des êtres. Cette nouvelle approche de la nature sera essentiellement une compréhension mathématique de celle-ci – ce qui nous ramène aux pythagoriciens pour qui les nombres gouvernent le monde. Ce qui impose les mathématiques comme prémium scientia.
Les sciences de la nature donnent accès à une compréhension de la nature de type quantitative en claire la réalité naturelle peut être mesurée et classifiée et assignée des  bornes numérique. « A partir de ce moment, les progrès des mathématique vont marcher de pair avec ceux de la physique, ce qui imposera au philosophe une nouvelle manière de poser le problème du rapport de l’esprit, autour des mathématiques, et de la nature qu’il interprète par elles. »[29]  Il y a de ce fait un changement de méthode et par là la méthode philosophique s’avère inefficace pour les lois de fonctionnement du monde. Les sciences de la nature qui sont de type quantitative sont en ce sens privilégiées et ont une préséance sur la philosophie. D’où la crise moderne de la philosophie de la nature qui met en exergue une nécessité sans doute de coopération entre le philosophe et le scientifique. Cette crise a été possible grâce à la découverte de la méthode expérimentale qui est proprement scientifique et positive.
La méthode expérimentale est ainsi définie par le chimiste Michel-Eugène Chevreul en 1856 : « Un phénomène frappe vos sens ; vous l’observez avec l’intention d’en découvrir la cause, et pour cela, vous en supposez une dont vous cherchez la vérification en instituant une expérience. Le raisonnement suggéré par l'observation des phénomènes institue donc des expériences (…), et ce raisonnement constitue la méthode que j’appelle expérimentale, parce qu’en définitive l’expérience est le contrôle, le critérium de l’exactitude du raisonnement dans la recherche des causes ou de la vérité »[30]. Cette méthode a été centrale dans la révolution scientifique accomplie depuis le XVIIe siècle, en donnant naissance aux sciences expérimentales. Parmi ceux qui ont rendu célèbre la méthode expérimentale, il convient de citer le physicien et chimiste irlandais Robert Boyle, ainsi que le médecin Claude Bernard. Les étapes de la méthode expérimentale ont été résumées par le sigle OHERIC, schéma très simplificateur, et des modèles plus proches d'une méthode expérimentale authentique ont été proposés. Le sigle OHERIC (Observation, Hypothèse, Expérience, Résultats, Interprétation, Conclusion) désigne la succession d’étapes d’un modèle idéalisé de démarche scientifique.
 La première compréhension de l’univers qui fut celle de la philosophie de la nature avait pour méthode l’expérience spontanée qui offrit une interprétation qualitative du monde D’ailleurs cela a conduit à une conception parfois erronée de la nature : comme chez Aristote la loi de chute des corps, le géocentrisme etc. qui été corriger soit par newton avec la loi de la pesanteur  soit par Copernic avec l’héliocentrisme.
 


[1]Emile BREHIER, Histoire de la philosophie, Quadrige /Puf, nouvelle édition, Paris, 2009, p.46.
             [2] ibid., p. 45.
[3] Pierre PELLEGRIN, in note introductive de  Aristote, Physique, GF Flammarion, Paris, 2002, p.21.
[4] Cf. fragment 15.
[5] Jacques MARITAIN, Eléments de philosophie, introduction générale à la philosophie, Pierre Téqui,                  Paris, 1930, p.23.
[6] Ibid., p.24.
[7] Cf. Emile BREHIER, L’histoire de la philosophie, op.cit., p. 37.
[8] Cf. Jeanne HERSCH, L’étonnement philosophique, une histoire de la philosophie, éd. Folio essais Gallimard, Paris, 2002, p.11.
[9] J. Maritain, op.cit, p.24.
              [10] Ibid., p.25.
[11] Fragment 126.
[12] Ibid., 53. 67.
[13] Ibid., 88.
[14] Pierre PELLEGRIN, op.cit., p.14.
[15] Parménide, Fragment, 7.
[16] J. Maritain, Eléments de philosophie, T.I, introduction générale à la philosophie, op.cit., p.53.
            [17] Aristote, physique, op.cit., p. 110.
[18] Ibid., pp.130-131
[19] Ibid., p.124.
[20] ·  « Nihil est in intellectu quod non sit prius in sensu. » (Thomas d'Aquin, De veritate, Questio 2, art. 3, argumentum 19 . Sur la réception de cet adage hors de l'école thomiste, voir J. Cranefeld : « On the Origin of the Phrase : Nihil est in intellectu quod non prius fuerit in sensu », Journal of the History of Medicine and Allied Sciences (Oxford), 1970 XXV(1):77-80.
[21] Pierre Rousselot, l'intellectualisme de saint Thomas, bibliothèque des archives de philosophie, 3e édition et Somme théologique, Ia, qu. 79, art. 2, respondeo
[22] Étienne Gilson, Le Thomisme, VRIN, 2000, chap. VI, p. 263 et chapitre VII, p. 280 : Connaissance et vérité : « considéré sous son aspect le plus humble, l'intellect humain apparaît comme une puissance passive »
[23] Somme théologique, Ia, qu. 84, art. 6, resp
[24] Pierre Rousselot, l'intellectualisme de saint Thomas, bibliothèque des archives de philosophie, 3e édition, notamment les pages 92, 93, 103, 104 et Étienne Gilson, Le Thomisme, VRIN, 2000, chapitre VII, p. 283, 284.
[25] René DESCARTES, Discours de la méthode suivi des Méditations, présentation et annotation par François Misrach, Bibliothèque10/18, Paris, 1951, pp. 90-91.
[26] Cf. Francis BACON, Novum organum, p.101.
[27] Emile BREHIER, op.cit, p. 743.
[28] Ibid., p.724.
[29] Ibid.
[30] Chevreul Michel-Eugène, Lettres adressées à M. Villemain sur la méthode en général et sur la définition du mot "fait" : relativement aux sciences, aux lettres, aux beaux-arts, etc., etc., Paris, Garnier Frères, 1996, p. 27-29.

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