vendredi 3 octobre 2014

LA MODERNITE EN AFRIQUE



                                           LA MODERNITE
Dr. Ezouah leon 
I.                   Entre Ancien régime et Nouveau régime
1.     Bref aperçu du moyen âge
2.     Rejet de dieu ou anthropocentrisme : sécularisation et découverte de l’individu

II.                La raison  et la raison instrumentale comme éléments catalyseurs de la modernité
1.      La science et la technique
2.      Une nouvelle vision de la politique et de l’économie
3.      La religion face à la modernité

III.             Un regard sur l’Afrique
1.     L’emprise des traditions en Afrique
2.     Une modernisation lente ou un refus de la modernité

CONCLUSION













INTRODUCTION
La modernité est un concept qui n’appartient à aucune discipline, ni à la sociologie, ni à la philosophie, ni à l’économie, ni à la politique. C’est un mode de civilisation qui se veut rupture d’avec la tradition de l’époque médiévale. Elle n’a pas de protagonistes nommés, l’agent moteur est la raison elle-même qui se redécouvre. Cependant son point de départ fut l’Europe avant de parvenir au monde entier. La modernité est omni présente et pourtant elle demeure une notion confuse qui connote une évolution  historique (elle commence à partir du XVIèmes et prend fin au XXème siècle) et un changement de mentalité. Ce changement de mentalité se veut radical et bouleversement, se veut aussi progrès. Qu’en est-il ? L’occident a transporté la civilisation de la modernité dans le monde entier en Afrique également. Cependant l’Afrique est elle rentrer dans la civilisation de la modernité ?
            Telle est la préoccupation qui constitue la trame de notre étude sur la modernité. pour ce faire nous allons dans une premier temps montrer en quoi consiste la modernité et voire comment elle s’applique en Afrique.

I. ENTRE ANCIEN REGIME ET NOUVEAU REGIME

1.1  Bref aperçu du Moyen Age

Nous nous sommes proposés avant tout propos de faire un survol de la longue époque que fut le Moyen Age afin de mieux cerner l’époque moderne. Sans nous attarder sur les querelles d’historiens quant à sa délimitation dans le temps, nous pouvons dire que le Moyen Age commence au Ve siècle et prend fin au début du  XVIe siècle.  Le Moyen Âge est défini par opposition à la Renaissance qui l'aurait suivi. Le terme est pris en mauvaise part et traduit le mépris affiché des savants pour une époque jugée « obscure » ou « gothique ». Il faut attendre le XVIIIe siècle et les écrits d'Herder, de Joseph de Maistre ou d'Edmund Burke pour que la période reçoive un traitement historiographique plus généreux[].
Ce qui caractérise cette période longue de 1000 ans est qu’elle fut régentée par le christianisme qui innervait toutes les classes sociales. On assiste à la propagation de la civilisation chrétienne ; toute l’Europe hormis les contrés d’obédience musulmane était chrétienne. Le christianisme est au cœur de l'histoire médiévale : il modèle la pensée de la période, principalement en raison de son universalisme et à cause de la montée en puissance, en Occident, de l'Église catholique organisée autour de la papauté de Rome. Les frontières de l'Occident médiéval qui échappe à toute unité politique, se confondent aussi avec celles de la chrétienté. 
            La connaissance à l’époque médiévale est circonscrite dans le cadre de la révélation chrétienne ; la foi est la mesure de la connaissance ; l’Eglise impose la foi comme norme de vérité. On explique tout par la transcendance, le sacré. Dieu est le principe explicatif du monde. Au niveau politique, le pouvoir est théocratique. C’est Dieu qui donne le pourvoir au roi. Aussi, l’homme dans le corps politique se défini par rapport à la société. C’est elle qui donne sens et valeur à son existence et à son activité. La communauté  transcende l’individu et le soumet à ses règles. Il se définit par rapport au tout.
Au niveau scientifique, la connaissance reste improductive parce que trop liée aux prescriptions bibliques. Elle se borne à interpréter les écritures ou la Révélation. La pensée scolastique en ait le sommet. Tout était ramené à la théologie. Ainsi nous avons une interprétation chrétienne du platonisme avec St Augustin, de l’aristotélisme avec Thomas d’Acquin. Du point de vue de la technique cette période demeure dans l’ensemble agricole, sans évolution technique pour ainsi dire, archaïque. L’art est essentiellement religieux, le style gothique. Il consiste en la reproduction des scènes bibliques, de l’univers ecclésiastique, de l’hagiographie, l’angélologie etc.
En clair, pour les occidentaux l’époque médiévale représente l’enfance de l’humanité, une époque de tâtonnement et de stagnation intellectuelle. Ce qui fait dire à Jacques LE GOFF que « l’occident médiévale est un monde médiocrement équipé »[1].
           
1.2. Rejet de Dieu ou anthropocentrisme : sécularisation et découverte de l’individu 

La modernité se pose comme un avènement de nouveauté, un changement de paradigme par rapport au Moyen Age. Avec la modernité l’on change de repère ; les repères traditionnels ne servent plus à rendent compte de la nature, et des phénomènes naturels. Il ne s’agit plus de comprendre l’homme et de son univers par la métaphysique ou par la mystique. Les modernes renoncent à Dieu comme source de compréhension. Dieu n’est plus au centre des débats comme celui qui rend intelligible l’homme à lui-même. C’est désormais l’homme qui est au centre de l’univers et tout gravite autour de lui. Il ne se rapporte pas au tout, cependant le tout se définit en fonction de l’homme pris dans son individualité. Il s’agit de l’homme autonome celui qui s’émancipe ou qui s’est émancipé de la transcendance et du sacré. L’homme moderne comprend que « ni la société, ni l’histoire, ni la vie individuelle (…) ne sont soumise à la volonté d’un être suprême à laquelle il faudrait se soumettre ou sur laquelle on pourrait agir par magie »[2]. L’individu est lui-même porteur de sens ; il est capable de donner du sens à lui-même, et à son environnent. Il faut dès lors tout désacralisé.
            Les modernes commencent donc à séculariser la connaissance avant d’aller plus loin dans le processus de sécularisation. En découvrant en l’homme la capacité de connaître par lui-même, l’esprit moderne marque une rupture avec les croyances et superstitions traditionnelles passées qui étouffaient la connaissance et l’individu. La logique de la modernité fait l’économie de la pensée scolastique. Il faut donner naissance à une nouvelle manière d’appréhender les choses sans Dieu. Il n’est pas question encore d’athéisme ou de négation de Dieu. Ce qui viendra plus tard. Il est question de remplacer Dieu ou les ancêtres par une autorité venant de l’homme lui-même à condition qu’il soit guidé par des principes universalisables plutôt qu’assujetti à ses penchants ou à ses intérêts. En outre, pour l’esprit moderne naissant l’homme n’est plus le coupable, le déchu qui aurait besoin du secours de Dieu en toutes ses actions ; il est tout simplement le capable. « De siècle en siècles, les modernes ont cherché un modèle naturelle de connaissance scientifique de la société et de la personnalité, que ce modèle soit mécaniste, organiciste, cybernétique ou qu’il repose sur une théorie générale des systèmes. Et ces tentatives ont constamment été  soutenues par la conviction qu’en faisant du passé table rase on libère les êtres humains des inégalités transmises, des peurs irrationnelles et de l’ignorance »[3]. Au départ l’entreprise des modernes fut de libérer la connaissance des « méandres » des croyances traditionnelles. D’où un retour à la raison comme moyen adéquat et privilégié pour libérer la science.

II. LA RAISON ET LA RAISON INSTRUMENTALE COMME ELEMENTS CATALYSEURS DE LA MODERNITE

2.1L’éclosion de la science et de la technique

 Le point culminant de l’époque de la modernité fut le XVIIIème siècle dit siècle des lumières avec l’émergence de la philosophie des lumières. L’expression les lumières renvoie au mot des philosophes pour décrire leur attitude : éclairer toutes choses à la lumière de la raison. Les lumières ne font qu’un retour en arrière pour retrouver la raison chez les anciens c’est-à-dire chez les grecs de l’antiquité. En effet ces derniers ont tout bâtit à partir de la raison. C’est en réalité à une redécouverte de celle-ci que les philosophes des lumières (Montesquieu 1689-1755, Voltaire1694-1778, Rousseau 1712-1778, Diderot 1713-1784) ont conduit l’époque moderne. Pour eux, la raison est au fondement du réel. Descartes en tant que précurseurs des lumières avait déjà perçu que le langage de la nature est un langage mathématique ce qui signifie que la nature est du domaine de la pure rationalité et que l’on peut et doit l’appréhender par la raison. « La raison devient le seul souverain auquel chaque homme accepte de se soumettre »[4]. 
            La raison dont il est question chez les modernes n’est pas celle de la theoria des anciens grecs qui est contemplation. C’est d’abord la raison comme démonstrations et argumentations au service de la justification[5] ; c’est ensuite la raison comme réflexion critique, « on peut alors comprendre ainsi qu’elle est, sous cette condition, principe d’elle-même, sous la forme d’une immense réflexion qui rassemble en elle toutes les dimensions de la réalité »[6].  Enfin pour les modernes la raison est calcul ; elle est évaluation des possibilités de l’homme. Elle est calcul de l’efficacité de l’action ; en ce sens la raison est pouvoir.
            La raison ainsi définit est ce qui préside désormais à la science moderne. La science dans le premier tiers du XVIIe siècle est empirique. Le savoir empirique procède par observations, inductions et inférences, qui lui permettent d'établir des corpus solides de savoirs vérifiés et véridiques, mais lui interdisent l'accès à des explications autres que tautologiques ou fantaisistes. La science adopte une démarche toute différente. Elle part d'une hypothèse élaborée par le chercheur, dont il déduit des propositions à vérifier au contact de faits. Comme l'expérimentation a peu de chances de parvenir d'emblée à des vérités établies, il faut recommencer le travail de conceptualisation, de déduction et d'expérimentation, ce qui engage la science dans une exploration à travers le temps par une ou des communautés de pairs compétents. L'aboutissement est une explication du réel, rendue possible par la capacité humaine à décoder le langage dans lequel la réalité est écrite. La révolution copernicienne est l’expression patente du progrès de la science.
En outre, la science devient une connaissance pratique et utile. Par exemple « les méditations sur l’âme ont été remplacées par la dissection des cadavres ou l’étude des synapses du cerveau »[7] qui permet à la médecine d’évoluer dans la recherche médicale. La science expérimentale se fait de plus en plus efficace à mesure qu’elle se positive. La recherche scientifique est plus que jamais orientée vers l’épanouissement concret de l’individu. Les scientifiques privilégient la recherche utilitariste. Dès lors la science se présente comme une panacée pour l’homme.
La technique qui est l’application effective et efficiente des résultats de la nouvelle science soumet la nature à l’homme comme l’avait affirmé Rousseau[8]. Le développement de la technique à l’époque moderne est sans précédant ; on assiste à l’éclosion des inventions entre autres la création de la machine à vapeur rotative de James Watt (1784), l’invention de l’imprimerie, le perfectionnement des voies et moyens de communication comme le chemin de fer, développement du transport maritime avec la construction des grands navire à vapeur. En effet, l’homme moderne grâce au progrès de la technique est devenu maître et possesseur de la nature. Avec la technique la raison s’instrumentalise d’où la notion de raison instrumentale. Charles Taylor la définit en ces termes : «par raison instrumentale, j’entends cette rationalité que nous utilisons lorsque nous évaluons les moyens les plus simples de parvenir à une fin donnée. L’efficacité maximale, la plus grande productivité mesure sa réussite »[9]. L’homme est plus outillé à face aux phénomènes jadis incompréhensibles et insurmontables. La raison qui s’est détachée des croyances traditionnelles se montre plus conquérante. Les vérités scientifiques sont dorénavant plus apodictiques que les vérités révélées.

2.2. Une nouvelle vision de la politique et de l’économie
Le fait majeur de la modernité, nous l’avons déjà mentionné plus haut, est qu'elle met en scène l’homme pris dans son individualité qui est à lui-même son propre fondement et sa propre fin, indépendamment de toute référence à une transcendance. L'individualisme et la liberté sont des notions fondamentales et caractéristiques de la logique de la modernité tant dans le domaine politique que dans le domaine économique, et, qui plus est, elles sont l'alpha et l'oméga caractéristiques des revendications de la vie moderne. La modernité est un changement de paradigme politique dans la manière dont l'homme va se représenter le monde. Situé dans la vie Antique dans un réseau de rapports hiérarchiques selon sa participation à la vie politique et religieuse, l'individu va progressivement faire prévaloir sa volonté d'agir dans la communauté politique, par le biais du consentement, grâce auquel il abandonne une partie de sa puissance pour bénéficier de droits. On peut dire de la modernité politique que son fondement s'articule autour de la théorie du contrat (cf. Hobbes, Rousseau, Locke,). L'homme de la modernité va être celui qui accède au statut d'homme libre et partant, de citoyen (cf. John Locke). De l'ancienne aristocratie, on retiendra quelques privilèges, mais la tendance de la modernité est une égalisation des droits, une tendance à nourrir une passion de l'égalité (Tocqueville). En effet, l’idée de contrat social met en exergue le droit naturel, les libertés individuelles, l’égalité de tous les hommes, la justice sociale etc. il n’est plus question de pouvoir de droit divin. La légitimité du pouvoir réside non pas en Dieu et en l’Eglise mais dans l’individu. Cette notion de contrat social a abouti à la mise en place partout en Europe de la démocratie, celle dite représentative. Le principe fondateur du régime politique est l'enracinement des relations de pouvoir dans ceux qui, réunis par les circonstances dans un destin commun, sont conduits à obéir à ceux d’entre eux qu'ils délèguent, à titre temporaire, circonscrit et réversible, à la gestion des affaires communes à tous. Ce qui implique, de la part de leurs délégués, compétence et dévouement au bien commun. L’expression la plus patente de la modernité politique fut la révolution française de 1789 qui a su résumer les idéaux de la modernité à savoir la liberté, l’égalité et la justice. L’individualisme comme « la plus belle conquête de la modernité »[10], a abouti  en économie au capitalisme.  
L’autre nom de la modernité économique, est le capitalisme. Il consiste en une augmentation à très long terme de la production et de la consommation, rendue possible par des gains cumulés de productivité. Les ressources sont multipliées par une gestion plus efficace de leur rareté. Cet exploit prolongé sur des siècles est, en fait, une conséquence indirecte des autres développements. En effet, le capitalisme repose sur quatre fondements : Premièrement, les droits de propriété garantis par la loi et appliqués à tous les facteurs de production sont une expression directe du régime démocratique, qui repose de nature sur la loi et le droit. Deuxièmement, La gestion des échanges et des partages sur des marchés soustraits à la violence et à la ruse est procurée par ce même régime et par le respect de la sphère privée. La liberté des initiatives est garantie par la démocratie et mise en oeuvre par l'individuation. Troisièmement, les gains de productivité et les innovations sont rendus possibles par les applications tirées des progrès de la science et des sciences. Celles-ci, en effet, en parvenant à des explications, permettent de surmonter le partage entre nature et artifice et font des humains des démiurges. Enfin, quatrièmement la dynamique du mouvement est à rapporter à la séparation tendancielle de l’économique des autres ordres d’activité. L’avènement du capitalisme a favorisé la révolution industrielle amorcée en Angleterre en 1780, l’économie de marché, le développement du commerce transcontinentale etc. Par exemple, à l’ère du capitalisme « la production agricole était déjà en priorité destinée au marché (…) l’agriculture était prête à assurer ses trois fonctions fondamentales dans une ère industrialisation : accroître sa production et sa productivité, afin de nourrir une population non agricole en rapide montée ; fournir un surplus de plus en plus large de main d’œuvre potentielle pour les villes et les industries ; procurer enfin un mécanisme pour l’accumulation de capitaux à utiliser dans les secteurs plus modernes de l’industrie »[11]. La plus grande partie du XVIII siècle fut une époque de prospérité et d’expansion économique confortable[12]. Cela ne fut pas sans conséquences sur
2.3 La religion face à la modernité
A l’époque médiévale il y avait confusion entre l’Etat et la religion (l’Eglise), mais l’Etat moderne établit désormais une séparation claire entre le pouvoir politique et l’Eglise. Cette séparation marque pour l’Eglise et pour la religion un nouveau mode de présence dans l’Etat. Elle n’est plus systématiquement engagée dans les affaires de  l’Etat. Et l’Etat lui-même définit un nouveau type de rapport avec l’Eglise et avec tout ce qui est religieux.
            La société moderne connaît le pluralisme religieux : diverses religions se retrouvent dans un même Etat. Le rapport de l’Etat avec l’Eglise et les autres religions se pose donc autrement qu’il ne le faisait dans le passé. Une coexistence pacifique entre l’Etat et les religions et entre les religions elles-mêmes doit être assurée. L’Etat moderne opte pour la liberté de conscience et la liberté religieuse, afin de permettre à tout individu de pratiquer la religion de son choix en toute sécurité. Le choix de la liberté religieuse, fondée sur la liberté de conscience, répond donc à un souci de tolérance.
De la tolérance de l’Etat, John Locke établit le principe dans sa Lettre sur la tolérance. Le principe de toute tolérance en matière de religion est la liberté de conscience. En effet « la liberté religieuse n’est qu’un cas d’application de la liberté de conscience. Elle est la liberté (…) pour les individus de professer une foi religieuse personnelle en conformité avec leur conviction de conscience »[13]. L’individu est seul capable d’opérer ces choix fondamentaux. Il fait ce que sa conscience lui dicte de faire, il a le droit de suivre ses convictions les plus profondes pourvu que cela ne dérange pas l’ordre public. « Chacun, dit Locke, se joint volontairement à la société dont il croit que le culte est plus agréable à Dieu »[14]. Pour lui, la religion relève du for interne, avant d’être manifestée à l’extérieur ; « toute l’essence et la force de la vraie religion consiste dans la persuasion absolue et intérieure de l’esprit »[15].
Dans ce contexte de liberté religieuse, la religion relève de la sphère privée. Elle (Eglise ou religion) devient tout simplement, comme le dit Locke, « une société d’hommes, qui se joignent volontairement ensemble pour servir Dieu en public et lui rendre le culte qu’ils jugent lui être agréable, et propre à leur faire obtenir le salut »[16]. Le droit positif lui réserve la même place qu’aux autres associations privées à caractère apolitique. Elle fait partie du droit privé dans l’Etat. La pensée moderne a ainsi engendré en matière religieuse la laïcité. De la sécularisation des différents domaines de la connaissance on aboutit à la laïcité des institutions de l’Etat.
Par ailleurs, on assiste à une dépréciation de la religion. Pour certains, la religion relève de l’obscurantisme. Ses préceptes sont perçus comme allant contre l’évolution, le progrès de la civilisation. Selon les termes de Karl Marx elle est « l’opium du peuple » ; elle endort les consciences et les détourne de la vraie réalité. Ici nous pensons à toutes les critiques des maîtres du soupçon (Karl Marx, Nietzsche et Freud) ; leurs critiques n’ont pas eu moins d’influence dans l’émergence de la laïcité d’Etat que dans le domaine intellectuel. Les Etats laïcs manifestent chacun de façon particulière leur laïcité. Il y a diverses formes de laïcité : l’on parle de laïcité française, de laïcité américaine etc. Cependant de part et d’autre la tendance, nous l’avons déjà mentionné, est d’occulter toute référence à la religion dans les décisions politiques.
Dieu et le sacré reste en dehors de l’action de l’Etat. L’exemple le plus patent est la suppression des crucifix dans les écoles et l’interdiction du port de signes religieux dans les lieux publics en France. Le cas français, quoique radical, reflète la situation de du fait religieux dans les Etats modernes laïcs.


III. UN REGARD SUR LA MODERNITE EN AFRIQUE

1.      l’emprise des traditions en Afrique

On a coutume d’entendre « l’Afrique des traditions ». Ceci explique que la rupture d’avec les traditions n’est pas opérée ou bien est-elle en partie faite. La tradition reste aujourd’hui à l’ère de la modernité comme un arrière fond qui assure l’identité d’une tribu, d’une ville ou d’une nation en Afrique. La tradition réglemente la vie de l’homme l’africain quand il se soumet à ses exigences soit de sacrifier au bois ou à la forêt sacré, soit d’observer les totems liés au génie protecteur du village etc. Ainsi en Côte d’Ivoire lorsqu’on évoque le Masque appelé « goli » on pense au peuple baoulé. Et ce masque n’a pas moins d’emprise sur eux que le christianisme au moyen âge en Europe.
            La modernité en Afrique n’est peut pas perçue comme une rupture d’avec les superstitions et les croyances traditionnelles. L’univers Africains ne se détache pas de ces croyances traditionnelles même aujourd’hui. Le religieux et le profane ne se dissocient pas. Le sacré se rencontre par tout, on ne peut pas appliquer la maxime de Rousseau à savoir « se rendre maître et possesseur de la nature ». La nature dans la cosmogonie africaine est legs des ancêtres. Ainsi donc, on ne peut travailler sur la terre, sur la nature c’est l’accord de ces derniers. C’est pourquoi l’on rencontre parfois des opposions et des résistances quand il s’agit d’entreprendre de grand travaux comme la construction des routes, de pont, de barrage hydraulique, l’ouverture d’une embouchure, etc.                                                                                                                                         Ce qui fait dire à Alphonse QUENUM « qu’une analyse de la société africaine en ce début du XXIe siècle qui ne tiendrait pas compte du poids du phénomène religieux pècherait gravement par omission. On ne peut s’empêcher de se poser la question de savoir pourquoi le nom de Dieu se porte si bien en Afrique et les hommes si mal »[17].
Cette dernière préoccupation de QUENUM montre le revers de cette donne.  L’homme est pris dans le moule des superstitions qui enchaînent la raison humaine. En effet, « dans cette atmosphère de crédulité et de superstitions, il est difficile de développer une rationalité positive pour organiser une société moderne portée par des normes respectées et protectrices de tous »[18]. Pour parvenir à une société moderne l’Afrique doit se libérer de l’emprise de dieux et des ancêtres afin de libérer la raison et la raison instrumentale. La raison instrumentale va permettre également aux africains d’apporter des solutions à leurs problèmes existentielles. Toutefois il ne s’agit de rejeter  systématiquement les traditions pour être dans l’ère de la modernité. Il marquer une rupture avec toutes les pratiques et croyances traditionnelles qui étouffe la raison. La rupture ne doit pas être radicale.                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                      

2.   Une modernisation lente ou un refus de la modernité
L’Afrique ne devrait pas aussi porter un regard critique sur sa tradition qui constitue quelquefois un poids, un handicap à sa propre réalisation ? En effet au moment où les autres peuples opèrent un tournant décisif de leur histoire, en rompant avec les croyances ancestrales, l’Afrique fait toujours recours au passé et pose elle-même un refus catégorique à son développement. Par exemple pour justifier un comportement ou un fait qui peut surprendre, il n’est pas rare d’entendre l’affirmation suivante : « C’est ainsi chez nous, au village depuis toujours, selon les coutumes. » Alors que la question qu’il fallait se poser est celle-là: pourquoi précisément c’est ainsi et il n’aurait pas pu en être autrement ? C’est un sacrilège de chercher à la poser. L’absence d’une telle question confère au passé traditionnel d’être une référence absolue, transcendantale et normative. « Ainsi sont encore invoqués l’esprit des ancêtres, on offre des libations à des antiques divinités pour obtenir d’elles protection contre les esprits maléfiques qui hanteraient le présent et l’avenir. Mais, chercher de magique façon, une sécurité dans le passé en l’invoquant et en s’y dissolvant soi- même, n’est-ce pas avoir perdu le sens de l’aventure créatrice ? Se demande le philosophe DIBI »[19] En effet Descartes n’a pas proposé sa méthode dans le vide. N’a-t-il pas dépassé consciemment la tradition latine pour choisir le français comme langue d’accès à la vérité ?
L’ère de la modernité n’est plus d’imiter les ancêtres par obligation. C’est ce que doit comprendre l’Afrique. Il est donc nécessaire d’arracher l’Afrique à ses vieilles habitudes afin de l’aider à se forger une nouvelle volonté. Il est vrai ce ne sera pas une tache facile, mais il faut oser. Ce n’est pas ce qu’évoquait déjà KÂ MANA comme difficulté qu’il appelle : « l’enflure de l’irrationnel »qui constitue la bataille à engager pour cette modernité qui prend racine dans cet amalgame culturel, dans l’esprit fétichiste et magique. De nos jours l’africain doit supporter l’effort de la lucidité, de l’argumentation, et ne doit pas s’installer dans une « chaleur tranquille », dans une sorte de « bonheur végétatif », somnolent sans inquiétude aucune. On note d’une part l’absence de culture de compétition, de concurrence qui sont autant des facteurs endogènes de développement. L’Afrique reste encore attachée à cette croyance que l’innovation n’était pas le fait des hommes mais des dieux. Au lieu d’aller sur le terrain de la compétition mondiale, on note plutôt une sorte d’auto retrait du monde et donc une auto condamnation à demeurer en arrière. Pouvons-nous relever de cette façon le défit mondial auquel nous sommes confrontés aujourd’hui ?                    
L’Afrique n’est obligée de suivre le modèle de modernité de l’occident qui est essentielle rupture avec les traditions. Elle peut s’appuyer sur les traditions en leurs éléments qui libèrent la raison humaine et qui rend l’homme responsable de son devenir. Pour un effet de temps ou d’époque, tous les peuples sont dans la modernité soit en tant que producteur d’effets modernes soit en tant que consommateur. L’Afrique a appris à consommer, elle doit produit son effet de modernité sur un model qui lui est propre[20]. Le passage de la société de consommation à une société de production doit s’opérer à tous les niveaux.
Pour ce faire, une révolution s’avère urgente. Cette révolution que nous pourrons appeler une la révolution africaine doit commencer dans le domaine intellectuelle et scientifique et mettre en branle toutes les couches sociales. Ne pourrait-elle pas fonctionner comme une idéologie endogène même si le terme idéologie est mal vu aujourd’hui ? Elle consistera à réinventer l’univers africains, réinviter un type nouveau de progrès qui allie tradition et modernité. La révolution africaine doit aboutir à l’avènement d’une nouvelle civilisation qui réconcilie tradition ancestrale et exigences actuelles sans toutefois rejeter le modèle occidental. Il ne s’agit pas de s’enfermer sur soi. Nous avons déjà connu l’impérialisme occidental qui a déjà modifié profondément nos cultures et nos comportements, c’est donc impossible de faire marche arrière. La modernité occidentale sert de modèle  non pas à imiter dans le sens de calquer, mais d’exemple. Ainsi nous verront ce qui a fait la force de celle-ci et ce qui occasion ses faiblesses afin de les éviter. Par exemple dans les pays hautement industrialisés le système écologie est en dégradation ; ce qui occasionne l’apparition de nouvelles maladies et la prolifération de types nouveaux cancers. Dans ces pays la raison instrumentale est allée trop loin, elle a même instrumentalisé l’homme.




                                CONCLUSION
 La modernité est le triomphe de la raison sur les croyances traditionnelles voire la destruction de celles-ci. Elle est  voulue comme une époque libératrice de l’emprise des croyances traditionnelles, du sacré, de Dieu etc. par la seule raison. L’époque moderne a fait de la raison l’unique moyen de découvrir les lois du monde. La raison s’est instrumentalisée et a conduit l’homme moderne sur la voie du progrès. En tant  que synonyme de progrès du à l’avancée de la  science, la logique moderne à aboutit à faire de l’homme « maître et possesseur de la nature ». Un autre pan de la modernité est l’exaltation de l’individu. L’individualisme et la liberté, l’égalité et la justice sont en réalité des notions clés de la modernité. Cependant, l’homme exalté comme seule capable de créer du sens et des valeurs n’a plus de repère ; il s’est substitué à Dieu. Il est devenu le centre de gravité de tout : l’économie et la politique se définissent par rapport à la l’individu. Cette forme de modernité s’est transposer en Afrique sans toutefois que celle-ci l’ait embrassée. La tradition y reste toujours vive et les superstitions hantent toujours l’esprit des africains. L’Afrique est par l’effet du temps dans la modernité seulement comme consommatrice. Il est temps qu’elle produise son propre effet de modernité qui allie tradition et modernité sans rejeter systématiquement le modèle occidental ni le calquer.





  BIBLIOGRAPHIE

Alain TOURAINE, Critique de la modernité, Fayard, Paris, 1992 ;
Alphonse QUENUM, « l’Etat des lieux de la société africaine, éclairée par son histoire » in L’Afrique sera-t-elle catholique ? Des religieux s’interrogent, AASS, L’Harmattan, Paris, 2008 ;
Bernard PERRET, Guy ROUSTAND, L’économie contre la société, Paris, Editions du Seuil, 1993 ;
Charles TAYLOR, Le malaise de la modernité, trad. Charlotte MELANÇON, Cerf, Paris, 2005 ;
Eric J. HOBSBAWM, L’ère des révolutions 1789-1848, Paris, Hachette littérature, 2002 ;
Jacques LE GOFF, La civilisation de l’occident médiéval, Paris, Flammarion, 1997 ;
Jean ETIENNE, « La modernité, une tradition sociologique », in revue sciences humaines, n°73 juin 1997 ;
Jean LADRIERE, « l’intelligence de la foi et le devenir de la raison » in Dieu et la raison, l’intelligence de la foi parmi les rationalités contemporaines, sous direction de François BOUSQUET, Philippe CAPPELLE, Bayard, Paris, 2005 ;
Jean-Claude MARGOLIN, L’avènement des temps modernes, paris, PUF, 1977 ;
Jean-Claude MARGOLIN, L’avènement des temps modernes, paris, PUF, 1977 ;
Jean-Jacques ROUSSEAU, Discours sur l’origine de l’inégalité parmi les hommes, coll10\18, Paris, 1974 ; 
John Locke, Lettre sur la tolérance, Paris, Collection 10/18, 1973 ;
K. DIBI, Afrique et son autre : la différence libérée, Ed Strética Diffusion, 1994 ;
Louis Janssens, Liberté de conscience et liberté religieuse, Paris, DDB, 1964 ;
Réné BUREAU, Anthropologie, religions africaines et christianisme, Karthala, Paris, 2002 ;
Revue Sciences Humaines, n°73, juin 1997 ;
Simone WEIL, La condition ouvrière, Paris, Gallimard, 2002.


[1] Jacques LE GOFF, La civilisation de l’occident médiéval, Paris, Flammarion, 1997, p. 170
[2] Alain TOURAINE, Critique de la modernité, Fayard, Paris, 1992, p .26
[3] Idem.
[4] Jean ETIENNE, « La modernité, une tradition sociologique », in revue sciences humaines, n°73 juin 1997, p. 14
[5]  « Deux types d’opérativité semble avoir joué un rôle particulier décisif dans l’émergence du concept de raison : la démonstration et l’argumentation. Dans toutes les démarches impliquées, explicitement ou implicitement, dans les démonstrations ou argumentations, on a toujours affaire à un processus de justification c’est toujours en vue de la justification qu’elle opère » Jean LADRIERE, « l’intelligence de la foi et le devenir de la raison » in Dieu et la raison, l’intelligence de la foi parmi les rationalités contemporaines, sous direction de François BOUSQUET, Philippe CAPPELLE, Bayard, Paris, 2005, p15 
[6] Idem, p.16
[7] Alain TOURAINE, op.cit., p.26
[8] Cf. ROUSSEAU, Discours sur l’origine de l’inégalité parmi les hommes
[9] Charles TAYLOR, Le malaise de la modernité, trad. Charlotte MELANÇON, Cerf, Paris, 2005, p.12
[10] Cf. Charles TAYLOR, Le malaise de la modernité, trad. Charlotte MELANÇON, Cerf, Paris, 2005, p.10
[11] Eric J. HOBSBAWM, L’ère des révolutions 1789-1848, Paris, Hachette littérature, 2002, p.46
[12] Idem.
[13] Louis Janssens, Liberté de conscience et liberté religieuse, Paris, DDB, 1964, p.171
[14] John Locke, Lettre sur la tolérance, Paris, Collection 10/18, 1973, p.9
[15] Idem., p. 10
[16] Ibid.
[17] Alphonse QUENUM, « l’Etat des lieux de la société africaine, éclairée par son histoire » in L’Afrique sera-t-elle catholique ? Des religieux s’interrogent, AASS, L’Harmattan, Paris, 2008, p. 110
[18] Idem., p .111
[19] K. DIBI, Afrique et son autre : la différence libérée, Ed Strética Diffusion 1994  p 59
[20] Réné BUREAU, Anthropologie, religions africaines et christianisme, Karthala, Paris, 2002, p.106

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