LA MODERNITE
Dr. Ezouah leon
I.
Entre
Ancien régime et Nouveau régime
1. Bref aperçu du moyen âge
2. Rejet de dieu ou
anthropocentrisme : sécularisation et découverte de l’individu
II.
La
raison et la raison instrumentale comme
éléments catalyseurs de la modernité
1. La science et la technique
2. Une nouvelle vision de la politique et de l’économie
3. La religion face à la modernité
III.
Un
regard sur l’Afrique
1. L’emprise des traditions en Afrique
2. Une modernisation lente ou un refus
de la modernité
CONCLUSION
INTRODUCTION
La modernité est un concept qui n’appartient à aucune
discipline, ni à la sociologie, ni à la philosophie, ni à l’économie, ni à la
politique. C’est un mode de civilisation qui se veut rupture d’avec la
tradition de l’époque médiévale. Elle n’a pas de protagonistes nommés, l’agent
moteur est la raison elle-même qui se redécouvre. Cependant son point de départ
fut l’Europe avant de parvenir au monde entier. La modernité est omni présente
et pourtant elle demeure une notion confuse qui connote une évolution historique (elle commence à partir du XVIèmes
et prend fin au XXème siècle) et un changement de mentalité. Ce
changement de mentalité se veut radical et bouleversement, se veut aussi
progrès. Qu’en est-il ? L’occident a transporté la civilisation de la
modernité dans le monde entier en Afrique également. Cependant l’Afrique est
elle rentrer dans la civilisation de la modernité ?
Telle est la préoccupation qui
constitue la trame de notre étude sur la modernité. pour ce faire nous allons
dans une premier temps montrer en quoi consiste la modernité et voire comment
elle s’applique en Afrique.
I. ENTRE ANCIEN
REGIME ET NOUVEAU REGIME
1.1
Bref aperçu du Moyen
Age
Nous nous sommes proposés avant tout propos de
faire un survol de la longue époque que fut le Moyen Age afin de mieux cerner
l’époque moderne. Sans nous attarder sur les querelles d’historiens quant à sa
délimitation dans le temps, nous pouvons dire que le Moyen Age commence au Ve
siècle et prend fin au début du XVIe
siècle. Le Moyen Âge est défini par
opposition à la Renaissance qui l'aurait suivi. Le terme
est pris en mauvaise part et traduit le mépris affiché des savants pour une
époque jugée « obscure » ou « gothique ». Il faut attendre
le XVIIIe siècle et les
écrits d'Herder,
de Joseph de Maistre ou d'Edmund Burke
pour que la période reçoive un traitement historiographique plus généreux[].
Ce qui caractérise cette période longue de 1000
ans est qu’elle fut régentée par le christianisme qui innervait toutes les
classes sociales. On assiste à la propagation de la civilisation
chrétienne ; toute l’Europe hormis les contrés d’obédience musulmane était
chrétienne. Le christianisme est au cœur de l'histoire médiévale : il
modèle la pensée de la période, principalement en raison de son universalisme
et à cause de la montée en puissance, en Occident, de l'Église catholique
organisée autour de la papauté de Rome.
Les frontières de l'Occident médiéval qui échappe à toute unité politique, se
confondent aussi avec celles de la chrétienté.
La connaissance à l’époque médiévale
est circonscrite dans le cadre de la révélation chrétienne ; la foi est la
mesure de la connaissance ; l’Eglise impose la foi comme norme de vérité.
On explique tout par la transcendance, le sacré. Dieu est le principe
explicatif du monde. Au niveau politique, le pouvoir est théocratique. C’est
Dieu qui donne le pourvoir au roi. Aussi, l’homme dans le corps politique se
défini par rapport à la société. C’est elle qui donne sens et valeur à son
existence et à son activité. La communauté
transcende l’individu et le soumet à ses règles. Il se définit par
rapport au tout.
Au niveau scientifique, la connaissance reste
improductive parce que trop liée aux prescriptions bibliques. Elle se borne à
interpréter les écritures ou la Révélation.
La pensée scolastique en ait le sommet. Tout était ramené à
la théologie. Ainsi nous avons une interprétation chrétienne du platonisme avec
St Augustin, de l’aristotélisme avec Thomas d’Acquin. Du point de vue de la
technique cette période demeure dans l’ensemble agricole, sans évolution
technique pour ainsi dire, archaïque. L’art est essentiellement religieux, le
style gothique. Il consiste en la reproduction des scènes bibliques, de
l’univers ecclésiastique, de l’hagiographie, l’angélologie etc.
En clair, pour les occidentaux l’époque
médiévale représente l’enfance de l’humanité, une époque de tâtonnement et de
stagnation intellectuelle. Ce qui fait dire à Jacques LE GOFF que
« l’occident médiévale est un monde médiocrement équipé »[1].
1.2. Rejet de Dieu ou anthropocentrisme :
sécularisation et découverte de l’individu
La modernité se pose comme un avènement de nouveauté, un
changement de paradigme par rapport au Moyen Age. Avec la modernité l’on change
de repère ; les repères traditionnels ne servent plus à rendent compte de
la nature, et des phénomènes naturels. Il ne s’agit plus de comprendre l’homme
et de son univers par la métaphysique ou par la mystique. Les modernes
renoncent à Dieu comme source de compréhension. Dieu n’est plus au centre des
débats comme celui qui rend intelligible l’homme à lui-même. C’est désormais
l’homme qui est au centre de l’univers et tout gravite autour de lui. Il ne se
rapporte pas au tout, cependant le tout se définit en fonction de l’homme pris
dans son individualité. Il s’agit de l’homme autonome celui qui s’émancipe ou
qui s’est émancipé de la transcendance et du sacré. L’homme moderne comprend
que « ni la société, ni l’histoire,
ni la vie individuelle (…) ne sont soumise à la volonté d’un être suprême à
laquelle il faudrait se soumettre ou sur laquelle on pourrait agir par
magie »[2].
L’individu est lui-même porteur de sens ; il est capable de donner du sens
à lui-même, et à son environnent. Il faut dès lors tout désacralisé.
Les
modernes commencent donc à séculariser la connaissance avant d’aller plus loin
dans le processus de sécularisation. En découvrant en l’homme la capacité de
connaître par lui-même, l’esprit moderne marque une rupture avec les croyances
et superstitions traditionnelles passées qui étouffaient la connaissance et
l’individu. La logique de la modernité fait l’économie de la pensée
scolastique. Il faut donner naissance à une nouvelle manière d’appréhender les
choses sans Dieu. Il n’est pas question encore d’athéisme ou de négation de
Dieu. Ce qui viendra plus tard. Il est question de remplacer Dieu ou les
ancêtres par une autorité venant de l’homme lui-même à condition qu’il soit
guidé par des principes universalisables plutôt qu’assujetti à ses penchants ou
à ses intérêts. En outre, pour l’esprit moderne naissant l’homme n’est plus le
coupable, le déchu qui aurait besoin du secours de Dieu en toutes ses
actions ; il est tout simplement le capable. « De siècle en siècles, les modernes ont cherché un modèle
naturelle de connaissance scientifique de la société et de la personnalité, que
ce modèle soit mécaniste, organiciste, cybernétique ou qu’il repose sur une
théorie générale des systèmes. Et ces tentatives ont constamment été soutenues par la conviction qu’en faisant du
passé table rase on libère les êtres humains des inégalités transmises, des
peurs irrationnelles et de l’ignorance »[3].
Au départ l’entreprise des modernes fut de libérer la connaissance des
« méandres » des croyances traditionnelles. D’où un retour à la
raison comme moyen adéquat et privilégié pour libérer la science.
II. LA RAISON ET LA RAISON INSTRUMENTALE
COMME ELEMENTS CATALYSEURS DE LA
MODERNITE
2.1L’éclosion de la science et de la technique
Le point
culminant de l’époque de la modernité fut le XVIIIème siècle dit
siècle des lumières avec l’émergence de la philosophie des lumières.
L’expression les lumières renvoie au mot des philosophes pour décrire leur
attitude : éclairer toutes choses à la lumière de la raison. Les lumières
ne font qu’un retour en arrière pour retrouver la raison chez les anciens
c’est-à-dire chez les grecs de l’antiquité. En effet ces derniers ont tout
bâtit à partir de la raison. C’est en réalité à une redécouverte de celle-ci
que les philosophes des lumières (Montesquieu 1689-1755,
Voltaire1694-1778, Rousseau 1712-1778, Diderot 1713-1784) ont conduit
l’époque moderne. Pour eux, la raison est au fondement du réel. Descartes en
tant que précurseurs des lumières avait déjà perçu que le langage de la nature
est un langage mathématique ce qui signifie que la nature est du domaine de la
pure rationalité et que l’on peut et doit l’appréhender par la raison. « La raison devient le seul souverain
auquel chaque homme accepte de se soumettre »[4].
La raison
dont il est question chez les modernes n’est pas celle de la theoria des anciens grecs qui est
contemplation. C’est d’abord la raison comme démonstrations et argumentations
au service de la justification[5] ;
c’est ensuite la raison comme réflexion critique, « on peut alors comprendre ainsi qu’elle est, sous cette
condition, principe d’elle-même, sous la forme d’une immense réflexion qui
rassemble en elle toutes les dimensions de la réalité »[6]. Enfin pour les modernes la raison est
calcul ; elle est évaluation des possibilités de l’homme. Elle est calcul
de l’efficacité de l’action ; en ce sens la raison est pouvoir.
La raison
ainsi définit est ce qui préside désormais à la science moderne. La science
dans le premier tiers du XVIIe siècle est empirique. Le savoir empirique
procède par observations, inductions et inférences, qui lui permettent
d'établir des corpus solides de savoirs vérifiés et véridiques, mais lui interdisent
l'accès à des explications autres que tautologiques ou fantaisistes. La science
adopte une démarche toute différente. Elle part d'une hypothèse élaborée par le
chercheur, dont il déduit des propositions à vérifier au contact de faits.
Comme l'expérimentation a peu de chances de parvenir d'emblée à des vérités
établies, il faut recommencer le travail de conceptualisation, de déduction et
d'expérimentation, ce qui engage la science dans une exploration à travers le
temps par une ou des communautés de pairs compétents. L'aboutissement est une
explication du réel, rendue possible par la capacité humaine à décoder le
langage dans lequel la réalité est écrite. La révolution copernicienne est
l’expression patente du progrès de la science.
En outre, la science devient une connaissance
pratique et utile. Par exemple « les
méditations sur l’âme ont été remplacées par la dissection des cadavres ou
l’étude des synapses du cerveau »[7] qui
permet à la médecine d’évoluer dans la recherche médicale. La science expérimentale
se fait de plus en plus efficace à mesure qu’elle se positive. La recherche
scientifique est plus que jamais orientée vers l’épanouissement concret de
l’individu. Les scientifiques privilégient la recherche utilitariste. Dès lors
la science se présente comme une panacée pour l’homme.
La technique qui est l’application effective et
efficiente des résultats de la nouvelle science soumet la nature à l’homme
comme l’avait affirmé Rousseau[8].
Le développement de la technique à l’époque moderne est sans précédant ;
on assiste à l’éclosion des inventions entre autres la création de la machine à
vapeur rotative de James Watt (1784), l’invention de l’imprimerie, le
perfectionnement des voies et moyens de communication comme le chemin de fer,
développement du transport maritime avec la construction des grands navire à
vapeur. En effet, l’homme moderne
grâce au progrès de la technique est devenu maître et possesseur de la nature.
Avec la technique la raison s’instrumentalise d’où la notion de raison
instrumentale. Charles Taylor la définit en ces termes : «par raison
instrumentale, j’entends cette rationalité que nous utilisons lorsque nous
évaluons les moyens les plus simples de parvenir à une fin donnée. L’efficacité
maximale, la plus grande productivité mesure sa réussite »[9]. L’homme
est plus outillé à face aux phénomènes jadis incompréhensibles et
insurmontables. La raison qui s’est détachée des croyances traditionnelles se
montre plus conquérante. Les vérités scientifiques sont dorénavant plus
apodictiques que les vérités révélées.
2.2. Une nouvelle vision de la politique et de
l’économie
Le fait majeur de la modernité, nous l’avons
déjà mentionné plus haut, est qu'elle met en scène l’homme pris dans son
individualité qui est à lui-même son propre fondement et sa propre fin,
indépendamment de toute référence à une transcendance. L'individualisme et la
liberté sont des notions fondamentales et caractéristiques de la logique de la
modernité tant dans le domaine politique que dans le domaine économique, et, qui
plus est, elles sont l'alpha et l'oméga caractéristiques des
revendications de la vie moderne. La modernité
est un changement de paradigme politique dans la manière dont l'homme va se
représenter le monde. Situé dans la vie Antique dans un réseau de rapports
hiérarchiques selon sa participation à la vie politique et religieuse,
l'individu va progressivement faire prévaloir sa volonté
d'agir dans la communauté politique, par le biais du consentement,
grâce auquel il abandonne une partie de sa puissance pour bénéficier de droits. On peut dire de la
modernité politique que son fondement s'articule autour de la théorie du contrat (cf. Hobbes, Rousseau,
Locke,). L'homme de la modernité va être celui qui accède au statut d'homme
libre et partant, de citoyen (cf. John Locke). De l'ancienne aristocratie, on
retiendra quelques privilèges, mais la tendance de la modernité est une
égalisation des droits, une tendance à nourrir une passion de l'égalité
(Tocqueville). En effet, l’idée de contrat
social met en exergue le droit naturel, les libertés individuelles, l’égalité
de tous les hommes, la justice sociale etc. il n’est plus question de pouvoir
de droit divin. La légitimité du pouvoir réside non pas en Dieu et en l’Eglise
mais dans l’individu. Cette notion de contrat social a abouti à la mise en
place partout en Europe de la démocratie, celle dite représentative. Le
principe fondateur du régime politique est l'enracinement des relations de
pouvoir dans ceux qui, réunis par les circonstances dans un destin commun, sont
conduits à obéir à ceux d’entre eux qu'ils délèguent, à titre temporaire,
circonscrit et réversible, à la gestion des affaires communes à tous. Ce qui
implique, de la part de leurs délégués, compétence et dévouement au bien
commun. L’expression la plus patente de la modernité politique fut la révolution
française de 1789 qui a su résumer les idéaux de la modernité à savoir la
liberté, l’égalité et la justice. L’individualisme comme « la plus belle
conquête de la modernité »[10],
a abouti en économie au
capitalisme.
L’autre nom de la modernité économique, est
le capitalisme. Il consiste en une augmentation à très long terme de la
production et de la consommation, rendue possible par des gains cumulés de
productivité. Les ressources sont multipliées par une gestion plus efficace de
leur rareté. Cet exploit prolongé sur des siècles est, en fait, une conséquence
indirecte des autres développements. En effet, le capitalisme repose sur quatre
fondements : Premièrement, les droits de propriété garantis par la loi et
appliqués à tous les facteurs de production sont une expression directe du
régime démocratique, qui repose de nature sur la loi et le droit. Deuxièmement,
La gestion des échanges et des partages sur des marchés soustraits à la
violence et à la ruse est procurée par ce même régime et par le respect de la
sphère privée. La liberté des initiatives est garantie par la démocratie et
mise en oeuvre par l'individuation. Troisièmement, les gains de productivité et
les innovations sont rendus possibles par les applications tirées des progrès
de la science et des sciences. Celles-ci, en effet, en parvenant à des
explications, permettent de surmonter le partage entre nature et artifice et
font des humains des démiurges. Enfin, quatrièmement la dynamique du mouvement
est à rapporter à la séparation tendancielle de l’économique des autres ordres
d’activité. L’avènement du capitalisme a favorisé la révolution industrielle
amorcée en Angleterre en 1780, l’économie de marché, le développement du
commerce transcontinentale etc. Par exemple, à l’ère du capitalisme « la production agricole était déjà en
priorité destinée au marché (…) l’agriculture était prête à assurer ses
trois fonctions fondamentales dans une ère industrialisation : accroître
sa production et sa productivité, afin de nourrir une population non agricole
en rapide montée ; fournir un surplus de plus en plus large de main
d’œuvre potentielle pour les villes et les industries ; procurer enfin un
mécanisme pour l’accumulation de capitaux à utiliser dans les secteurs plus
modernes de l’industrie »[11].
La plus grande partie du XVIII siècle fut une époque de prospérité et
d’expansion économique confortable[12].
Cela ne fut pas sans conséquences sur
2.3 La religion face à la modernité
A l’époque médiévale il y
avait confusion entre l’Etat et la religion (l’Eglise), mais l’Etat moderne
établit désormais une séparation claire entre le pouvoir politique et l’Eglise.
Cette séparation marque pour l’Eglise et pour la religion un nouveau mode de
présence dans l’Etat. Elle n’est plus systématiquement engagée dans les affaires
de l’Etat. Et l’Etat lui-même définit un
nouveau type de rapport avec l’Eglise et avec tout ce qui est religieux.
La
société moderne connaît le pluralisme religieux : diverses religions se
retrouvent dans un même Etat. Le rapport de l’Etat avec l’Eglise et les autres
religions se pose donc autrement qu’il ne le faisait dans le passé. Une
coexistence pacifique entre l’Etat et les religions et entre les religions
elles-mêmes doit être assurée. L’Etat moderne opte pour la liberté de
conscience et la liberté religieuse, afin de permettre à tout individu de
pratiquer la religion de son choix en toute sécurité. Le choix de la liberté
religieuse, fondée sur la liberté de conscience, répond donc à un souci de
tolérance.
De la tolérance de l’Etat,
John Locke établit le principe dans sa Lettre
sur la tolérance. Le principe de toute tolérance en matière de religion est
la liberté de conscience. En effet « la liberté religieuse n’est qu’un cas
d’application de la liberté de conscience. Elle est la liberté (…) pour les
individus de professer une foi religieuse personnelle en conformité avec leur
conviction de conscience »[13].
L’individu est seul capable d’opérer ces choix fondamentaux. Il fait ce que sa
conscience lui dicte de faire, il a le droit de suivre ses convictions les plus
profondes pourvu que cela ne dérange pas l’ordre public. « Chacun,
dit Locke, se joint volontairement à la société dont il croit que le culte est
plus agréable à Dieu »[14].
Pour lui, la religion relève du for interne, avant d’être manifestée à l’extérieur ;
« toute l’essence et la force de la vraie religion consiste dans la
persuasion absolue et intérieure de l’esprit »[15].
Dans ce contexte de liberté
religieuse, la religion relève de la sphère privée. Elle (Eglise ou religion)
devient tout simplement, comme le dit Locke, « une société d’hommes, qui
se joignent volontairement ensemble pour servir Dieu en public et lui rendre le
culte qu’ils jugent lui être agréable, et propre à leur faire obtenir le
salut »[16]. Le
droit positif lui réserve la même place qu’aux autres associations privées à
caractère apolitique. Elle fait partie du droit privé dans l’Etat. La pensée
moderne a ainsi engendré en matière religieuse la laïcité. De la sécularisation
des différents domaines de la connaissance on aboutit à la laïcité des
institutions de l’Etat.
Par ailleurs, on assiste à
une dépréciation de la religion. Pour certains, la religion relève de
l’obscurantisme. Ses préceptes sont perçus comme allant contre l’évolution, le
progrès de la civilisation. Selon les termes de Karl Marx elle est
« l’opium du peuple » ; elle endort les consciences et les
détourne de la vraie réalité. Ici nous pensons à toutes les critiques des
maîtres du soupçon (Karl Marx, Nietzsche et Freud) ; leurs critiques n’ont
pas eu moins d’influence dans l’émergence de la laïcité d’Etat que dans le
domaine intellectuel. Les Etats laïcs manifestent chacun de façon particulière
leur laïcité. Il y a diverses formes de laïcité : l’on parle de laïcité
française, de laïcité américaine etc. Cependant de part et d’autre la tendance,
nous l’avons déjà mentionné, est d’occulter toute référence à la religion dans
les décisions politiques.
Dieu et le sacré reste en
dehors de l’action de l’Etat. L’exemple le plus patent est la suppression des
crucifix dans les écoles et l’interdiction du port de signes religieux dans les
lieux publics en France. Le cas français, quoique radical, reflète la situation
de du fait religieux dans les Etats modernes laïcs.
III. UN REGARD
SUR LA MODERNITE EN
AFRIQUE
1.
l’emprise des traditions en Afrique
On a coutume d’entendre « l’Afrique des traditions ». Ceci explique que la
rupture d’avec les traditions n’est pas opérée ou bien est-elle en partie
faite. La tradition reste aujourd’hui à l’ère de la modernité comme un arrière
fond qui assure l’identité d’une tribu, d’une ville ou d’une nation en Afrique.
La tradition réglemente la vie de l’homme l’africain quand il se soumet à ses
exigences soit de sacrifier au bois ou à la forêt sacré, soit d’observer les
totems liés au génie protecteur du village etc. Ainsi en Côte d’Ivoire
lorsqu’on évoque le Masque appelé « goli » on pense au peuple baoulé. Et
ce masque n’a pas moins d’emprise sur eux que le christianisme au moyen âge en
Europe.
La modernité en Afrique
n’est peut pas perçue comme une rupture d’avec les superstitions et les
croyances traditionnelles. L’univers Africains ne se détache pas de ces
croyances traditionnelles même aujourd’hui. Le religieux et le profane ne se
dissocient pas. Le sacré se rencontre par tout, on ne peut pas appliquer la
maxime de Rousseau à savoir « se rendre maître et possesseur de la nature ».
La nature dans la cosmogonie africaine est legs des ancêtres. Ainsi donc, on ne
peut travailler sur la terre, sur la nature c’est l’accord de ces derniers.
C’est pourquoi l’on rencontre parfois des opposions et des résistances quand il
s’agit d’entreprendre de grand travaux comme la construction des routes, de
pont, de barrage hydraulique, l’ouverture d’une embouchure, etc.
Ce qui fait dire à Alphonse QUENUM « qu’une analyse de la société
africaine en ce début du XXIe siècle qui ne tiendrait pas compte du
poids du phénomène religieux pècherait gravement par omission. On ne peut
s’empêcher de se poser la question de savoir pourquoi le nom de Dieu se porte
si bien en Afrique et les hommes si mal »[17].
Cette dernière préoccupation de QUENUM montre le
revers de cette donne. L’homme est pris
dans le moule des superstitions qui enchaînent la raison humaine. En effet,
« dans cette atmosphère de crédulité
et de superstitions, il est difficile de développer une rationalité positive
pour organiser une société moderne portée par des normes respectées et
protectrices de tous »[18].
Pour parvenir à une société moderne l’Afrique doit se libérer de l’emprise de
dieux et des ancêtres afin de libérer la raison et la raison instrumentale. La raison
instrumentale va permettre également aux africains d’apporter des solutions à
leurs problèmes existentielles. Toutefois il ne s’agit de rejeter systématiquement les traditions pour être
dans l’ère de la modernité. Il marquer une rupture avec toutes les pratiques et
croyances traditionnelles qui étouffe la raison. La rupture ne doit pas être
radicale.
2. Une modernisation lente ou un refus de la
modernité
L’Afrique ne devrait pas aussi porter un regard critique sur sa tradition
qui constitue quelquefois un poids, un handicap à sa propre réalisation ?
En effet au moment où les autres peuples opèrent un tournant décisif de leur
histoire, en rompant avec les croyances ancestrales, l’Afrique fait toujours
recours au passé et pose elle-même un refus catégorique à son développement.
Par exemple pour justifier un comportement ou un fait qui peut surprendre, il
n’est pas rare d’entendre l’affirmation suivante : « C’est ainsi chez
nous, au village depuis toujours, selon les coutumes. » Alors que la
question qu’il fallait se poser est celle-là: pourquoi précisément c’est
ainsi et il n’aurait pas pu en être autrement ? C’est un sacrilège de
chercher à la poser. L’absence d’une telle question confère au passé
traditionnel d’être une référence absolue, transcendantale et normative.
« Ainsi sont encore invoqués
l’esprit des ancêtres, on offre des libations à des antiques divinités pour
obtenir d’elles protection contre les esprits maléfiques qui hanteraient le
présent et l’avenir. Mais, chercher de magique façon, une sécurité dans le
passé en l’invoquant et en s’y dissolvant soi- même, n’est-ce pas avoir perdu
le sens de l’aventure créatrice ? Se demande le philosophe DIBI »[19] En effet Descartes n’a pas proposé
sa méthode dans le vide. N’a-t-il pas dépassé consciemment la tradition latine
pour choisir le français comme langue d’accès à la vérité ?
L’ère de la modernité n’est plus d’imiter les ancêtres par obligation.
C’est ce que doit comprendre l’Afrique. Il est donc nécessaire d’arracher
l’Afrique à ses vieilles habitudes afin de l’aider à se forger une nouvelle
volonté. Il est vrai ce ne sera pas une tache facile, mais il faut oser. Ce n’est
pas ce qu’évoquait déjà KÂ MANA comme difficulté qu’il appelle :
« l’enflure de l’irrationnel »qui constitue la bataille à engager
pour cette modernité qui prend racine dans cet amalgame culturel, dans l’esprit
fétichiste et magique. De nos jours l’africain doit supporter l’effort de la
lucidité, de l’argumentation, et ne doit pas s’installer dans une
« chaleur tranquille », dans une sorte de « bonheur
végétatif », somnolent sans inquiétude aucune. On note d’une part
l’absence de culture de compétition, de concurrence qui sont autant des
facteurs endogènes de développement. L’Afrique reste encore attachée à cette
croyance que l’innovation n’était pas le fait des hommes mais des dieux. Au
lieu d’aller sur le terrain de la compétition mondiale, on note plutôt une
sorte d’auto retrait du monde et donc une auto condamnation à demeurer en
arrière. Pouvons-nous relever de cette façon le défit mondial auquel nous
sommes confrontés aujourd’hui ?
L’Afrique n’est obligée de suivre le modèle de modernité de l’occident
qui est essentielle rupture avec les traditions. Elle peut s’appuyer sur les
traditions en leurs éléments qui libèrent la raison humaine et qui rend l’homme
responsable de son devenir. Pour un effet de temps ou d’époque, tous les peuples
sont dans la modernité soit en tant que producteur d’effets modernes soit en
tant que consommateur. L’Afrique a appris à consommer, elle doit produit son
effet de modernité sur un model qui lui est propre[20]. Le
passage de la société de consommation à une société de production doit s’opérer
à tous les niveaux.
Pour ce faire, une révolution s’avère urgente. Cette révolution que nous
pourrons appeler une la révolution africaine doit commencer dans le domaine
intellectuelle et scientifique et mettre en branle toutes les couches sociales.
Ne pourrait-elle pas fonctionner comme une idéologie endogène même si le terme
idéologie est mal vu aujourd’hui ? Elle consistera à réinventer l’univers
africains, réinviter un type nouveau de progrès qui allie tradition et modernité.
La révolution africaine doit aboutir à l’avènement d’une nouvelle civilisation
qui réconcilie tradition ancestrale et exigences actuelles sans toutefois
rejeter le modèle occidental. Il ne s’agit pas de s’enfermer sur soi. Nous
avons déjà connu l’impérialisme occidental qui a déjà modifié profondément nos
cultures et nos comportements, c’est donc impossible de faire marche arrière.
La modernité occidentale sert de modèle
non pas à imiter dans le sens de calquer, mais d’exemple. Ainsi nous
verront ce qui a fait la force de celle-ci et ce qui occasion ses faiblesses
afin de les éviter. Par exemple dans les pays hautement industrialisés le
système écologie est en dégradation ; ce qui occasionne l’apparition de
nouvelles maladies et la prolifération de types nouveaux cancers. Dans ces pays
la raison instrumentale est allée trop loin, elle a même instrumentalisé
l’homme.
CONCLUSION
La modernité est le triomphe de la raison sur
les croyances traditionnelles voire la destruction de celles-ci. Elle est voulue comme une époque libératrice de
l’emprise des croyances traditionnelles, du sacré, de Dieu etc. par la seule
raison. L’époque moderne a fait de la raison l’unique moyen de découvrir les
lois du monde. La raison s’est instrumentalisée et a conduit l’homme moderne
sur la voie du progrès. En tant que
synonyme de progrès du à l’avancée de la
science, la logique moderne à aboutit à faire de l’homme « maître
et possesseur de la nature ». Un autre pan de la modernité est l’exaltation
de l’individu. L’individualisme et la liberté, l’égalité et la justice sont en
réalité des notions clés de la modernité. Cependant, l’homme exalté comme seule
capable de créer du sens et des valeurs n’a plus de repère ; il s’est
substitué à Dieu. Il est devenu le centre de gravité de tout : l’économie
et la politique se définissent par rapport à la l’individu. Cette forme de
modernité s’est transposer en Afrique sans toutefois que celle-ci l’ait
embrassée. La tradition y reste toujours vive et les superstitions hantent
toujours l’esprit des africains. L’Afrique est par l’effet du temps dans la
modernité seulement comme consommatrice. Il est temps qu’elle produise son
propre effet de modernité qui allie tradition et modernité sans rejeter
systématiquement le modèle occidental ni le calquer.
BIBLIOGRAPHIE
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Jean-Claude MARGOLIN, L’avènement des temps modernes,
paris, PUF, 1977 ;
Jean-Jacques ROUSSEAU, Discours sur l’origine de l’inégalité parmi
les hommes, coll10\18, Paris, 1974 ;
John Locke, Lettre sur la tolérance, Paris, Collection 10/18, 1973 ;
K. DIBI, Afrique et son autre : la différence libérée, Ed Strética
Diffusion, 1994 ;
Louis Janssens, Liberté de conscience et liberté religieuse, Paris, DDB, 1964 ;
Réné BUREAU, Anthropologie,
religions africaines et christianisme, Karthala, Paris, 2002 ;
Revue Sciences Humaines, n°73, juin
1997 ;
Simone WEIL, La condition ouvrière,
Paris, Gallimard, 2002.
[1] Jacques LE GOFF, La civilisation de l’occident médiéval,
Paris, Flammarion, 1997, p. 170
[2] Alain TOURAINE, Critique de la modernité, Fayard, Paris,
1992, p .26
[3] Idem.
[4] Jean ETIENNE, « La
modernité, une tradition sociologique », in revue sciences humaines, n°73 juin 1997, p. 14
[5] « Deux types d’opérativité
semble avoir joué un rôle particulier décisif dans l’émergence du concept de
raison : la démonstration et l’argumentation. Dans toutes les démarches
impliquées, explicitement ou implicitement, dans les démonstrations ou
argumentations, on a toujours affaire à un processus de justification c’est toujours
en vue de la justification qu’elle opère » Jean LADRIERE,
« l’intelligence de la foi et le devenir de la raison » in Dieu et la raison, l’intelligence de la foi
parmi les rationalités contemporaines, sous direction de François BOUSQUET,
Philippe CAPPELLE, Bayard, Paris, 2005, p15
[6] Idem, p.16
[7] Alain TOURAINE, op.cit.,
p.26
[8] Cf. ROUSSEAU, Discours sur l’origine de l’inégalité parmi
les hommes
[9] Charles TAYLOR, Le malaise de la modernité, trad.
Charlotte MELANÇON, Cerf, Paris, 2005, p.12
[10] Cf. Charles TAYLOR, Le malaise de la modernité, trad.
Charlotte MELANÇON, Cerf, Paris, 2005, p.10
[11] Eric J. HOBSBAWM, L’ère des révolutions 1789-1848, Paris,
Hachette littérature, 2002, p.46
[12] Idem.
[13] Louis Janssens, Liberté de conscience et liberté religieuse,
Paris, DDB, 1964, p.171
[14] John Locke, Lettre sur la tolérance, Paris,
Collection 10/18, 1973, p.9
[15] Idem., p. 10
[16] Ibid.
[17] Alphonse QUENUM,
« l’Etat des lieux de la société africaine, éclairée par son
histoire » in L’Afrique sera-t-elle
catholique ? Des religieux s’interrogent, AASS, L’Harmattan, Paris,
2008, p. 110
[18] Idem., p .111
[19] K. DIBI, Afrique et son autre : la différence
libérée, Ed Strética Diffusion 1994
p 59
[20] Réné BUREAU, Anthropologie, religions africaines et
christianisme, Karthala, Paris, 2002, p.106
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