mardi 7 octobre 2014

COURS D'INTRODUCTION A LA PHILOSOPHIE


 COURS D’INTRODUCTION A LA PHILOSOPHIE

Problème et problématique: Qu’est-ce que la philosophie? Quelle est l’essence du philosophique ou le spécifiquement philosophique? Quelle est la place du philosophe dans la société contemporaine?
Objectif: Amener l’étudiant à comprendre l’essence de la philosophie et savoir mener une réflexion proprement philosophique. En dernier ressort, l’étudiant doit savoir que la philosophie est encore plus utile à la société contemporaine qu’hier.

PLAN DU COURS

INTRODUCTION
I.                  ORIGINE DE LA PHILOSOPHIE
1.     De l’origine comme commencement et évolution historique
2.     De l’origine comme cause et fondement
II.               DETERMINATION DE L’ESSENCE DE LA PHILOSOPHIE
1.     De l’étymologie comme première identité de la philosophie 
2.     Objet et méthode de la philosophie
III.           LA NUIT DE LA PHILOSOPHIE : FOI ET RAISON
1.     La philosophie servante de la théologie
2.     Rapport foi et raison dans la quête de la connaissance
IV.           SCIENCE ET PHILOSOPHIE : la connaissance quantitative et la connaissance qualitative
1.      De la scientificité : la connaissance quantitative
2.     La nature du philosophique : la connaissance qualitative
V.                LE PHILOSOPHE DANS LA SOCIETE CONTEMPORAINE
CONCLUSION. La philosophie, appel a la responsabilité: la morale. 

INTRODUCTION

La philosophie aujourd’hui comme hier est dans une situation d’infortune. Elle se trouve encore dans les méandres des préjugés et de la méconnaissance de son opportunité dans le commerce des hommes. L’idée que l’on se fait de la philosophie provient souvent de l’attitude extérieure de certains philosophes qui affichent une posture «d’hébétement » face à des évènements et des phénomènes ordinaires qu’ils ont pourtant l’habitude de vivre ou de constater. Tel Thales qui, observant le ciel comme une réalité extraordinaire, se retrouva dans un puits, ou encore Diogène de Sinope le cynique vivant dans des tonneaux et se promenant en pleine journée avec une lanterne cherchant l’homme etc. Ainsi, la philosophie apparait pour l’homme du commun comme une activité propre à ceux qui aiment les rêveries et les activités oiseuses. Les railleries de la servante de Thrace sont aussi celles de l’homme d’aujourd’hui qui regardant le philosophe de loin voient en lui le rêveur, le paresseux ou simplement un anormal qui rame à contre-courant des habitudes, des croyances et des opinions communément admises.
Le développement des sociétés actuelles avec le niveau de technicité efficiente, fait naître en l’homme un désir de pragmaticité. L’homme moderne est plus que jamais intéressé par tout ce qui est utile à la satisfaction de ses besoins vitaux et de son bien être matériel. C’est l’homme éveillé par le matérialisme de type marxiste. Les révolutions électronico-numériques, l’importance de l’activité économique dans les sociétés actuelles en même temps que les crises économiques ont aiguisé l’appétit du gain en l’individu et le sens de la matière. Que gagne-t-on à ceci ou cela, à faire ceci ou cela? Telle est la préoccupation de l’homme moderne ou contemporain.
Dans le domaine de la connaissance le même souci du gain et de l’efficacité demeure et la question qui revient est celle-ci: à quoi sert de s’adonner à telle ou telle domaine de connaissance? D’où l’intérêt pour les sciences dites appliquées ou pratiques qui apportent des réponses apodictiques aux aspirations – concrètes – de l’homme moderne et postmoderne.
Marx et Engels n’ont-ils pas adressé cette critique non moins bouleversante à la philosophie en affirmant ceci: « Les philosophes n’ont fait qu’interpréter le monde de différentes manières, ce qui importe, c’est de le transformer. […] la philosophie est à l’étude du monde réel ce que l’onanisme est à l’amour sexuel»[1]? Un autre penseur, comme Jean-François Revel, n’a-t-il pas dit que la philosophie a épuisé son rôle historique qui était d’engendrer la science et que désormais est-elle devenue un genre littéraire[2]? Pour lui, la philosophie n’est plus d’actualité, qui plus est infructueuse pour l’homme d’aujourd’hui. Kierkegaard renchérit pour dire que « la philosophie est la nourrice sèche de la vie, elle veille sur nos pas, mais ne peux nous allaiter». A sa suite, Wittgenstein dira que la philosophie est bavardage : « la juste méthode de la philosophie serait en somme la suivante : ne rien dire ; la juste méthode de la philosophie c’est bel bien la réduction de la philosophie au silence.»[3]
Toutefois, à côté de cet homme moderne qui a accru le sens de la terre et de l’utilité, amoureux de la science et de la technologie, il se trouve un autre type d’homme tout aussi moderne. Mais ces aspirations sont toutes autres et cet homme s’adonne à un autre type de savoir qui ne répond pas aux aspirations immédiates des hommes de son temps. Une connaissance désintéressée, voilà ce qui intéresse cet homme que l’on appelle philosophe. En effet, « la philosophie est une activité libre, désintéressée ; l’angoisse du besoin ayant disparu, elle fortifie, élève, affermit l’esprit en soi, c’est une sorte de luxe, ce mot signifiant ces joies et ces occupations qui ne dépendent pas des nécessités extérieures.»[4] Mais pour l’homme moderne, cette sorte de connaissance n’est pas une science proprement dite. Car sur le plan heuristique elle n’avance guère. Aucun résultat concret n’est exposé; seulement que des opinions contradictoires et opposées.
Ainsi se situe tout débat autour de la philosophie; et pour cela tous ceux qui tentent de faire œuvre de philosophie concentrent leurs efforts non à traiter de l’essence de la philosophie et du savoir dont elle est porteuse mais à défendre son importance. Cette attitude est bien celle d’une discipline qui dès ses origines en Grèce s’est plus engagée dans une démarche défensive et de plaidoirie sur sa nécessité et sa validité épistémologique au lieu d’une démarche d’édification et de construction de son essence et de son objet. En tant que connaissance elle ne doit ni se défendre ni plaider une reconnaissance quelconque de son utilité. En tant que connaissance elle porte déjà en soi sa valeur et sa nécessité. Aucune connaissance n’est inutile sinon elle n’en est pas une. Toute connaissance se suffit à elle-même.
Par ailleurs, nonobstant leur plaidoirie nous pouvons déceler chez les philosophes depuis Thalès jusqu'à nos jours la nature de leur connaissance. C’est à cette nature que nous voudrions ici donner accès. Cela revient à réponde à la préoccupation qu’est-ce que la philosophie ? Sur cette question les philosophes eux-mêmes ont des conceptions divergentes, qui, prises dans leur particularité semblent être contradictoires et opposées. Néanmoins, dans une vision holistique, toutes les conceptions de la philosophie disent ce qu’est réellement sa nature.
Lorsque pour les présocratiques la philosophie cherche à connaître par la seule raison les principes du monde matérielle et qu’avec Platon la philosophie est pure contemplation des essences et du monde des idées et que pour Aristote la philosophie est recherche des premiers principes et des causes premières etc., il ne s’agit qu’en apparence d’opinions opposées, car un seul philosophe ne saurait percevoir toute l’essence de la philosophie. C’est donc l’ensemble de ses considérations qui constitue la définition de la philosophie.
Nous situant dans une démarche non de revendication ni de plaidoirie mais d’explicitation et de définition de la philosophie, nous voudrions aborder dans ces lignes la question de l’essence de la philosophie. Cela revient à savoir en outre qu’est-ce que philosopher ? Qu’est-ce qui détermine et caractérise le philosophique ? Ce qui nous amène à scruter, l’origine de la philosophie, à voir comment son étymologie nous permet d’avoir accès à sa première identité. Il nous faudra aborder également comment a-t-elle été perçue au long de son histoire et comment se détermine-t-elle en tant qu’elle-même face aux sciences modernes. Pour finir, nous verrons comment est-elle devenue encore plus incontournable dans le développement durable de nos sociétés africaines.

I. ORIGINE DE LA PHILOSOPHIE
Le concept d’origine renferme deux significations inséparables. Il y a l’origine comme commencement et l’origine comme cause. Le commencement c’est l’avènement dans l’histoire, l’évolution dans la temporalité. La cause renvoie à la source de surgissement, ce qui fait advenir, la matrice de projection du non-existant à l’existant. C’est aussi le fondement.
1.     L’origine comme commencement et évolution historique
Les premiers pas de la philosophie sont à chercher en Grèce, dans l’Antiquité, vers le VIe siècle et généralement admis au Ve siècle av J.-C. Selon l’historien Emile Bréhier, elle nait précisément au VIe siècle av. J.C au pays ionien, dans les villes maritimes alors très riches et où le commerce connait un grand essor. La grande ville de Milet est mise à sac par les Perses en 494 av JC[5]. Les premiers penseurs émigrent vers l’Italie du sud, la Sicile, et à Athènes en l’occurrence. La ville d’Athènes devenue la nouvelle puissance maritime où l’activité économique est en plein essor. Avec son gouvernement démocratique, Athènes favorise le développement de l’activité intellectuelle. L’univers politique c’est-à-dire les affaires publiques s’y organisent autour de débats et de délibérations où chaque citoyen athénien pouvait exprimer son opinion. Il y règne la liberté de parole[6]. Cet environnement sociopolitique constitue pour la philosophie un terrain fertile pour son essor.
 Avant que le mot « philosophie » soit usité, et qu'il indique par la suite un savoir entièrement constitué, on s’aperçoit que la démarche intellectuelle de ces premiers penseurs étudiant principalement la physique, marque une rupture avec les discours mythologiques, religieux et poétiques qui existaient jusqu'alors. Ces penseurs – que la tradition philosophique convient d’appeler présocratiques (du milieu du VIIe siècle av. J.-C. au Ve siècle av. J.-C.) – sont considérés comme les fondateurs de la philosophie. On peut citer Pythagore, Thalès, Héraclite et Parménide, issus de la Grande Grèce, dans les colonies grecques situées en Ionie et au sud de l'Italie.
En clair, la première école de philosophie fut celle de Milet ou l’école milésienne. Cette école a trois grandes figures que sont : Thalès, Anaximandre et Anaximène.  La particularité de cette école philosophique était son intérêt pour l’observation de la nature (la physis). Cependant, c’est à Pythagore que l’on attribue l’invention du mot Philosophie car il estimait que la sagesse n’habitait totalement qu’en des dieux et que l’homme ne pouvait être qu’un ami de la sagesse jamais possesseur de la sagesse.
Il faut attendre Socrate (470-399 av J.C) pour révolutionner la philosophie naissante et encore balbutiante. Il trouvera urgent de s’interroger sur l’homme lui-même, de faire de lui l’objet de la nouvelle manière de réfléchir. Il y introduit les méthodes qui resteront celles de la philosophie : l'usage de la dialectique (la maïeutique) et l'étude des définitions. C'est à Platon (427-347 av J.C), dans ses célèbres dialogues, que l'on doit d'avoir transmis l'héritage de Socrate et d’avoir vulgarisé le mot « philosophie », conçue comme une recherche de la vérité, en particulier contre les discours trompeurs des prestigieux sophistes, habiles rhéteurs et maîtres dans l'art de persuader et de subjuguer les foules.
La philosophie se développe alors suivant plusieurs domaines d'étude : comme une méditation sur la nature, l'âme humaine, l'éthique, la politique, et la connaissance elle-même. Aristote (384-322 av J.C), disciple de Platon, poursuivra ces recherches et inventera un certain nombre de sciences, comme la logique (science du raisonnement), la physique et la zoologie (étude des espèces animales), la métaphysique, l’éthique, la politique et la poétique. La philosophie sera considérée à partir d’Aristote comme la science suprême, elle sera liée avec les différentes sciences du moment qui deviendront ensuite autonomes au fil de l'histoire. Mais elle est aussi une réflexion sur la réalité, de l'être en tant qu’être ; l’ontologie qui deviendra une branche importante de la philosophie.
Dans l’antiquité romaine, la réflexion philosophique s’oriente progressivement vers l’éthique. Deux grandes écoles de l'époque dite hellénistique à savoir les écoles Épicurienne et Stoïcienne mettent particulièrement l'accent sur la maîtrise des désirs et des passions. Ces écoles enseignent un idéal de sagesse en vue de parvenir à l’ataraxie, la paix de l’âme condition d’une vie heureuse. A l'issue de l'Antiquité, les thèses de Platon et celles d'Aristote, domineront la pensée philosophique. Dans l'Antiquité tardive, les philosophes chercheront souvent à concilier la philosophie platonicienne et aristotélicienne avec la pensée religieuse chrétienne, musulmane ou juive. Ce que feront saint Augustin et les Néoplatoniciens.
Au Moyen Âge, c'est principalement dans les monastères en lien étroit avec la théologie que se déploie le discours philosophique, à travers la traduction et la discussion des écrits des Anciens, dans le monde chrétien et arabe. C'est ainsi que la scolastique, synthèse du christianisme et de l’aristotélisme, dont Thomas d’Aquin est à l'origine, deviendra la philosophie dominante dans l'Europe médiévale. D’où la naissance d’une philosophie chrétienne. A cette époque aussi, il eut un intérêt pour la dialectique et la logique, assurant la vivacité des travaux sur la logique, comme en témoigne la célèbre querelle des universaux. La caractéristique de la philosophie au moyen âge est qu’elle fut dominée par les questions théologiques telles que les preuves de l’existence de Dieu, la foi, le bien et l’origine du mal etc. La philosophie fut considérée comme une servante de la théologie où le discours philosophie devrait être en accord avec la doctrine de la foi enseignée par l’Eglise.
A l'époque moderne, les philosophes font un retour aux Anciens à partir du vaste courant humaniste de la Renaissance et une philosophie nouvelle plus réaliste fait son apparition. Elle est surtout politique (Machiavel, Hobbes). Les penseurs s'inspirent, à partir du XVIe siècle, des méthodes de la science moderne en train d'apparaître (avec Copernic, Galilée et Newton), pour développer une philosophie davantage centrée sur la subjectivité de l'individu, placé désormais au centre de la construction des connaissances (Descartes, Locke, Kant). Les philosophes sont encore souvent de grands scientifiques (Pascal, Leibniz, Descartes), qui ne conçoivent pas la philosophie séparément de la science[7], ni des réflexions sur la religion. Différents courants s'opposent concernant la nature des idées et des connaissances humaines, tels que l'innéisme et le rationalisme (Leibniz, Malebranche) contre l'empirisme (Locke, Berkeley, Hume).
C'est aussi l'époque où la métaphysique, l'Église et la Monarchie vont subir les critiques de la philosophie des lumières (XVIIIe siècle). Kant ruinant la prétention scientifique de la première par ses études sur les limites de la raison humaine[8], et d'autres philosophes s'attelant à combattre l'obscurantisme et la tyrannie par le projet encyclopédiste (Diderot, d’Alembert) d'une part, et des traités politiques recommandant le libéralisme, la tolérance (Locke, Voltaire) et le républicanisme (Rousseau) d'autre part. Par ailleurs, à partir du XVIIIe siècle, la philosophie se détache peu à peu des sciences positives, plusieurs de ses branches devenant des disciplines autonomes (ainsi la science politique, la logique mathématique et la biologie, l’astronomie, la physique etc.)
A l'époque romantique au XIXe siècle, l'idéalisme allemand (Hegel, Fichte, Schelling) approfondit la pensée de Kant, en proposant une philosophie systématique réconciliant la philosophie de la nature et la philosophie morale. Toutefois, à une époque de plus en plus marquée par les avancées scientifiques et par l'idée du progrès chère aux Lumières, le positivisme (Auguste Comte) va faire son apparition, condamnant la métaphysique au bénéfice des sciences ; Comte invente d'ailleurs une science nouvelle : la sociologie. Les progrès de la méthode expérimentale permettent en outre qu'une branche importante de la philosophie prenne à son tour son autonomie : la psychologie. Avec la révolution industrielle du XIXe siècle, c'est un ensemble de courants d'idées davantage axés sur l'économie et la politique qui font leur apparition, tels l'utilitarisme, le pragmatisme et le socialisme. La fin du XIXe siècle est marquée par des penseurs qui bouleversent radicalement les anciennes doctrines tels que Nietzsche, Marx, Freud dit les philosophes du soupçon[9].
Au XXe siècle, un courant de pensée majeur fait son apparition : la phénoménologie (Husserl). Ce courant de pensée, qui influence le structuralisme[10](cercle de Prague, Lévis Strauss), les entreprises de déconstruction (Heidegger), la tradition herméneutique (Paul Ricœur, Gadamer, Foucault) et l’existentialisme (Sartre), forme avec eux ce qu'on appelle aujourd'hui la « philosophie continentale ». On oppose habituellement cette dernière à l'autre grand courant de pensée du XXe siècle, plutôt issu du monde anglo-saxon : la « philosophie analytique » (Russell, Wittgenstein, Quine), fondée sur la tradition logique et l'analyse du langage.
2.     Origine comme cause et fondement
La philosophie provient d’une révolution ou d’un éveil intellectuel de l’homme face au divin, aux mythes, en somme face à l’irrationnelle. Il ne s’agit pas d’un athéisme ou d’un antireligieux, mais simplement une volonté des premiers penseurs de comprendre le monde par eux-mêmes, c’est-à-dire en donner une explication purement rationnelle. C’est dans la mesure où l’homme comprend l’insuffisance des mythes et de la théogonie comme voies de compréhension de son univers, qu’il devient proprement philosophe. Une confiance en la raison humaine, telle est, pour ainsi dire, ce qui donne naissance à la philosophie ou à la connaissance philosophique. Les premiers philosophes prennent exclusivement la voie de la raison. Ce qui leur valut d’être traités d’athées[11]. Ainsi donc la raison ou la mise en exergue de l’activité de rationnelle est la cause première de la science philosophique.
A partir de là nous suivons Karl Jaspers qui identifie trois causes à l’avènement de la philosophie : l’étonnement, le doute, et le bouleversement. «Cet élément originel est multiple, dit-il, L’étonnement, engendre l’interrogation et la connaissance; le doute au sujet de ce qu’on croit engendre l’examen et la certitude; le bouleversement de l’homme et le sentiment qu’il a d’être perdu l’amènent à s’interroger sur lui-même.»[12] C’est Socrate et son disciple Platon qui font de l’étonnement la première source de la philosophie: « car cet état qui consiste à s’émerveiller, est tout à fait d’un philosophe ; la philosophie en effet ne débute pas autrement, et il semble bien ne s’être pas trompé sur la généalogie, celui qui a dit qu’Iris est la fille de Thaumas.»[13]Aristote également convient que «c’est en effet par l’étonnement que les humains, maintenant aussi bien qu’au début, commencent à philosopher, d’abord en s’étonnant de ce qu’il y a d’étrange dans les choses banales.»[14]
L’étonnement dans son acception commune est un sentiment de surprise (agréable ou non) devant une chose ou un événement que l’on ne s'explique pas et ou qui contredit une explication admise. D’ordinaire l’on s’étonne de manifestations non habituelles et de phénomènes peu communs, qui d’emblée et en apparence dépassent l’entendement. On ne s’étonne jamais du quotidien, de nos expériences de tous les jours, comme du mouvement du soleil, des croissants lunaires, de la nature à laquelle sommes-nous accoutumés. Simplement parce que nous pensons en avoir une explication. En revanche, l’étonnement du philosophe est bien l’inverse. Il regarde les choses ordinaires sous un angle non habituel comme s’agissant de phénomènes extraordinaires. Les philosophes anciens ne perçoivent plus les choses ordinaires de façon ordinaire. Ils furent capables d’étonnement non d’étourdissement. La nuance est là. L’étourdissement, c’est avoir l’entendement obscurci et cela ne suscite pas la curiosité et la soif de connaissance. L’étourdie reste perplexe et sa raison aveuglée face à l’extraordinaire qui ne peut devenir intelligible pour lui.
 « Or celui qui est en difficulté, dit Aristote, et qui s’étonne se juge ignorant.»[15] L’étonnement philosophique fait prendre conscience de son ignorance et éveille la raison à vouloir scruter les profondeurs de la réalité quotidienne. Cela suscite la curiosité de connaître la vraie réalité et donc engendre un autre regard sur le réel et sur les phénomènes. Un regard qui cherche dans les choses non leur simple description mais le gisant au fond, leur vérité singulière. L’étonnement philosophique débouche sur un savoir non utilitaire, un savoir pour le plaisir de savoir.
L’étonnement philosophique engendre le premier niveau du questionnement qui est enquête et information sur les choses elles-mêmes. Cette enquête consiste à jeter un regard désintéressé sur les choses à partir du questionnement à propos de leur nature : qu’est-ce que ceci? D’où vient cela?  Le questionnement apparaît dès lors un caractère essentiel de la philosophie. Ce qui fait dire à Karl Jaspers que «les questions, en philosophie, sont plus essentielles que les réponses, et chaque réponse devient une nouvelle question.»[16] On trouvera la même idée chez Heidegger sur le questionnement philosophique, dans l’Être et le temps. Le questionnement est rendu possible et fécond par le doute. Même si c’est Descartes qui systématise le doute philosophique, cela est tributaire des précurseurs de la philosophie.
Le doute et l’étonnement sont le ferment de l’activité réflexive qu’est la philosophie. En effet, s’étonner pour le philosophe implique aussi sa capacité de douter, ne plus se fier aux croyances, aux mythes, à la théogonie et à la cosmogonie. L’étonnement comme premier moment de la philosophie engendre donc le doute qui est la réflexion critique. Dès lors que l’homme a été capable de douter, il a cessé de croire et a commencé à s’éveiller à la raison en échappant aux liens de la nécessité vitale. Ainsi le doute philosophique rend capable d’aller au-delà des traditions et des coutumes. C’est dans la mesure où Thalès a été capable de douter des traditions et des croyances admises qu’il a découvert que le principe de la matière universelle est l’eau. Il est ainsi passé de la cosmogonie à la cosmologie. Anaximandre (610-545 av. JC), disciple de Thalès, affirme selon lui, que le principe premier d’où dérive toute la réalité physique est l’apeiron, terme difficile à traduire ; il renvoie à l’idée d’infini. Il soutient aussi que toute chose est soumise à l’évolution.
Le doute est de ce fait fécond du point de vue de la connaissance car elle permet le second degré du questionnement. Il s’agit d’une remise en cause afin de vérifier rationnellement le fondement des connaissances anciennes, des opinions communément reçues, la doxa. Avant Descartes, Platon doutait déjà des sens dans le Théétète. Il s’interroge: « quel indice démonstrative on pourrait fournir à qui demanderait, actuellement, dans le moment à présent donné, si nous dormons et rêvons de toutes les pensées que nous avons, ou si nous sommes éveillés…car dans une sorte de correspondance, ce sont toutes les mêmes pensées qui accompagnent l’un et l’autre état… alors la similitude d’un des deux états avec l’autre est déconcertante.»[17] Ainsi donc, le philosophe est celui qui est capable de remettre en cause sa propre existence et ses propres états de consciences des choses afin d’arriver à un savoir absolu et indubitable.
Descartes va faire du doute la porte d’accès à la philosophie. La philosophie est selon lui la connaissance des vérités évidentes c’est-à-dire claires et distinctes. Selon l’acception commune le doute est un état d’esprit marqué par une incertitude et une indécision entre le vrai et le faux. Le doute est de l’ordre du probable, un intermédiaire entre la certitude et l’ignorance. Il y a aussi dans cette acception l’idée de contestation de la véracité de quelque chose. C’est sur cette dernière conception que le Doute cartésien s’édifie en tant que méthode philosophique. En effet, le doute cartésien consiste en une remise en cause de toutes les vérités reçues jusques là comme telles : « tout ce que j’ai reçu jusqu’à présent pour le plus vrai, et assuré, je l’ai appris des sens, ou par les sens: or j’ai quelquefois éprouvé que ces sens étaient trompeurs et il est de la prudence de ne se fier jamais entièrement à ceux qui nous ont une fois trompés.»[18]
Le doute ici n’est pas simplement un refus d’accepter les vérités admises par tous sans examen de leur véracité, autrement il s’agirait d’un doute sceptique qui est en soi improductif du point de vue épistémologique. Il s’agit pour Descartes d’atteindre les vérités claires et distinctes que l’on ne peut révoquer en doute. Pour cela il mène plus loin son doute en supposant un malin génie trompeur dans notre esprit qui nous présenterait les choses fausses sous les apparences du vraie, d’où le doute hyperbolique[19]. Ce doute est transitoire. Il est dit philosophique pour la simple raison qu’il est habité par le souci de la vérité absolue.
En plus de la capacité de s’émerveiller et de douter, il y a l’expérience du bouleversement que tous font. Lorsque le doute permet de comprendre que rien n’est assuré, il nait le sentiment d’un bouleversement profond de ses repères.
Le bouleversement s’est la conscience d’être perdu. Cet état de notre conscience, le philosophe l’a poussé plus loin afin de trouver de nouvelle assise pour la conscience de soi. Par ailleurs, toute nouvelle connaissance rendue possible par l’étonnement et le doute engendre un bouleversement. Un bouleversement de ses repères et des conceptions du monde qui contribuaient à une certaine assurance de soi. L’homme est amené par là à s’interroger sur sa vraie nature, sa place et la signification de sa vie dans tout ce qui se passe et l’entoure. Les premiers philosophes étaient incompris pour la simple raison qu’ils renversaient les conceptions traditionnelles et arrachaient l’homme à ses sécurités éphémères et trop liés au monde de la superstition. Avec ces trois éléments constitutifs de l’origine de la philosophie, l’essence de la philosophie peut s’entrevoir comme une activité de réflexion critique qui met l’homme au devant de la quête d’une connaissance plus certaine et plus universelle.





I. DETERMINATION ET DEMARCATION DE L’ESSENCE DE LA PHILOSOPHIE

1.     De l’étymologie de la philosophie comme première identité


Le terme philosophie dont l’étymologie grec signifie φιλοσοφία [P1] (philosophia) se compose de deux mots : du verbe philein: aimer, chercher d'une part, et, d'autre part, du nom sophia: connaissance et sagesse. Approximativement la philosophie signifie amour de la sagesse et du savoir car le terme sophia comme nous le verrons renvoie à tantôt à la connaissance tantôt à la sagesse – sagesse qui définit toute la caractéristique de la «philo-sophie». Lorsque nous nous arrêtons sur la signification des composants grecs du terme «philosophie» nous avons accès à une polysémie qui fournit plus d’information sur sa nature, cependant tous les sens de ces mots constitutifs de son étymologie ne nous seront sans doute pas utiles.
L’étymologie nous informe qu’il s’agit d’une science spéculative désintéressée qui vise à accoutumer l’homme à la sagesse : la theoria. L’amour est gratuité, sans intérêt. Cet amour philosophique dont il s’agit ici est le désir et la soif de la connaissance. Nul ne saurait se contenter d’une connaissance probable qui plus est erronée. Tous recherchent le Vrai qui est en soi satisfaction pour l’homme. La philosophie est alors la connaissance du vrai comme principe et essence éternelle. Aussi est-elle un art de vivre en fonction du Vrai. Il n’y pas de dichotomie entre la connaissance et celui qui connait. Le philosophe vit sa connaissance. La philosophie, amour de la sagesse, c’est avoir le sens du vrai, de la vérité, du Bien en soi. Pour découvrir le vrai une transformation intérieure est nécessaire. Le vrai conduit au Bien.
La philosophie, selon son étymologie, donc en appelle à une double détermination qui selon nous est inséparable de son essence : philosopher, c'est chercher la connaissance suprême et s'efforcer d'être sage (vertueux). S'agit-il de deux états distincts? Chercher à être sage renvoie-t-il à la morale d'un côté et la connaissance de l’autre ou ces deux objectifs sont-ils identiques pour le philosophe?
Les premiers philosophes entendaient par ce mot de sagesse trois réalités intimement liées et inséparables dans son appréhension. La sagesse est à la fois la connaissance supérieure, l’art de bien vivre et de savoir être heureux. La première réalité renvoie à ce qui caractérise la connaissance proprement dite, philosophique ; et la deuxième touche à l’aspect moral de la sagesse qui est ordonnée au bien et à la vertu. La troisième consiste à mener une existence qui vise le bonheur, la plénitude. Pour les premiers philosophes cette idée de la sagesse comme connaissance que l’homme devait contempler (la theoria) fait plus référence à la pratique bien plus qu’une somme de savoir ou d’informations sur le cosmos. Le but n’est simplement de satisfaire une curiosité esthétique, mais une façon de devenir à l’existence avec la pleine conscience de ce que l’on fait.
L’idée de sagesse comme connaissance est liée au désir de savoir de l’homme. Il s’agit d’une connaissance qui s’élève au-dessus des savoirs particuliers. Ce dont elle est connaissance selon Platon c’est de l’idée du Bien, principe suprême et divin. Le sage est aussi l’homme qui par méditation et contemplation entrevoit, sans jamais la possédée, l’idée divine du Bien. Car selon Platon, le Bien gouverne le monde sensible qui en est la réalité participée. La sagesse est savoir, mais un savoir imminent car elle consiste à connaître la réalité essentielle des choses ; la sagesse est le savoir des essences éternelles de toutes choses. Le philosophe s’élève au dessus des apparences pour atteindre les idées dont l’objet de ses sens est participation. Il s’agit de la vraie connaissance, celle de la réalité éternelle et immuable seule objet de science.
A la suite de Socrate et de Platon, Aristote définira la sagesse comme la connaissance suprême et du suprême connaissable car elle atteint les causes premières et les premiers principes[20]. La philosophie comme sagesse est dans ce sens la totalité du savoir, la science de l’universelle. C’est donc à partir de la connaissance du pourquoi des choses que doit s’entendre la sagesse philosophique.  Aristote écrit à ce propos : « les gens d’expérience savent le fait, mais ignorent le pourquoi, tandis que les autres acquièrent la connaissance du pourquoi, c’est-à-dire de la cause.»[21]
La sagesse comme l’art de bien vivre, est ce que les premiers philosophes ont manifesté premièrement. En effet, le philosophe c’est celui qui mène une vie désintéressée et vertueuse. C’est chez Socrate que l’aspect moral de la sagesse est mis en exergue, et répond à cette question fondamentale pour lui : comment faut-il vivre selon le bien ? Le philosophe est orienté vers le bien dont toute l’existence en est la méditation et la contemplation. Il est l’homme qui ne s’enferme pas dans le divers sensible bien qu’étant dans le monde sensible. Sa vie s’apparente à celle des dieux sans êtres absolument une vie divine.
Pour Socrate, la sagesse du philosophe comme l’art du Bien consiste dans l’humilité qui se traduit par la reconnaissance de ses limites. Pour cela le philosophe en tant que le sage vit en lui ce principe de la sagesse qui est de savoir que l’on se sait ignorant. La sagesse conduit à l’humilité. L’humilité est l’attitude proprement philosophique devant la quête du savoir comme sens du vrai et du bien. D’où la définition de la sagesse dans le Charmide comme le savoir de ce que l’on sait et de ce que l’ont ne sait pas. C’est dans le « connais-toi toi-même » que prend forme cette acception de la sagesse chez Socrate. Ainsi le sage est celui qui fait d’abord un effort sur lui-même pour se connaître car la première de toutes les connaissances est pour Socrate la connaissance de soi.
Se connaître nous-mêmes cela signifie : découvrir en nous la source la plus profonde de notre sens pour le vrai, mais aussi les faiblesses et les manques de cette racine ; découvrir également notre non-savoir, nos tendances à l’illusion ; notre penchant à nous tromper nous-mêmes. Il s’agit pas d’un simple regard dans le miroir de la réflexion, d’une façon de voire et de se décrire. Il s’agit d’une action[22]. La connaissance de soi est un long pour l’homme agissant et souffrant[23]. Se reconnaître soi-même ce qui veut dire se retrouver et trouver sa propre vérité dans la multitude de nos préoccupations, telle est la promesse que la philosophie fait à l’homme libéré des chaines des mythes et des dieux.
Ensuite, le sage c’est l’homme vertueux qui connaissant ses limites se gouverne lui-même avec justice. La justice qui consiste à maintenir l’ordre en soi. Que les différentes parties de l’âme soient en parfaite harmonie ; où le Noùs (la partie intellective) domine la partie irascible et la partie concupiscible[24]. En clair, le philosophe ne se préoccupe pas des choses sensibles et des bassesses. Son existence est ordonnée au Bien.
La sagesse est donc l'idéal de la vie humaine. Elle est par là le "savoir-être heureux" ou encore la science du bonheur. Elle peut encore se définir comme un état de réalisation qui s'accompagne d'un bonheur suprême et correspond à l'état de perfection le plus élevé que puisse atteindre l’homme. Plusieurs chemins sont possibles. Pour atteindre ce bonheur, Héraclite propose des aphorismes qui mettent en lumière le perpétuel mouvement des choses, changement qui nous force à rechercher les solutions adaptatives les meilleures et auquel on doit s'accoutumer : « Tu ne te baigneras pas deux fois dans le même fleuve ». Il invite aussi à la connaissance de la raison des choses : « la sagesse consiste en une seule chose : connaître le logos qui agit toujours et partout.»
Selon Parménide le chemin de la sagesse est celui de l’être immuable et immobile. Il examine dans un poème les chemins de l'être, celui du non-être et la possibilité d'un troisième chemin. Les Stoïciens et les Epicuriens définissent la sagesse comme la maîtrise des désirs par la raison et la connaissance de ce qui est de notre ressort et de ce qui ne l'est pas. Chez Aristote et les Académiciens, il s'agit de rechercher le souverain bien. Ils proposent avec prudence les activités contemplatives et théorétiques pour y arriver. Les Cyniques insistent sur la notion de joie individuelle, d'ascèse et de liberté qui consiste à se conformer à la nature.  « Ôte-toi de mon soleil » disait ainsi à Alexandre le Grand le philosophe cynique Diogène de Sinope.

2.     Le philosophe et le sophiste/la rhétorique et la philosophie

A l’avènement de la philosophie, il fallait établir une distinction avec les sophistes[P2]  qui jadis se faisaient appeler les sages. Pythagore considéré comme l’inventeur du concept de philo-sophie préférait plus modestement être appelé « amoureux ou ami de la connaissance ». Avant Pythagore, on appelait sophoi (ce qui a donné le terme sophiste) ceux qui cherchaient à connaître les réalités divines et humaines, sans que ce mot soit péjoratif.
Le mot sophiste a pris ensuite un autre sens, par opposition à la signification du mot « philosophe ». Certains historiens de la philosophie (Emile Bréhier, Jacques Maritain, A. Kojève) sont d’avis pour dire que c’est en opposition aux sophistes qui se croyaient dépositaires du savoir et de la sagesse que le mot philosophie fut privilégié et vulgarisé très rapidement. Le philosophe s'oppose en effet au sophiste, au sens péjoratif que lui a donné Platon : pour ce dernier, le sophiste est un marchand de connaissances frelatées, un faux-monnayeur qui prétend détenir la sophia, mais qui en réalité ne possède que l'apparence. L’art du sophiste est la rhétorique, là encore il faut faire une distinction avec l’activité philosophique naissante. Car il s’agit pour les deux disciplines de l’usage du langage et donc des mots.
Dans le Gorgias, [P3] Socrate essaie de définir la ligne de démarcation entre la rhétorique sophistique et la philosophie. Socrate ne rejette pas toute la rhétorique sophistique. En effet, pour lui, la rhétorique est un art royal car savoir parler et discourir est une nécessité pour le sage (le philosophe). Aristophane présentera Socrate, non sans ironie, comme faisant partie des sophistes. Mais Socrate procède à une distinction entre la fin et les moyens. La fin de la rhétorique est de faire des hommes capables de bien parler et capables de gérer les affaires publiques et les affaires domestiques. Socrate approuve ce but ; il est entièrement d’accord avec les sophistes pour dire que l’homme ne doit s’occuper que des affaires qui le concernent, par exemple ce qui concerne l’homme en tant qu’homme et sa culture. L’idée que se font les sophistes de l’instruction est ainsi de cultiver en l’homme des facultés universelles. Cependant, au contraire des sophistes, Socrate ne valorise pas l’homme pour la raison que les dieux n’existent pas : ce sont au contraire les limites de l’homme relativement au divin qui imposent que l’on s’occupe de cultiver nos facultés dans les bornes de ce qui nous est donné.
Quant aux moyens de la rhétorique, qui consistaient en l’exercice et la routine, non pas en l’art, il les rejette ; et pour Socrate, aucun bien n'est un bien si l'on n'en sait pas l'usage. Pour éprouver la valeur de ses moyens, Socrate part du principe que le signe d’une capacité acquise est le savoir. Or, le signe du savoir est la capacité à transmettre ce que l’on sait. Socrate entreprit donc d’interroger les sophistes sur la nature du juste, du pieu, de la vertu, etc., et il trouva que ces sophistes ne répondaient pas d’une manière satisfaisante et se trouvaient souvent en contradiction avec eux-mêmes. Socrate impute ces défauts aux lacunes théoriques de la rhétorique et il soulève plusieurs difficultés inhérentes à cette pratique :
  • une communication purement technique ne suscite pas l’art, mais l’imitation ignorante du disciple ;
  • elle ne rend personne meilleur du point de vue morale ;
  • en conséquence, pratiquée en tant que pure technique, la sophistique est une routine qui produit indifféremment des choses bonnes ou des choses mauvaises ;
  • le résultat de la sophistique est donc la routine dénuée de savoir théorique, l’ignorance, le hasard ;
  • cette pratique de l’art est non seulement nuisible, mais elle est impossible : on ne peut rien apprendre par la seule pratique, et ses conséquences sur l’éducation et la politique ne peuvent qu’être catastrophiques.
En conclusion, l’art suppose le savoir comme la technique a besoin de la théorie. Alors que les physiologues, selon Socrate, ont eu l’idée de la science sans la matière, les sophistes ont eu l’idée de la matière sans la science. Il apparaît ainsi une conception de la sagesse qui, en réunissant l’art et la science, serait capable de se suffire à elle-même et de former les hommes, et dans laquelle se trouverait le bonheur véritable. Telle en un premier moment le sens de la philosophie que nous offre son étymologie. Toutefois, l’étymologie ne saurait suffire comme détermination du philosophique, il faut bien identifier ce qu’est proprement l’objet philosophique et comment est-il objectivé c’est-à-dire la méthode philosophique.

3. LE PHILOSOPHIQUE

3.1           L’objet de la philosophie[P4] 

3.1.1    La totalité du vécu humain
La philosophie, nous l’avons vu précédemment, fut considérée comme une activité oiseuse qui consisterait à des discours stériles et ne portant sur aucune réalité concrète. Elle semble n’avoir aucun objet spécifique. Lorsque l’on voudrait lui reconnaître un objet, on trouve qu’il s’agit d’une réalité désincarnée du vécu de l’homme ; aux antipodes de son expérience. Tel est ce que pense Calliclès dans le Gorgias[25]. Cependant, la philosophie comme toute autre discipline a un objet d’investigation sinon elle ne serait pas une science et un art selon la logique de Socrate dans le Gorgias.
Les premiers philosophes ont commencé à philosopher à partir de leur monde immédiat. De Thalès à Parménide, la philosophie est apparue comme une quête de la connaissance profonde de l’univers matériel. La réalité matérielle, c’est ce que vont investir les premiers philosophes. Ceux-ci sont pour cela appelés physiciens ; terme utilisé par Aristote. Cette réalité matérielle est appelée la phusis ; ce mot se traduit par Nature. Il est utilisé par ses premiers philosophes pour évoquer la réalité la plus fondamentale, qui englobe tout, y compris l’homme; une réalité à la fois une et infiniment multiple, perpétuellement en devenir et en métamorphose. Une réalité vivante « dont l’identité unitaire se tient comme en retrait pour laisser être la diversité des phénomènes éphémères. Phusis est le premier nom philosophique de l’être, le moins infidèles, dira Heidegger vingt cinq siècle plus tard (...) Phusis est la matière universelle, vivante, qui croît, se développe et s’épanouit partout diversement, en tout ce qui est et qui devient. La phusis est foncièrement « poïétique » (créatrice) mais d’elle-même et éternellement.»[26]
Comme nous le remarquons la philosophie est par excellence la discipline qui prend en compte le monde de l’expérience spontanée de l’homme. La matière comme matrice de toute expérience intérieure et extérieure de l’homme. Ce que nous entendons par expérience spontanée est l’intuition immédiate de la réalité physique, et l’observation sensible (à partir des seuls sens) de la matière. Cette intuition se fait sans hypothèses organisatrices préalables. Les premiers outils de ceux-ci furent les sens. Héraclite dit à cet effet que les yeux sont meilleurs témoins que les oreilles[27]. C’est donc après la perception sensible que vient le travail rationnel qui à ce moment de la philosophie est de dégager le principe de la physis, d’identifier l’essence de cette matière universelle, ce qui la détermine fondamentalement.
Ce qui conduit à des conceptions multiples de cette matière constitutive de l’univers. Ainsi pour Thalès le principe matériel et matriciel de l’univers est l’eau (expérience faite lui-même de son environnement sujet à inondation). Selon Anaximène il s’agit de l’air, Anaximandre évoque l’infini, l’indéterminé, l’apeiron. Anaxagore de Clazomènes fait appel à un Esprit, le noûs ou le voûs organisateur. Héraclite le feu est l’élément essentiel de l’univers car c’est à partir du feu que le devenir constaté est possible etc.
         L’objet fondamental de la philosophie dans un premier moment est donc la réalité expérientielle de l’homme. Cela prend en compte l’existence concrète, l’existence esthétique, les phénomènes et l’homme lui-même. Le philosophe s’occupe de toutes choses qui soient possibilité d’expérience, de la connaissance elle-même et de ses procédés, de l’être, du bien et du mal, du mouvement, du monde, des êtres vivants et non vivant, de Dieu[28]. « Voilà donc, dit Maritain, la raison humaine qui, avec ses seules forces, se met en quête des principes et des causes des choses. Ce qui frappe d’abord l’intelligence de l’homme, c’est ce qu’il voit et qu’il touche, ce qu’il connaît par les sens. Et ce qu’il cherche d’abord quand il veut expliquer une chose quelconque, c’est de quoi cette chose est faite. Ainsi les premiers penseurs de la Grèce ne considèrent dans les choses que l’étoffe dont elles sont faites, leur matière, ce que nous appellerons plus tard la cause matérielle, qu’il regarde naïvement comme ce qui suffit à tout expliquer.»[29]
Après les anciens, Socrate vient ouvrir la philosophie à un champ plus restreint mais non moins complexe. En effet pour lui l’objet par excellence de la philosophie doit être l’homme. L’homme qui se pose en sujet-objet est le lieu privilégié où toute philosophie quelle qu’elle soit aboutie et s’accomplie. Il s’agit de l’homme qui prend conscience du mystère qu’il est pour lui-même ; mystère au sens grec de musterion qui ne renvoie pas à l’étrange et à l’inconnaissable, mais qui signifie réalité complexe qui a besoin d’un dévoilement et complexe qui a besoin de se comprendre. Socrate adopte l’inscription du temple de Delphes « connais-toi, toi-même » comme la question fondamentalement philosophique et la finalité de toute entreprise philosophique. Car la connaissance de soi dont Socrate se fait fort bien l’écho n’est pas aisée ni évidente.
En somme, l’objet de la philosophie concerne la totalité du vécu de l’homme y compris l’homme lui-même en tant qu’homme. Schopenhauer dira pour cela que « la philosophie est essentiellement la science du monde ; son problème, c’est le monde ; c’est au monde seul qu’elle a affaire.»[30] Elle est pour cela une science universelle. Une science universelle comme la science de toute chose pose problème d’ordre épistémologique. Le premier problème concerne la possibilité pour un domaine de connaissance d’appréhender tout ce qui se passe dans l’univers ; ce serait illusoire car il ne serait pas science de quelque chose. Le second problème est que la philosophie serait pour cela soit la Science unique et l’unique discours valable – ce qui est impossible vue l’immensité de son objet – soit elle absorbe toutes les sciences en elle-même soit qu’elle s’absorbe en ces sciences et par conséquent ne serait rien. Or, devenons-nous maintenir la spécificité de la philosophie.
Dès lors quel est l’objet spécifiquement philosophique qui ne serait ni celle de la physique, ni de l’astronomie ni de l’anthropologie, ni de la médecine, ni de chimie ? La question peut être posée autrement car dans un niveau formel, la philosophie partage bien évidement avec ces sciences le même objet. Ainsi la question pour être légitime doit être de savoir de quel point de vue le philosophe appréhende toute chose[31] et qui donnerait une valeur épistémologique à la philosophie? Cela nous conduit à nous référer à Platon, Aristote et Descartes.

3.1.2. L’objet philosophique du point de vue de Platon
Chez Platon il y a trois niveaux de connaissance : il y a la doxa, l’opinion et la connaissance vraie. Le premier niveau est celui de l’homme du commun, une connaissance mixte entre l’ignorance et l’apparence du vrai. Le deuxième est la connaissance du monde sensible et donc probable et le troisième niveau, seule vraie connaissance est celui du philosophe. Chez Platon l’objet de la philosophie se perçoit à travers le problème posé par l’école milésienne à l’orée de la philosophie. Après la théorie du mobilisme universel dont cette école est mère, le problème qui demeure est celui-ci : qu’est-ce qui demeure au-delà du changement, du devenir et de l’éphémère ? S’il y a du mouvement c’est qu’il y a quelque chose qui en est le sujet ; qu’est-ce porte le mouvement ? « Tout passe » ; tout ce que les sens nous donnent à expérimenter est évanescent et périssable. Qu’est-ce qui est permanent pour que la vraie connaissance des choses et de la réalité soit possible?
Pour réponde à cette question essentielle à la pérennité de la philosophie, Platon à travers le mythe de la caverne postule à l’hypothèse de la dualité du monde : le monde sensible et le monde des idées[32]. Dans ce dualisme le monde sensible est changeant. C’est le monde de la multiplicité, des apparences et des copies imparfaites, de reflets grossiers et instables. Il n’a d’existence que comme participation au monde des idées, un moins être. Quant au monde des idées, c’est le monde des essences pures et immuables ; le monde de l’un et de l’universel. Ce sont les idées qui sont l’objet de la connaissance vraie et par conséquent l’objet par excellence de la philosophie. Elles constituent la vraie réalité, « celles dont dérive l’être des choses dans le monde.»[33] Les idées sont les seules réalités véritables, elles sont plus réelles que les objets de notre expérience immédiate. Pour mieux dire, elles ne sont pas réelles au même titre que les choses.
Les idées donnent existence aux choses c’est-à-dire leur être ainsi que leur valeur en tant que possibilité effective d’exister. Les Idées caractérisent la réalité fondamentale de toute chose, d’où tout provient. En tant que source de toute chose, les idées sont les formes intelligibles, modèles des êtres sensibles ; comme les archétypes du monde sensible. Elles sont pour cela essence. L’essence platonicienne signifie la réalité demeurant identique à elle-même et immuable et éternelle. L’idée est la pure nature des choses sensibles, non perçu immédiatement car elle est dans une situation de voilement. C’est l’en-soi des êtres participés. L’en-soi des choses n’est pas du monde sensible car les êtres sensibles sont composés et relatifs, tandis que les idées sont simples et éternelles et absolues.
Pour Platon le point de vue de l’objectivation de la totalité du vécu est l’appréhension et la compréhension de l’essence de toute chose qui est saisie médiate de la chose en-soi. C’est l’en-soi des choses, l’en-soi de la totalité du réel qui intéresse le philosophe : l’en-soi est essence et idéel.

3.1.3.  L’objet philosophique selon Aristote
Aristote, anciennement disciple de Platon, maintient l’idée que la philosophie est la science de l’universel, la totalité du savoir. La totalité comme objet de la philosophie chez Aristote se situe quelque peu à l’opposé de la pensée de Platon. Le dualisme de Platon – le monde des Idées séparé du monde sensible –  ne se retrouve pas chez lui tel que formulé. Chez Aristote les deux mondes ne sont pas séparés car les idées sont les idées de quelque chose. Comme formes, les idées sont immanentes à la réalité sensible. Toutefois, il y a un autre type de dualisme qu’on peut admettre chez Aristote sans faire de parjure. En effet, il part de la distinction du singulier et de l’universel, du particulier et du général. C’est dans cette sorte de dualisme que doit se situer la recherche philosophique. L’objet de l’expérience sensible est le singulier et celui de la science est l’universel. Cependant, la science aristotélicienne part du singulier pour atteindre l’universel.
         La philosophie comme science de l’universelle ne l’est pas de la même manière que les autres sciences. « Cette science n’est pas identique à aucune de celles qu’on appelle partielles, car aucune des autres n’examine en totalité l’être en tant qu’être mais elles en découpent une partie et étudient à son sujet le coïncident par soi, comme font les sciences mathématiques.»[34] En effet les autres sciences lorsqu’elles étudient quelque réalité cherchent en elle leur quantité et leurs qualités particulières. Pour Aristote l’objet de la philosophie est par excellence l’être en tant qu’être[35]. En ayant l’Être comme objet, ce que veut toucher le philosophe ce sont les causes premières et les premiers principes[36]. En parlant de causes premières et de premiers principes, il s’agit de pléonasme non moins évocateur chez Aristote : « puisque, manifestement, il faut acquérir la science des causes principielles (car nous déclarons savoir chaque chose quand nous pensons acquérir la connaissance de sa cause première)»[37].
Aristote identifie quatre causes dans la détermination de l’objet philosophique : la cause formelle, la cause matérielle, la cause efficiente ou motrice et la cause finale. Ces causes sont dans leur ensemble les caractéristiques de la réalité et d’une chose. Leur connaissance ouvre le chemin vers l’Être fondamental. «Mais en tant qu’elle (la philosophie) a été définie comme science des premières causes et de ce qui est au plus haut point objet de science, une telle science serait la science de la substance.»[38] Selon le stagirite, la question du pourquoi est avant tout une question du qu’est-ce que c’est. Elle permet de remonter en définitive à l’essence de l’être. La substance est ce qui détermine la chose en soi ; c’est à partir de la substance comme l’être fondamental que tout discours philosophique prend forme.
La chose en soi, ce qu’elle est en tant qu’elle est tel, est ce que cherche le philosophe quand il s’intéresse à quelque réalité. Toutes les autres sciences délimitent un certain être c’est-à-dire sous le rapport d’un certain genre dont elles traitent ; sous l’aspect de leurs propriétés physiques ; mais elles ne traitent pas de l’être pris simplement ni en tant qu’être. La substance c’est aussi l’essence de l’être en tant qu’immuable et éternelle ; ce qui demeure inchangé malgré le changement. La substance est l’être même de ce qui est en acte comme de ce qui est en puissance. D’où ce constat pour Aristote que l’être se dit de plusieurs manières mais tout cela à partir de la seule substance. La substance est principe de génération d’où proviennent les accidents. Chez Aristote le philosophe est celui qui cherche l’être fondamental qui préexiste au-delà des affections des étants : le ce que c’est reste toujours identique. Il n’y a jamais deux essences du même être c’est pourquoi il est dit identique.
Si la philosophie est recherche de l’être en que substance c’est-à-dire l’être fondamental et principiel, Aristote n’ignore pas qu’il y a problème dans cette appréhension de la substance. Comment rendre compte de la catégorie du mouvement à l’intérieur de l’être car il y a bien du mouvement qui se présente comme changement, génération et devenir. Pour résoudre ce problème née des présocratiques et afin de réhabiliter la réalité du mouvement ou du changement, Aristote utilise les notions de l’être en puissance et de l’être en acte. L’être en acte est l’être à l’état accompli, la cause formelle qui rejoint sa cause finale. L’être en puissance est l’état de l’être en devenir, qui tend vers son entéléchie (état d’accomplissement). Aussi, invente-t-il les catégories [P5] de l’être. Il en identifie dix catégories : la Substance, la Quantité, la Relation, la Qualité, l'Action, la Passion, le Lieu, le Temps, la Situation, la Manière d'être ou de posséder.
En somme, chez le stagirite la philosophie comme science de l’universel c’est-à-dire des causes premières est, in fine, la quête de la vérité. Ce que Descartes mettra plus en exergue.

3.2.4. Le point de vue cartésien
L’objet philosophique à partir de ces précédents philosophes est la recherche de l’Être simpliciter comme principe de la connaissance. Ce à partir de quoi la connaissance de toute réalité prend frome et à partir de quoi le discours philosophique devient possible. Dans cette optique, Descartes vient ajouter à la philosophie une autre catégorie non moins essentielle qui nous permet d’appréhender au mieux le philosophique. En effet, il privilégie la conception traditionnelle de la philosophie comme quête de la vérité. La philosophie comme recherche de la vérité selon Descartes consiste à découvrir la certitude première sur quoi tout le savoir humain doit être fondé.
         Il s’agit de trouver la vérité fondamentale non des choses, mais ce qui donne aux choses l’assurance de leur existence et de leur propre vérité. La philosophie est science des premiers principes, doit s’entendre avec Descartes comme point de départ certain de la possibilité de toute connaissance. Ce à partir de quoi le discours des autres sciences peut être fondé. La philosophie devient science du connaissable par excellence, autrement dit elle est en quête de principes qui fondent et produisent de façon épistémologique tout savoir quel qu’il soit.
« Afin que cette connaissance soit telle, il nécessaire qu’elle soit déduite des premières causes, en sorte que pour étudier à l’acquérir, ce qui se nomme proprement philosopher, il faut commencer par la recherche de ces première causes, c’est-à-dire des principes, et que ces principes doivent avoir deux conditions : l’une qu’ils soient si clair et si évidents que l’esprit humain ne puisse douter de leur vérité lorsqu’il s’applique avec attention à les considérer ; l’autre que ce soit d’eux que dépende la connaissance des autres choses, en sortes qu’ils puissent être connus sans elles, mais non pas réciproquement elles sans eux ; et qu’après il faut tâcher de déduire tellement des ces principes la connaissance des choses qui en dépendent qu’il n’y ait rien en toute la suite de déduction qu’on en fait qui ne soit très manifeste.»[39]

Ces principes Descartes les découvre dans l’ordre suivant : le premier « le cogito ergo sum » le sujet transcendantal comme substance pensante : « et remarquant que cette vérité : je pense, donc je suis, était si ferme et si assurée que toutes les plus extravagantes suppositions des sceptiques n’étaient pas capables de l’ébranler, je jugeai que je pouvais la recevoir sans scrupule, pour le premier principe de la philosophie que je cherchais.»[40] Et le second principe est Dieu dont l’existence est aussi claire et distincte. La remarque que nous faisons chez Descartes est que la philosophie est plus une méthode de connaissance qu’un ensemble unifié de savoir.   
         En somme, la philosophie comme science de la totalité du vécu, dans son appréhension des causes premières et des premiers principes de la réalité expérientielle de l’homme, devient science de la vérité[P6] . Ainsi, de son étymologie à la spécification de son objet, l’objet de la philosophie est par excellence la vérité, la vérité de la totalité du vécue. La recherche des causes premières n’est rien s’identifie en dernier ressort à la quête de la vérité, du vrai en toutes choses. Car la vérité ne peut être décrite que comme propriété de l’Être et qualité de la connaissance[41].
« On a raison aussi d’appeler la philosophie science de la vérité, car l’accomplissement de la science théorique est vérité, celui de la science pratique est œuvre. (…) or nous ne connaissons pas le vrai sans la cause. (…) par conséquent, est plus vrai ce qui est cause de vérité pour ce qui vient après. C’est pourquoi les principes des êtres éternels sont toujours nécessairement les plus vrais, car ils ne sont pas vrais de temps en temps et n’ont pas de cause de leur être, mais eux le sont pour les autres, si bien que chaque chose a autant de vérité que d’être.»[42]




Comment connaître l’être en tant qu’être ? Par quelle voie la philosophie donne-t-elle accès à l’essence du réel, aux causes premières et aux premiers principes? Comment connaître philosophiquement? En clair comment accéder à la vérité? La réponse à cette préoccupation revient à identifier la méthode spécifiquement philosophique. D’emblée nous disons que la méthode philosophique par excellence est la réflexion critique.
Cela correspond mieux à la recherche philosophique et caractérise spécifiquement la méthode philosophique. Le raisonnement en effet, comme activité de l’intelligence humaine, partant de ses propres ressources, est le premier moment de la méthode philosophique. Dans un deuxième moment, la réflexion se fait critique, c’est-à-dire remise en cause du sens commun; une remise en question des connaissances traditionnelles reçues pour vraies. Qu'est-ce que critiquer sinon percevoir les limites d’une chose et du discours; soumettre tout à une question de droit, faire subir l'épreuve de la légitimité afin de fonder leur validité. C’est à partir de cette méthode fondamentale que toutes les autres méthodes spécifiques apparaissent selon leur objet de réflexion. Ainsi dans sa forme cosmologique la méthode réflexive critique prend forme chez les premiers philosophes. Avec Socrate et Platon, elle devient dialectique.
La dialectique, méthode ou art dialectique, est un procédé de débat et d’argumentation, de raisonnement, de questionnement, et enfin d'interprétation qui occupe depuis l'Antiquité une place importante dans la philosophie. Du grec dialektikê, plus précisément de dia (« rapport » ou « échange »), legein (« parler ») et tekhnê (« art » ou « technique »), le mot semble renvoyer à l’art et à la technique qui permet d’échanger des idées à partir de positions différentes et de cerner une question, de la traverser de part en part en cherchant à dépasser les contradictions. La dialectique aurait été inventée par le penseur présocratique Zénon d’Elée, mais c'est surtout son emploi systématique dans les dialogues de Platon qui a rendu le terme usité en philosophie.
On peut en effet percevoir l'une des sources majeures de la dialectique dans la méthode dialogale Socratique. Le dialecticien est «celui qui sait interroger et répondre » (Platon, Cratyle). En conséquence, le dialogue socratique est dialectique, de même que l’activité de penser, dans la mesure où elle est définie comme une « conversation de l’âme avec elle-même », cette dernière « s’adressant questions et réponses » (Platon, Théétète). Socrate, fils d'une sage-femme, applique à plusieurs reprises ce qu'il appelle l'art d'« accoucher les âmes », la maïeutique. Cette méthode consiste en un questionnement progressif s’enchainant logiquement de façon à faire «accoucher» l'interlocuteur d'une connaissance qu'il possédait en lui sans s'en rendre compte.
Le but de cette technique est donc de découvrir une vérité et une définition, comme dans les dialogues de jeunesse de Platon dits « socratiques ». Socrate avait aussi une méthode de réfutation particulière (elenchos socratique), consistant à pousser la thèse de son adversaire jusqu'à ses ultimes conséquences pour en montrer l'invraisemblance (sous la forme de contradictions découlant de cette thèse). La fécondité de la dialectique peut être remise en cause, car elle débouche en général chez Socrate sur une impasse ou une « aporie ». Toutefois, cette méthode permet au moins de dissiper des erreurs et de fausses conceptions. 
Platon, qui prolongea la réflexion de son maître sur cette notion, conçut d’abord la dialectique comme l’art de diviser les choses en genres et en espèces pour mieux les étudier, en discuter et ne point juger la même nature une et autre en même temps (le sophiste). Cette division déboucha sur un autre sens, à savoir le mouvement de l’esprit qui remonte de concept en concept, de proposition en proposition, jusqu’aux concepts et propositions ontologiques, qui portent sur l’être, ce qui est. La dialectique platonicienne permet alors de passer de l’apparence et du sensible aux Idées et de façon ultime à l’Idée du Bien, principe absolu et transcendant.
Cela repose sur la confrontation de plusieurs positions de manière à dépasser la doxa et l’opinion en vue de parvenir à un véritable savoir c’est-à-dire à la vérité. La dialectique représente donc la source de la vraie connaissance, par opposition à la doxa et à la connaissance sensible, considérées comme illusoires. Supposée anhypothétique – allant au-delà des hypothèses – elle constitue la voie par excellence pour approcher de l’intelligible. Chez Platon il s'agit donc d'un moyen d’élever l’esprit humain du monde des apparences vers l'intelligible, jusqu'aux concepts les plus généraux, jusqu'aux principes premiers.
Aristote définit lui aussi la dialectique comme l'art du raisonnement qui portent sur des opinions probables, ou l'opposition d'opinions contraires. A la dialectique, il a dédié ses Topiques ainsi qu'une partie du livre Γ de sa Métaphysique. Mais il faut souligner qu’Aristote à préférer parler de logique. Selon le Ch. 4 du dernier texte, la logique, comme instrument, est indispensable pour trouver une preuve légitime du principe. Il s'agit, à son avis, de la loi de non-contradiction et du principe du tiers-exclu, considérés comme pré-condition fondamentale de l´être et de la vérité. Si on essayait de donner une démonstration du principe, on aboutirait à un raisonnement circulaire, qu'Aristote qualifie justement de « pétition de principe ». Comment donner alors une preuve rationnelle du principe?
Selon Aristote, cet argument n'est pas impossible, mais il doit s'articuler comme une réfutation de quiconque croit l'opposer. Platon avait déjà dit, in République 510, 533 sqq., que seul le dialecticien parvient à apercevoir les principes anhypothétiques, l’idée du Bien. Ne partageant pas la théorie platonicienne des Idées, Aristote ne garda de la dialectique que la technique de raisonnement et il invente l’analytique, fondée sur des propositions certaines et a pour objet la démonstration. L’exemple de proposition certaine est le syllogisme. La dialectique ne représente donc plus l’accès certain au vrai et perdait dès lors son rôle fondamental dans la philosophie. Toutefois pour Platon et Aristote la méthode philosophique débouche sur la contemplation. La philosophie comme science théorétique et spéculative est méditation et contemplation de l’Absolu. Car seul le philosophe sait chanter la vraie vie des dieux et des hommes heureux[43].
Dans un élan critique de la dialectique comme la méthode philosophique par excellence deux grandes figures de philosophe nous apparaissent : Descartes et Kant. Chez Descartes, c’est la dialectique enseignée par la scolastique qu’il réfute radicalement. Selon lui c’est une méthode qui ne conduit pas à la connaissance « claire et distincte », en donnant l’illusion que l’on possède un savoir fondé (Discours de la méthode).La dialectique paraît alors manifestement condamnée et elle doit céder le pas au doute qui au terme parvient à la certitude.
 Dans la Critique de la raison pure (1781), Kant conteste aussi la dialectique comme raisonnement illusoire. Il mit donc en œuvre, à côté de l’analytique transcendantale ou logique de vérité, la dialectique transcendantale qu’il appelle encore logique de l’apparence transcendantale, c’est-à-dire la discipline qui étudie, de façon radicalement critique, l’illusion vaine qui pousse l’esprit des hommes à croire pouvoir surpasser les frontières de l’expérience et être capable d’appréhender et de cerner l’absolu, en l’occurrence les Idées de Dieu, du monde et du moi. Le mot « dialectique » possède ainsi chez Kant un double sens : l’illusion qu’il faut critiquer et l’étude allant de pair avec la critique de cette illusion ; le philosophe qualifia cette seconde dialectique de « transcendantale ».
 Hegel reviendra à la dialectique comme la forme même de la Raison et la manifestation de l’être. Il rétablit la dialectique au centre de la philosophie, et lui donne un sens nouveau. Aussi édifie-t-il une nouvelle manière de philosopher. Pour Hegel en effet la dialectique est la marche de la pensée selon sa propre logique — ce mouvement de la pensée correspondant à celui de l’Être même. En effet, Hegel soutenait que « le réel est rationnel et le rationnel est réel », car la dialectique est « la vraie nature propre des déterminations de l’entendement, des choses et d’une manière générale de l’infini » (Encyclopédie des sciences philosophiques, 1830). Ainsi, il imposa une nouvelle vision de l’ontologie, de la logique, de la pensée et de la philosophie en général.
Renouant avec Héraclite, Hegel se sert de la dialectique pour résoudre les contradictions qui se manifestent dans l’Être, en les plaçant dans le temps et particulièrement dans l’Histoire, grâce à laquelle et dans lesquelles elles se déploient. Il considérait que la dialectique permet de comprendre l’union des contradictions et de dévoiler que le principe de cette union réside en une unité supérieure. Le processus qui anime le réel et le rationnel — l’être et la pensée — obéit à un rythme ternaire : thèse ou affirmation, antithèse ou négation et synthèse ou négation de la négation, moment de l’Aufhebung, dépassement-conservation. Ce mouvement dialectique s’opère dans la totalité du réel, la dialectique du maître et de l’esclave en est l’exemple le plus célèbre (Phénoménologie de l’Esprit, 1807).
4.     Les grandes parties de la philosophie
La philosophie comme science de la totalité du vécu ne pourrait pas être subsumée dans les autres sciences et son objet spécifique ne se confond pas avec les autres domaines de la connaissance. « Toutes ces sciences délimitent un certain être c’est-à-dire un certain genre, dont elles traitent, mais elles ne traitent pas l’être pris simplement ni en tant qu’être. Elles ne produisent non plus elles-mêmes aucun énoncé du ce que c’est, mais elles en partent, les unes en le rendant évident par la sensation, les autres en prenant le ce que c’est comme hypothèse.»[44]
Cependant au sein de la philosophie il y a plusieurs domaines de connaissance en fonction de l’objet considéré. Il ne s’agit pas de disciple en dehors de la philosophie, mais des domaines de philosophie. Par conséquent leur objet aura la même caractéristique philosophique et envisagé selon la même méthode proprement philosophique. Ainsi à la suite de Jacques Maritain nous convenons de diviser la philosophie en trois grands domaines de réflexion. Nous préférons parler de domaine pour la simple raison qu’il ne s’agit pas d’objets hors du champ philosophique ; chacun des domaines considère son objet philosophiquement.
Ainsi donc, les domaines sont : la logique, la philosophie spéculative, et la philosophie pratique.
La logique est conçue comme propédeutique à la philosophie. Elle touche à l’instrument privilégié de la philosophie qu’est la Raison. C’est en effet par la Raison que philosophie atteint le vrai. Comment y parvient-elle ? La logique sera donc l’étude de la raison dans son mode de connaissance, dans sa manière d’accéder au vrai. Elle dégage les lois de fonctionnement de la Raison. Elle porte concrètement sur les concepts (l’être de raison, ou les choses comme présentation dans l’esprit) et l’ordre à faire régner entre les concepts afin que l’esprit arrive au vrai. C’est en fait le travail de pure re-flexion sur elle-même. C’est la Raison qui s’objective ; elle devient à la fois objet-sujet. Dans ce domaine il faut classer aussi la philosophie du langage et la logique elle-même.
La philosophie spéculative. Elle est la philosophie par excellence. Elle porte sur la détermination fondamentale de la réalité : l’être. Une science qui vise à connaître les choses par l’intellection de leurs premières causes. Elle cherche à connaitre l’essence même des choses, leur réalité irréductible à elle-même.
La philosophie pratique. Celle-ci est dite pratique dans la mesure où elle porte spécialement sur l’action de l’homme. Elle cherche à connaître le principe de l’action de l’homme et ce en quoi elle prend racine et vers quoi elle tend. C’est la science du souverain bien, le bien absolu rationnellement connaissable, qui sert de critère de jugement. La philosophie morale est la philosophie pratique par excellence.
Par ailleurs cette trilogie des domaines philosophies n’est pas exclusive tant la philosophie contemporaine fait face à une nouvelle manière d’appréhension le philosophique. Ainsi la philosophie emprunte le chemin de la phénoménologie et de l’herméneutique. L’objet philosophique donc apparaît sous le jour de ces deux disciplines.
III. FOI ET RAISON : LA NUIT DE LA PHILOSOPHIE

III.1. L’époque médiévale : Dieu, philosophie et théologie

La connaissance à l’époque médiévale est circonscrite dans le cadre de la révélation chrétienne. La foi est la mesure de la connaissance. L’Eglise impose la foi comme norme de vérité. On explique tout par la transcendance, le sacré (par la Révélation). Dieu est le principe explicatif du monde. Au niveau politique, le pouvoir est théocratique. C’est Dieu qui donne le pourvoir au roi. Aussi, l’homme dans le corps politique se définit par rapport à la société. C’est elle qui donne sens et valeur à son existence et à son activité. La communauté  transcende l’individu et le soumet à ses règles. Il se définit par rapport au tout.
Au niveau scientifique, la connaissance reste improductive parce que trop liée aux prescriptions bibliques. Elle se borne à interpréter les écritures ou la Révélation. La pensée scolastique en est le sommet. Tout était ramené à la théologie. Ainsi nous avons une interprétation chrétienne du platonisme avec St Augustin, de l’aristotélisme avec Thomas d’Aquin. Du point de vue de la technique cette période demeure dans l’ensemble agricole, sans évolution technique pour ainsi dire, archaïque. L’art est essentiellement religieux, le style gothique. Il consiste en la reproduction des scènes bibliques, de l’univers ecclésiastique, de l’hagiographie, l’angélologie, etc. En clair, pour les Occidentaux l’époque médiévale représente l’enfance de l’humanité, une époque de tâtonnement et de stagnation intellectuelle. Ce qui fait dire à Jacques LE GOFF que « l’occident médiéval est un monde médiocrement équipé »[45].
Le plus captivant à cette époque c’est bien le débat entre philosophie et théologie. L’une cherche ce que l’autre semble avoir déjà trouvé. La philosophie est quête de vérité comme principe et cause de toutes choses, le vrai qui rend intelligible le monde. En revanche, cette vérité la théologie ne la recherche pas, plutôt elle cherche à la rend intelligible tant elle l’a déjà découverte. Mais nous devons lever une équivoque avec le concept de théologie, car chez les anciens, la philosophie en tant que sagesse suprême fut considérée depuis Pythagore passant par Platon et Aristote comme une science divine. En effet pour Platon seule le philosophe était capable de chanter la vie des dieux. La philosophie s’occupait aussi de chose divine, les idées et l’Idée du Bien, le principe suprême.
Chez Aristote dans sa classification des domaines de la philosophie, il identifie celle-ci à la théologie. D’abord parce que la philosophie est science première et il faut remonter à un moteur premier. Ce moteur premier est éternel, non causé et principe de lui-même. Ensuite cette science première est désintéressée et non subordonnée à quelque utilité. Enfin, elle est ainsi science suprême, car toutes les autres en dépendent[46]. Cette théologie peut s’appeler théologie naturelle ou théodicée comme chez Leibniz. Elle remonte rationnellement des êtres à l’Être premier comme principe. Mais ce n’est pas de cette théologie qu’il s’agit ici.
La philosophie dans le tournant de l’époque médiévale cohabite avec la théologie dite de révélation ou surnaturelle. C’est la science de Dieu en tant que Dieu lui-même se révèle à l’homme et dit quelque chose sur lui-même ; en d’autres termes Dieu s’est raconté aux hommes. Elle signifie la science de Dieu que l’homme ne peut de lui-même atteindre par la force de sa Raison. La théologie a abordé un objet totalement inaccessible à la raison : Dieu dans son absolue déité. Pour cela le moyen dont elle dispose est la foi. Nous définirons la foi comme une capacité de croire à des vérités surnaturelles auxquelles la raison ne peut avoir la capacité de recevoir. Par ailleurs, cette théologie a besoin de la raison pour rendre explicites et intelligibles – et non pour fonder – ces vérités révélées. En soi, la vérité dont il est question pour la théologie est essentiellement d’ordre religieux. Elle est relative au christianisme, bien que l'on puisse parler également de théologie juive ou musulmane.
III.2. La Philosophie servante de la théologie
Le concept de théologie, comme nous l’avons constaté, est plus ancien que le christianisme. Ce n'est qu'avec beaucoup d’hésitation et voir beaucoup de réticence que le concept s'imposa au monde chrétien. En effet, l’on ne trouve pas ce mot dans le langage biblique. Les raisons décisives de l’apparition de la théologie chrétienne furent le renforcement et l'extension du christianisme dans l'Empire romain, mais surtout sa rencontre avec la pensée grecque[P8] .
Dans un premier moment, la pensée chrétienne consistait simplement en l’annonce du message kérygmatique de la divinité du Christ et dans l’expression simple telle que « Jésus est le Seigneur et le Christ » (Actes des Apôtres, 2, 36). Ce kérygme se trouva confronté aux exigences d’une pensée helléniste conceptuellement élaborée, d’une philosophie systématisée. Pour que le kérygme ait droit de citer et qu’il puisse continuer de s'étendre et justifier de sa rationalité face aux attaques des philosophes « païens » (parmi lesquels précisément, il faut compter les néoplatoniciens, les Stoïciens, et les épicuriens), les chrétiens se sont résolus donc à le traduire sous la forme d'un discours conceptuel, dans des schèmes de pensée qui ne sont pas ceux de la Bible, mais ceux de la pensée grecque. Ainsi, le concile de Nicée (325) parvint à définir la divinité du Christ en employant des termes tels que : « engendré du Père » et de « la même substance que le Père », « Hypostase de Dieu, homo-ousia».Cette systématisation de la pensée chrétienne qui engendre la théologie donnera à la philosophie en rapport à celle-ci un statut particulier durant tout le moyen âge. Deux types de rapport caractérisent la rencontre de la théologie et de la philosophie.
Premièrement, la théologie portant déjà en elle la vérité, apparaît comme une science supérieure. En effet par la hauteur de son objet et par la certitude de son principe (Dieu), aussi par l’excellence de sa lumière, la théologie se dit science supérieure par rapport à la totalité du savoir humain. Pour Thomas d’Aquin par exemple l’argument qui vient de l’autorité de l’homme est toujours inférieur et plus faible que celui qui vient de Dieu. A partir cette considération la théologie se pose à en juge de la philosophie comme la philosophie l’est pour les autres sciences. « Par là elle exerce à son égard un rôle de direction, mais négatif, qui consiste à déclarer fausse toute proposition philosophique incompatible avec une vérité théologique. La théologie contrôle ainsi et tient sous sa dépendance les conclusions émises par les philosophes.»[47] La théologie devient plus affaire d’autorité de contrôle par une instance religieuse qu’affaire de connaissance.
Secondement, la philosophie devient un instrument au service du discours théologique. Au cours de sa rencontre avec la philosophie, celle-là deviendra un réservoir d’outils conceptuels pour penser les vérités révélées et les traduire en langage humain. La philosophie deviendra pendant prêt de 100 siècles ancilla théologiae. Ce qui signifie que la philosophie est la servante soumise de la théologie. Instrument parce que les théologiens utilisent les concepts établis par les philosophes pour leurs propres démonstrations. Par ailleurs, il faut souligner que la philosophie servante de la théologie ne l’est pas en ses principes ni dans ses démonstrations, mais dans ses conclusions. C’est donc sur les conclusions philosophiques que la théologie s’appuie pour construire ses propositions. Aussi, lorsqu’elle juge la philosophie c’est en fonction ses conclusions qu’elle le fait.  

L’homme n’est pas seulement un être sensible, dont les seules aspirations consistent en la satisfaction de besoins matériels et à la satisfaction intellectuelle de quelques curiosités à travers certaines connaissances. Il aspire à un plus être. C’est à juste titre que Spinoza découvre le caractère essentiel de l’homme comme être de désir. L’homme est toujours en avant de lui-même, il fait aussi l’expérience d’une insatisfaction perpétuelle du point de vue gnoséologique. Il y a en nous une exigence de l’Absolu. « L’exigence de l’absolu vient à moi comme celle de mon moi essentiel à l’égard de ma simple réalité vitale.»[48] Cette exigence ne prend pas forme dans notre existence empirique. L’exigence de l’Absolu révèle l’homme à lui-même comme étant bien plus qu’un être empirique ; un être principalement spirituel.
L’Absolu prend donc naissance en nous comme tension entre les vérités partielles et une Vérité capable de satisfaire de façon définitive l’homme. L’Absolu est donc la Vérité en-soi qui dissipe tous les doutes et jettent la lumière sur nos limites tout en les comblant. Cet Absolu doit être capable de susciter, d’informer, de guider, de déterminer l’action de l’homme. C’est seulement en la découverte de l’Absolu que l’action et le désir trouvent leur finalité et leur accomplissement définitif. En ce sens donc, l’exigence de l’Absolu appelle en nous la foi comme aptitude ou faculté à recevoir le mystère. Cet Absolu dans la condition actuelle de l’existence humaine doit être simplement postulé comme donnée de foi, pour ne pas dire qu’il s’agit d’une donnée de la Foi. Cela revient à dire : bien que ce soit une exigence en l’homme – exigence expérimentée comme spirituelle – c’est l’Absolu qui vient à l’homme en dévoilement de soi, en clair une sorte de révélation à l’esprit humain.
C’est en effet Saint Augustin qui montre que cet Absolu, qui est Dieu, est déjà en l’âme humaine et que c’est à travers cette exigence qu’il se dévoile. Mais l’Absolu comme Dieu se dévoile simplement comme donnée de Foi. «Le premier pas sur la voie qui conduit la pensée vers Dieu est l’acceptation de la révélation par la foi.»[49] Remarquons que pour Augustin, la foi est acte de la pensée ; elle est de l’ordre de la nature intellectuelle de l’homme. La foi est l’acte de pensée qui s’accompagne d’assentiment ou d’acceptation (« credere est cum assensione cogitare.»). Pour saint Augustin, croire est l’une des activités de la pensée si naturelle, si nécessaire, que l’on ne conçoit pas de vie humaine où cet acte de foi n’occupe pas une très large place[50]. L’homme est donc capable d’acte de Foi parce qu’il est rationnel. Mais pour recevoir la Vérité de Dieu qui se trouve en lui, l’homme doit forcément croire. Croire est une certaine manière de savoir. Dans l’ordre de la connaissance, la Foi précède la Raison. Cette position d’Augustin ne traduit pas simplement la primauté de la Foi sur la Raison. Il traduit un rapport plus complexe de la foi et de la raison que nous réduisons en trois moments.
D’abord la raison précède la foi. La foi est possible parce qu’avant elle, la pensée de ce dont elle est foi a été conçue précédemment. La raison vient avant la foi signifie que c’est dans sa forme de pensée comme intellection, sans justification de ce dont est elle saisi, qu’elle précède la foi. Pour qu’il y ait assentiment (croyance) à ce que l’on pense, il faut qu’il y ait au départ la pensée de l’objet de foi. Ainsi se justifie donc la célèbre assertion augustinienne : «ergo intellige ut credas, crede ut intelligas » (je comprends pour croire, je crois pour comprendre).
Ensuite, la raison suit la foi. La raison suit la foi, car la connaissance rationnelle est obscure et a besoin d’une illumination que seule la foi est capable de lui donner. L’acte de foi ici est adhésion de l’esprit humain puisqu’il s’agit de la connaissance de l’Absolu-Dieu, la seule vraie connaissance qui donne aux autres connaissances leur intelligibilité et leur validité. La raison qui suit la foi révèle l’ordre surnaturel et divin.
Enfin l’intelligence du contenu de la foi est rendue par la raison qui en est préalablement illuminée. C’est à partir de la raison que la foi devient discours et engendre par là la théologie. Le mérite de saint Augustin est d’avoir concilié la Foi et la Raison et d’avoir souligné leur interdépendance. La Foi et la Raison ne s’excluent pas, mais atteignent la connaissance de Dieu dans une harmonie parfaite de leur nature. Car Dieu qui a fait la Raison et la Foi ne peut les opposer et les rendre contradictoires. Le contenu de Foi ne contredit pas la Raison. Après Saint Augustin, le rapport foi et Raison sera perçu différemment dans la seconde moitié de l’époque médiévale.
Pour Saint Thomas d’Aquin[P10] , il y a une connaissance surnaturelle et une connaissance naturelle qui renvoient à deux moyens de connaissance distincts : la Foi et la Raison. La Raison pour lui est la faculté naturelle de penser spécifiquement humaine et la Foi est adhésion à la révélation et acceptation des dogmes qui en proviennent. Ainsi donc, entre la Foi et la Raison, il n’y a pas intrinsèquement de point commun. L’une résulte de prémisses indémontrables et l’autre procède de prémisses et de principes qu’elle a pris la précaution de prouver et de démontrer soit empiriquement soit purement logique. Par conséquent, lorsque nous parlons de foi et de raison selon Thomas d’Aquin, nous sommes en face de deux types de vérité qui ne se contredisent pas et demeurent des vérités séparées. La raison ne peut pas vérifier ni prouver la véracité et la fausseté des propositions émises par la foi. En revanche, il maintient le mouvement inverse, que la foi peut contredire les vérités rationnelles à partir de la logique de la révélation. Par ailleurs, on ne peut pas remonter à partir des choses sensibles aux vérités de la foi. Thomas d’Aquin s’oppose à bien égard à Abélard qui croit partir des choses sensibles, de la création et de la raison bien ordonnée pour remonter à la Révélation.
Pour les scolastiques nous sommes en face de deux types de connaissance qui portent en elles cette exigence de l’Absolu. Car le même Dieu est la source de ces deux modes de connaissance et comme la vérité est l’un des principaux attributs de Dieu, il est impossible que Dieu se contredise par ces deux modes. Toute opposition apparente entre la révélation et la raison peut être imputée soit à un usage incorrect de la raison, soit à une inexactitude d’interprétation des termes de la révélation. Néanmoins, dans la mesure où les scolastiques conçoivent la révélation comme l’enseignement direct de Dieu, ils considèrent qu’elle possède un degré de vérité et de certitude supérieur à celui de la raison naturelle. C’est pourquoi, dans les conflits apparents entre la foi religieuse et le raisonnement philosophique, la foi est toujours l’arbitre suprême pour la simple raison qu’elle offre l’accès à l’Absolu. 
Cette attitude de la scolastique contraste nettement avec la doctrine dite de la « double vérité » du philosophe et médecin musulman Averroès. Selon lui, la vérité est accessible tant à la philosophie qu’à la théologie (islamique), mais seule la philosophie est en mesure d’en atteindre une parfaite connaissance. La philosophie permet de rechercher l'interprétation vraie et complète de la parole sainte (du coran), qui met fin à la fois au scepticisme et au sectarisme. Ainsi les prétendues vérités de la théologie ne sont-elles que l’expression imparfaite de la représentation que se fait le commun des mortels de la vérité authentique, accessible seulement à la philosophie. La vérité philosophique peut même contredire les enseignements de la théologie (islamique).


IV. SCIENCE ET PHILOSOPHIE : connaissance quantitative et qualitative[P11] 
N’y-a-t-il de science que les sciences positives ? Qu’est-ce que la science ? L’idée de science depuis l’époque moderne à nos jours a connu un déplacement de sens. L’Idée de science n’est plus celle d’Aristote ni de Platon applicable à la philosophie. D’ailleurs celle-ci tout en gardant son appellation depuis l’antiquité consacre la séparation moderne de science et de philosophie au risque de dénier la scientificité à la philosophie. La science aujourd’hui c’est le degré de la connaissance qui se fait positive, c’est-à-dire qui est expérimentale. C’est abord et avant tout les sciences de la nature, sciences des phénomènes.  L’idée de science s’est encore en la technoscience. Celle qui est féconde du point de vue heuristique, dont la capacité de produit des techniques, des outils pour simplifier la vie est indéniable. L’exemple des nouvelles technologies de la communication, la nanotechnologie, les nouvelles techniques d’exploration de l’univers montrent combien l’idée de science rime avec technologie. Il faudrait tenir compte de cette perspective contemporaine de la science pour situer le débat en la science et la philosophie.
Pourtant, nous voudrions établir qu’il s’agit de deux domaines de connaissances distinctes non opposées qui peuvent partager en leur quintessence le même prédicat de Science. Ainsi donc, nous partirons de cette définition on ne peu plus générale de l’idée de science donnée par Jacques Maritain : « Nous dirons que la science est une connaissance de mode parfait, plus précisément une connaissance où, sous les contraintes de l’évidence, l’esprit assigne les raisons d’être des choses, l’esprit n’étant satisfait que lorsqu’il atteint non seulement une chose, un donné quelconque, mais encore ce qui fonde ce donné dans l’être et l’intelligibilité»[51]

1.     La connaissance quantitative : l’exemple des sciences de la nature
A partir de la volonté cartésienne et aussi baconienne de posséder et de dominer la nature, la philosophie cède le pas à la nouvelle science (ou aux nouvelles sciences) de la nature qui se veut plus fonctionnelles dans la connaissance de l’univers matériel. Des savants initient dès lors une nouvelle approche de la nature qui répond à la question « du comment » la nature  et des phénomènes qui y apparaissent. Par cette question les visions du monde et de la nature changent; la nature du philosophe n’est plus la nature du scientifique.
Les notions de principe et de sens de la nature sont remplacées par la découverte des lois de la nature. En effet les scientifiques se rendent compte que les phénomènes naturels obéissent à des lois. Ce sont les lois de fonctionnement des phénomènes qu’il convient de déceler afin de maîtriser leurs cours d’apparitions. Galilée (1564-1642) le physicien et l’astronome est le premier qui découvre que les lois naturelles auxquelles obéissent tous les phénomènes naturels sont transcrites en langage mathématique. Il crée la science physicomathématique  de la nature capable de prévoir les phénomènes. Il ne dit pas quelle est l’essence des choses, mais il montre, par les preuves, que les mathématiques, avec leurs nombres, leurs triangles, leurs cercles, en somme leurs figures géométriques, sont le seul langage capable de déchiffrer le livre de la nature[52].  La métaphore de la nature comme un livre est éloquente. Les lignes de ce livre sont comme des codes mathématiques. Autrement dit, la Nature tient un discours mathématique à l’homme. Galilée s’intéresse davantage à cette méthode de déchiffrement de ce code qu’à l’essence des êtres. Cette nouvelle approche de la nature sera essentiellement une compréhension mathématique de celle-ci – ce qui nous ramène aux pythagoriciens pour qui les nombres gouvernent le monde. Les mathématiques deviennent à partir de là comme prémium scientia.
Les sciences donnent donc accès à une connaissance de la nature, du monde de manière quantitative. La réalité naturelle peut être mesurée, classifiée et numérisée. « A partir de ce moment, les progrès des mathématiques vont marcher de pair avec ceux de la physique, ce qui imposera au philosophe une nouvelle manière de poser le problème du rapport de l’esprit, autour des mathématiques, et de la nature qu’il interprète par elles. »[53]  Il y a de ce fait un changement de méthode et par là la méthode philosophique s’avère inefficace pour donner accès aux lois de fonctionnement du monde.
Les sciences de la nature qui jouissent d’un statut épistémologique privilégié semblent acquérir une préséance sur la philosophie. D’où la crise moderne de la philosophie en général et de la philosophie de la nature en particulier. Le caractère scientifique de la philosophie sera remis en cause. L’idée de science ou scientificité est comprise selon le modèle mathématique initié par Galilée.  Cette crise a été possible en outre grâce à la découverte de la méthode expérimentale qui deviendra la méthode proprement scientifique et positive.
Auguste systématisera la méthode en science en trois phases « l’observation proprement dite, c’est-à-dire l’examen direct du phénomène tel qu’il se présente naturellement; l’expérience, c’est-à-dire la contemplation du phénomène plus ou moins modifié par des circonstances artificielles, que nous instituons expressément en vue d’une parfaite exploration ; la comparaison, c’est-à-dire la considération graduelle d’une suite de cas analogues, dans lesquels le phénomène se simplifie de plus en plus»[54]. Il définit ainsi la méthode expérimentale des sciences positives. A sa suite, la méthode expérimentale sera  définie et détaillée par le chimiste Michel-Eugène Chevreul en 1856 :
« Un phénomène frappe vos sens ; vous l’observez avec l’intention d’en découvrir la cause, et pour cela, vous en supposez une dont vous cherchez la vérification en instituant une expérience. Le raisonnement suggéré par l'observation des phénomènes institue donc des expériences (…), et ce raisonnement constitue la méthode que j’appelle expérimentale, parce qu’en définitive l’expérience est le contrôle, le critérium de l’exactitude du raisonnement dans la recherche des causes ou de la vérité »[55].
Cette méthode a été centrale et fondamentale dans la révolution scientifique accomplie depuis le XVIIe siècle, en donnant naissance aux sciences expérimentales. Parmi ceux qui ont donné à la méthode expérimentale sa lettre de noblesse, il convient de citer le physicien et chimiste irlandais Robert Boyle, ainsi que le médecin Claude Bernard. Les étapes de la méthode expérimentale ont été résumées en un sigle OHERIC. C’est une manière très schématique et simplificatrice de résumer ladite méthode. Le sigle OHERIC (Observation, Hypothèse, Expérience, Résultats, Interprétation, Conclusion) désigne la succession d’étapes d’un modèle idéalisé de la démarche scientifique.
2.     La connaissance qualitative : l’exemple de la philosophie de la nature
La première compréhension de l’univers qui fut celle de la philosophie de la nature avait pour méthode l’expérience spontanée qui offrit une interprétation qualitative du monde. D’ailleurs cela a conduit à une conception parfois erronée de la nature : comme chez Aristote la loi de chute des corps, le géocentrisme, etc. qui été corriger soit par Newton avec la loi de la pesanteur soit par Copernic et Galilée avec l’héliocentrisme. L’idée de science dans son acception moderne justifie-t-elle le fait qu’on dénie à la philosophie un minium de scientificité? La philosophie comme nous l’avons montré plus avant, est la science de l’universel, de l’être, comme la connaissance de l’essence, de l’ousia « ce qui fait qu’une chose est ce qu’elle ». N’est-elle pas au plus haut niveau, la science par excellence?
         Tandis que l’expérience scientifique définit une certaine « stylisation » et quantification de la nature, la question qui demeure est celle-ci : atteint-elle réellement la nature par la découverte mathématisée des lois de la nature et ses constructions théoriques liées au seul choix de l’homme de science ? La question mérite d’être posée, car les théories et les découvertes scientifiques quoique utiles et montrant ainsi l’efficacité de leur méthode n’épuisent pas la vérité de l’univers. La valeur des données scientifiques n’est pas à rejeter par la philosophie, car en cherchant à répondre au pourquoi de la nature ou des phénomènes, il est utile de savoir le comment. C’est pourquoi l’analogie hégélienne de la philosophie comme l’oiseau de minerve qui prend sont envole à la tombée de la nuit est évocatrice. Cela ne voudrait pas dire que les sciences expérimentales serviraient de fondement à la philosophie. La connaissance qualitative, celle de la philosophie, demeure toujours primordiale, car elle est liée directement au fait que tout prend sens que par rapport à l’homme. Elle place l’homme, le sujet de la science, au centre de tout. Ainsi la question du pourquoi est celle de l’herméneutique qui renvoie à la signification même de l’homme face à la nature. Cela ne doit en aucune façon être relativisé. L’homme est la seule valeur absolue que la philosophie, fut-elle celle de la nature, confesse.    
VI.           LE PHILOSOPHE DANS LA SOCIÉTÉ CONTEMPORAINE
Dans ce chapitre du cours, nous voulons mettre en exergue la figure du philosophe, sa fonction spécifique dans la société contemporaine hautement utilitariste et pragmatiste née des progrès des sciences de la nature et de la technique. Le rôle du philosophe dans une telle société quoique nécessaire et primordial n’est toujours pas bien perçu pour ne pas dire n’est pas accepté. Que peut bien faire le philosophe qui soit utile à la société d’aujourd’hui vu que sa connaissance est dite désintéressée, ne visant aucune utilité quelconque ? Concrètement hormis, l’enseignement scolaire et universitaire où semble se résumer la fonction de celui-ci, que peut-il bien faire d’utile?
La philosophie considérée ainsi s’affirme envers et malgré tout comme une activité scientifique consistant en l’avènement d’une nouvelle forme de vie intellectuelle qui, contre toute vraisemblance, ne peut se séparer de l’existence sociale de l’homme et des ces défis. Le philosophe n’est donc pas en retrait de la société comme bien souvent on le perçoit. Philosopher c’est être engagé dans la société et non en retrait. Qu’est-ce que cela signifie dans le contexte actuellement?
En effet depuis Platon le philosophe tout plongé dans le monde des idées à scruter l’essence de toute chose, à chercher à connaître les causes premières de toute chose, n’est pas moins celui qui revient dans le concret pour faire partager ses réflexions à ces concitoyens. Pour Platon et pour nous aussi en Afrique, au regard des défis multiples de l’existence politique africaine – la dictature, la corruption, les injustices sociales, le chômage, la crise de l’éducation de la jeunesse, etc. – le philosophe doit être roi. Etant celui qui sait l’essence de la justice en l’occurrence, il est à même de bâtir une société juste où se reflètent, dans les rapports sociaux, les rapports exacts et rigoureux qui sont l’objet sa science[56]. Le philosophe est donc le sage et le juste, le vrai politique qui conçoit des lois justes pour une existence politique juste dans sa totalité. Cela implique qu’il doit dans l’action du vécu quotidien élaborer des stratégies d’action exécutables.
« Pourtant, le philosophe n’a pas non plus à élaborer ces catalogues de mesures techniques, tels que sont les programmes de législature, ni à mettre au point des systèmes opérationnels. Mais, entre les grands principes régulateurs et les innombrables choix techniques déterminés, il y a encore place pour un vaste domaine mixte, qui appartient aussi bien au philosophe et à l’homme d’Etat, qu’à l’homme politique, au citoyen entreprenant et à l’administrateur.»[57]

Le philosophe a donc sa place dans l’administration, dans les instances de décision politique, en entreprise et simplement comme citoyen modèle. Il ne s’agit pas de philosophe médiocre, mais du coryphée, celui qui se distingue par le sérieux de ses réflexions, car tout comme hier le sophisme est possible. Le philosophe s’exprime pour fertiliser la réflexion plus concrète des politiques, des administrateurs, des chefs d’entreprise, etc. Il est lui-même au contact des travaux. « Loin de penser a priori, il laisse plutôt les soucis de ses concitoyens remonter dans sa propre réflexion. Ils y prennent place dans une vision plus ample. »[58] Le désintéressement de tout caractéristique de l’activité philosophique n’est qu’un recul intellectuel, lorsqu’elle concerne un problème donné, afin d’en saisir la teneur. Savoir déjà la nature d’un problème quelconque n’est-ce pas déjà trouver sa solution? Certainement, le philosophe n’est pas un praticien en quelque domaine que ce soit, mais il est un expert en résolution de problème qui met en jeu l’existence de l’homme. « Les problèmes trouvent un début de solution adéquate à la lumière de principes plus élevés.»[59]
         Ainsi donc dans les sociétés actuelles en générale et particulièrement celles de l’Afrique les philosophes doivent constituer une arrière force sur qui tous doivent s’appuyer afin de relever les défis communs de l’existence sociale et politique. Les philosophes ne sont certes pas des techniciens ni des praticiens, mais des théoriciens indispensables comme dans cette maxime kantienne qui stipule que les théories sans pratique sont vaines et les pratiques sans théorie sont aveugles. 







CONCLUSION : la philosophie, appel a la responsabilité morale
La philosophie a été définie d’abord comme amour de la sagesse et que cette sagesse a une double dimension : elle est connaissance et savoir-vivre. Et delà, le philosophe devient celui qui mène une vie vertueuse. La connaissance du vrai et du bien qu’il cherche à atteindre se reflète ou doit se refléter dans sa conduite. La philosophie en effet depuis Socrate a permis de comprendre que l’homme a en lui-même le sens du bien et du vrai. Ainsi celui qui fait œuvre de philosophie est donc celui qui est mû en lui-même par un désir du bien et du vrai. Le Bien suprême, le bien de l’homme comme finalité du discours philosophique, met chaque philosophe dans une situation de responsabilité vis-à-vis de l’homme et de la totalité de son vécu. Le philosophe est dès lors le berger de l’Etre, l’être comme bien et l’être comme vérité.
La philosophie comme quête de la vérité ne limite donc pas l’acte de philosopher à la simple spéculation. La vérité est exigence et interpellation de l’homme en situation dans ce monde. A cela nous rejoignons la conception socratique de la philosophie qui ne crée pas de scission entre la quête de la vérité et la vie selon la vérité. Telle est aussi notre vision de l’acte de philosopher qui est à la fois spéculation et action. Mais cette action est l’agir moral par excellence qui oblige in foro interno. Nous rejoignons également Descartes qui place au sommet de sa métaphore de l’arbre philosophique, la morale. Si la philosophie est la réflexion critique en vue d’atteindre la vérité de toute chose, c’est parce le philosophe a d’abord été interpellé par l’exigence de la vérité qui devient pour lui un devoir moral. Ce qui justifie d’ailleurs pour le philosophe le refus de consensus et de conventionalité dans sa quête de la vérité. L’interpellation de la vérité est ontique.
         En outre, mue par le souci de la vérité, le philosophe se sent responsable d’abord de dissiper l’ignorance de ses concitoyens, et ensuite de s’engager pour la vérité c’est-à-dire la révéler car il est de la nature de la vérité d’être révélation. Le jugement philosophie est par excellence un jugement de valeur sur toute chose et en appel à une relation éthique entre les hommes.

BIBLIOGRAPHIE
Ø ALAIN, Idées, introduction à la philosophie, Paul Hartman, Paris, 1930.
Ø ARISTOTE, Métaphysique, Flammarion, Paris, 2008.
Ø Christian de RABAUDY, Béatrice ROLLAND, La connaissance, recueil de textes philosophiques, Hatier, Paris, 1971 ;
Ø Gilles DELEUZE, « Qu’est-ce que la philosophie », revue Chimères No. 8, mai 1990. (Revue trimestrielle dirigée par Gilles Deleuze et Félix Guattari).
Ø Jean-François REVEL, Pourquoi des Philosophe, 1957.
Ø HEGEL, Leçons sur l’histoire de la philosophie, Gallimard, Paris, 1990.
Ø Jean-François REVEL, Histoire de la philosophie occidentale, de Thalès à Kant, Pocket, Paris, 1997.
Ø Henry HUDE, philosophie de la prospérité, Edition du Prologue, Paris, 1994.
Ø Jacques MARITAIN, Eléments de philosophie I, introduction à la philosophie, P.TEQUI et Fils, paris, 1930.
Ø Jaspers KARL, Introduction à la philosophie, trad. Jeanne Hersch, 10/18, Paris, 1965.
Ø Jeanne HERSCH, L’étonnement philosophique, une histoire de la philosophie, Gallimard, Saint-AMAND, 2002.
Ø Luc FERRY, Apprendre à vivre, traité de philosophie à l’usage des jeunes générations, Plon, Paris, 2006.
Ø René DESCARTES, Discours de la méthode suivi des méditations, intro et note, François MISRACHI, Bibliothèque 10/18, Paris, 1996.
Ø PLATON, Œuvres complètes, trad. Léon ROBIN, M. J MOREAU, Gallimard, Paris, 1989.
Ø VOLTAIRE, Dictionnaire de philosophie, Flammarion, Paris, 1994.
Ø Noëlla BARAQUIN, Jacqueline LAFFITTE, Dictionnaire des philosophes, Armand Colin, Paris, 2002.




[1] MARX et ENGELS, L’idéologie allemande, 1846, trad. H. auger, G. Badia, (AAA), éd. Sociale, Paris,  
 1968, p.34 ;269.
[2] Jean-François REVEL, Pourquoi des Philosophe, 1957.
[3] Jean-Michel BESNIER, Histoire de la philosophie moderne et contemporaine, Figures et Œuvres,
  Paris, 1993.
[4] HEGEL, Leçon sur l’histoire de la philosophie I, Gallimard, Paris, 1990, p.55.
[5] Emile BREHIER, Histoire de la philosophie, PUF, 3ème édition, Paris, 2009, p.37.
[6] Gilbert OTTOIS, De la renaissance à la postmodernité, DeBoeck université, 3ème édition, Bruxelles,
  p.14.

[7] Cf. DESCARTES dans la Lettre-Préface à ses Principes de la philosophie : « Ainsi toute la philosophie est comme un arbre, dont les racines sont la métaphysique, le tronc est la physique et les branches qui sortent de ce tronc sont toutes les autres sciences qui se réduisent à trois principales, à savoir la médecine, la mécanique et la morale ».
             [8] Cf. KANT, critique de la raison pure.

[9] On associe au terme de soupçon trois philosophes en règle générale : Nietzsche, Marx et Freud :     Nietzsche a tenté de lever le voile sur les illusions du christianisme, d’annoncer la mort de Dieu et de prédire l’arrivée du Surhomme. Le soupçon de Nietzsche concerne les croyances de l’homme. Marx, de son côté, a essayé de mettre le soupçon sur le fonctionnement de la société, en dénonçant la domination bourgeoise sur la société, aux dépens des classes exploitées et travailleuses. Le soupçon de Marx est social. Freud, lui, a détruit le sujet tel qu’on l’entendait chez Kant. L’homme n’est plus transparent pour lui-même, puisque c’est l’inconscient qui mène le navire de la conscience. Le soupçon de Freud porte sur la conscience et sa place au sein du sujet. A eux trois, ils ont bouleversé le champ social, religieux et métaphysique. Ils partagent donc le même esprit soupçonneux.
             [10] Le structuralisme trouve son origine dans le Cours de linguistique générale de Ferdinand de Saussure (1916), qui propose d'appréhender toute langue comme un système dans lequel chacun des éléments n'est définissable que par les relations d'équivalence ou d'opposition qu'il entretient avec les autres, cet ensemble de relations formant la « structure ».
                [11] Cf. le procès de Socrate où il fut aussi traité d’athée.
[12] Karl JASPERS, Introduction à la philosophie, trad. Jeanne HERSCH, Le monde en 10/18, Plon,   
Paris, p.15.
[13] Platon, Théétète in Œuvres complète, op.cit., 155,156, p.103. Quant aux noms Iris et Thaumas, le
premier renvoie à la messagère des dieux qui envoya aux hommes l’amour de la sagesse et le second il a
la même racine que le terme grec qui se traduit par étonnement et émerveillement.
[14] Aristote, Métaphysique, Livre A, 982b10, trad. Marie-Paule Duminil et Annick Jaulin,
Flammarion, Paris, 2008, p.77.
[15] Ibid.
         [16] Karl JASPERS, Introduction à la philosophie, trad. Jeanne Hersch, Plon, Paris, 1958, p.10.
[17] Platon, Théétete, op.cit., 158c, p. 107.
[18] René DESCARTES, Méditations métaphysiques, in Discours de la méthode suivie Méditations
    métaphysiques, 10/18, Paris, 1996.
[19] Ibid., p.175.
[20] Aristote, Métaphysique, livre A, trad. Marie-Paule Duminil et Annick Jaulin, Flammarion, Paris, 2008 
p.75
[21] idem., 981a[25, 30], p.73.
[22]Jeanne HERSCH, L’étonnement philosophique, op.cit.
[23] Paul RICOEUR, Parcours de la reconnaissance, coll.folio essais, Paris, Gallimard, 2004,p.19.
[24] Platon, La République, IV,436b.
[25] Platon, Gorgias in Œuvres complète, Gallimard, Paris, 1989, pp. 428-430.
[26] Gilbert HOTTOIS, De la renaissance à la postemdernité, DeBoeck université, 3ème édition, Bruxelles,
p.14.
[27] Cf. fragment 15.
[28] Cf. Jacques MARITAIN, Eléments de philosophie, introduction générale à la philosophie, Pierre  
Téqui, Paris, 1930, p.66.
[29] Jacques MARITAIN, op.cit., Paris, 1930, p.23.
[30] Arthur SCHOPENHAUER, Le monde comme volonté et comme représentation, trad. A. Burdeau,
revue et corrigée par R. Roos, PUF, Paris,1996, p.84.
[31] Jacques MARITAIN, op.cit., p.66.
[32] PLATON, République, livre VII, 514-521, op.cit, pp.1102-1105.
[33] Jeanne HERSCH, L’étonnement philosophique, op.cit., p.38.
[34] Aristote, Métaphysique, op.cit., 1003a21,25, p.144.
[35] Ibid.
[36] Aristote, Métaphysique.,981b30, p.75.
[37] Ibid., 983a25, p.25.
[38] Ibid.,996b 10, p.123.
[39]René DESCARTES, Lettre préface des principes de la philosophie, note et commentaire de J.
DANTON, Nathan, Paris, 2008, p.24.
[40] Réné DESCATES, Discours de la méthode, op.cit, p.62.
[41] Cf. Hans Urs Von BALTHASAR, Phénoménologie de la vérité, trad. R. GIVORD, Beauchesne et ses
Fils, Paris, 1951, p.17.
[42] Aristote, métaphysique,993b20-30, p.114 ;
[43] Cf. Platon, Théétète, 175, 176a, op.cit. p. 135.
[44] Aristote, Métaphysique, 1025b5-10, op.cit., p. 223.
[45] Jacques LE GOFF, La civilisation de l’occident médiéval, Paris, Flammarion, 1997, p. 170
[46] Aristote, Métaphysique, 1025b3-15,op.cit., pp.222-226.
[47] Jacques MARITAIN, Introduction à la philosophie, op.cit., pp.82-83.
[48] Karl JASPERS, op.cit., p. 56.
[49] Etienne GILSON, Introduction à l’étude de Saint Augustin, J. Vrin, Paris, 1929, p. 31.
[50] Ibid., p.32.
[51] Jacques MARITAIN, Distinguer pour unir ou les degrés du savoir, 6° éd., Desclée de Brouwer,
Paris, 1958.
[52] Emile BREHIER, op.cit., p.724.
[53] Ibid.
[54] Auguste COMTE, Cours de philosophie positive, t.1., p.305.
[55] Chevreul MICHEL-EUGENE, Lettres adressées à M. Villemain sur la méthode en général et sur la
définition du mot "fait" : relativement aux sciences, aux lettres, aux beaux-arts, etc., etc., Paris, Garnier
et Frères, 1996, p. 27-29.
[56] Cf. Emile BREHIER, op.cit, p.82.
[57] HENRI HUDE, Philosophie de la prospérité, marché et solidarité, Edition du prologue, Paris, p.56.
[58] Idem., p.57.
[59] Ibid.


 [P1]« L'origine du mot « philosophie » ne coïncide pas exactement avec l'origine de la philosophie. Les premiers philosophes de la Grèce semblent s'être désignés eux-mêmes comme des « sages » (σοϕοί). Le mot σοϕός, que l'on trouve déjà chez Homère, désigne une supériorité fondée sur une habileté technique : le σοϕός est celui qui « s'entend » à faire quelque chose. L'histoire ultérieure du mot conservera l'idée d'une supériorité fondée sur un savoir. Or, d'où peut provenir la supériorité la moins contestable, sinon du savoir le plus étendu ? La sagesse en viendra ainsi à désigner, par opposition aux sciences ou techniques particulières, un savoir total. « Je vais parler de tout », annonce Démocrite au début de son livre Sur la nature. Ainsi est né en Grèce un type d'hommes, dont la modestie n'était pas le fort, qui prétendaient à l'omniscience ; sages (σοϕοί) et sophistes (σοϕισταί) auront tous en commun cette prétention, même s'ils divergent sur les moyens : soit accumulation de savoirs partiels – la « polymathie » déjà raillée par Héraclite – soit, plus profondément, remontée à l'origine, au principe ou à la cause de toutes choses.
Selon une tradition significative, même si elle est historiquement controuvée (nous ne la connaissons que par des témoignages datant de la fin de l'Antiquité), l'invention du mot philosophie (ϕιλοσοϕία) représenterait une mise en garde contre les prétentions exagérées des σοϕοί. C'est Pythagore qui, interrogé sur sa profession par le tyran Léon, aurait répondu le premier : « Je suis philo-sophe » (ϕιλόσοϕος), c'est-à-dire, selon son propre commentaire, « non pas quelqu'un qui prétend posséder la sagesse, mais un homme qui s'efforce vers elle ». Et il aurait ajouté : « Il n'y a pas d'autre sage que Dieu » (cf., en particulier, Diogène Laërce, Vies, Prooemium, 12, et VIII, 8). Cette étymologie et cette anecdote évoquent sans doute la nécessité où se trouvèrent rapidement les « sages » de se défendre contre l'accusation religieuse de démesure (ὕϐρις) et, par là, d'impiété, à laquelle les exposait leur prétention de partager avec la divinité la possession de la sagesse, voire de « s'immortaliser » eux-mêmes. Souvent entendue comme un défi, la sagesse, même sous le titre plus modeste de philosophie, devra mener à Athènes une existence difficile. Les procès d'impiété contre les philosophes seront, au même titre que la philosophie, une constante de la civilisation athénienne. Anaxagore et Aristote y échapperont de peu ; Socrate   en mourra. D'un autre côté, la tension entre la prétention de la sagesse à la totalité et la conscience philo-sophique des limites de l'homme sera bientôt intégrée, chez Platon et Aristote, à la philosophie elle-même, dont elle deviendra un des motifs les plus féconds. »  Pierre AUBENQUE, Art. L’origine du mot philosophie, in Encyclopédie Universalis 2013.

 [P2]Vers la fin du Ve siècle av. J.-C., des enseignants itinérants nommés sophistes deviennent célèbres dans toute la Grèce. Ils jouent un rôle important dans l’évolution qui fait passer les cités grecques de la monarchie agricole à la démocratie commerciale. Lorsque l’industrie et le commerce se développent en Grèce, une classe de marchands nouvellement enrichis, économiquement puissants, commence à exercer le pouvoir politique. L’éducation des aristocrates leur faisant défaut, ils cherchent à se préparer à la politique et au commerce en invitant les sophistes à leur enseigner, contre rétribution, la rhétorique, l’argumentation juridique et la culture générale. Bien que les meilleurs sophistes apportent d’appréciables contributions à la pensée grecque, le groupe dans son ensemble acquiert la mauvaise réputation d’être trompeur, démagogue et intéressé. Le terme « sophisme » est ainsi devenu synonyme de faute morale.
La célèbre maxime de Protagoras, un des plus éminents sophistes, « l’homme est la mesure de toutes choses », est caractéristique de l’attitude philosophique de l’école des sophistes. Ils estiment que les individus ont le droit de juger de tout par eux-mêmes. Ils nient l’existence d’une connaissance objective, affirment que les sciences naturelles et la théologie ne sont d’aucune valeur parce qu’elles sont sans effet sur la vie quotidienne, et déclarent que les préceptes éthiques ne servent qu’à poursuivre les intérêts particuliers.
Microsoft ® Encarta ® 2009.


 [P3]Gorgias (v. 485-v. 380 av. J.-C.), rhéteur et philosophe sophiste grec. Né à Léontium (Sicile), Gorgias fut nommé ambassadeur à Athènes en 427 av. J.-C., où il s'installa plus tard pour pratiquer et enseigner la rhétorique.
La philosophie de Gorgias est une philosophie nihiliste, qui tient en trois propositions : rien n'existe ; si quelque chose existait, cela ne serait pas connaissable ; si ce qui existait était connaissable, cette connaissance serait incommunicable. Les œuvres de Gorgias qui sont parvenues jusqu'à nous sont l'Éloge d'Hélène, une Apologie de Palamède et Sur la nature et le non-être.


 [P4]Nous avons montré que la philosophie est fille de l’étonnement, du doute et du bouleverser que nous sentons en nous-mêmes. Cette origine nous a permis de comprendre la philosophie comme questionnement et comme réflexion critique. Dès lors selon cette première acception de quoi est-elle donc réflexion critique ? La réflexion critique est en soi sans limite car elle n’a pas d’objet particulier et singulier car tout peut être remis en question, même nos certitudes ordinaires. Nous maintenons donc que la totalité du vécu est l’objet de la philosophie. Cet objet a évolué dans le temps : d’abords comme objet de notre expérience immédiate, la physis, avec tout ce qui fait partir de l’expérience de l’homme ; l’homme lui-même objet de compréhension et d’interprétation ; l’univers de l’homme et les états de conscience de l’homme. Pour cela la philosophie est-elle science de l’universelle.

 [P5]Catégories, en grec katègoriai, selon Aristote, "espèces les plus générales de ce qui est signifié par un mot simple"; littéralement, "chacune des choses dites sans complexité (Catég., II.). Ces dix catégories s'appliquent à la fois aux modes de la pensée et à ceux de l'existence.
. Kant, en relevant ce qui lui paraît erroné dans la détermination des Catégories, proclame que : 
"C’était un dessein digne d'un homme tel qu'Aristote, que celui de rechercher les concepts fondamentaux (Critique de la Raison pure, § X). " 
Ce dessein, Kant l'a renouvelé pour son compte : en regard de la liste des diverses formes logiques du Jugement, l'Analytique des concepts, l'une des subdivisions de la Critique de la Raison pure, offre celle des Concepts purs, qui en sont, suivant l'expression de Kant, "la matière transcendantale", et qu'il nomme Catégories, "son but étant le mêmes que celui d'Aristote, malgré la différence dans l'exécution. =" Nous nous bornons à reproduire la liste qu'il en donne :
TABLE DES CATÉGORIES KANTIENNES
1. De quantité : Unité. Pluralité. Totalité. 
2. De qualité : Réalité. Négation. Limitation. 
3. De relation : Inhérence et substance. Causalité et dépendance. Communauté (réciprocité entre l'agent et le patient). 
4. De modalité : Possibilité. - Impossibilité. Existence. - Non existence. Nécessité - Contingence.


 [P6]La vérité doit être considérée comme ce qui est cause et principe. Ainsi la vérité, en soi, dans son absoluité est ce qui rend intelligible toutes choses et détermine la nature de tout. Ce sans quoi rien n’est appréhendé dans son ipséité. En ce sens la vérité est la cause ultime dans la chaines des causes ; le principe absolu qui n’est causé de rien, et qui est le premier chainon et qui ne dépend de rien. Qui peut être identifié à Dieu. La vérité lorsqu’elle se rapporte aux choses et aux phénomènes, renvoie à leur principe comme ce qui caractérise leur nature comme tel et qui les rend intelligible comme identique dans tous les rapports sous lesquels ont peut les considérer. La vérité pour nous c’est le caractère de l’être en tant qu’être et son appréhension toujours comme être. La vérité est une qualification transcendantale  l’être comme tel et une qualité de la connaissance.

 [P7]On pourrait distinguer une méthode réaliste et une méthode idéaliste. Selon la première, l'être est la condition du connaître ; l'objet est cause de la connaissance. C'est ce que croit toute personne sensée, et que croyaient la plupart des scientifiques. La méthode idéaliste consiste à chercher dans le sujet connaissant les conditions de la connaissance. De ce que tout est donné dans la pensée ou dans la représentation, les philosophes de cette école concluent que tout est donné par la pensée ou par la représentation.

 [P8]« D'après le témoignage des Actes des Apôtres, le message du christianisme se heurta dès le début aux courants philosophiques de l'époque. Le même livre rapporte la discussion qu'eut saint Paul à Athènes avec « certains philosophes épicuriens et stoïciens » (17, 18). L'analyse exégétique de ce discours à l'Aréopage a mis en évidence de nombreuses allusions à des croyances populaires, d'origine stoïcienne pour la plupart. Ce n'était certainement pas un hasard. Pour se faire comprendre des païens, les premiers chrétiens ne pouvaient se borner à renvoyer dans leurs discours « à Moïse et aux prophètes »; ils devaient aussi faire appel à la connaissance naturelle de Dieu et à la voix de la conscience morale de tout homme (cf. Rm 1, 19-21; 2, 14-15; Ac 14, 16-17). Mais comme, dans la religion païenne, cette connaissance naturelle avait basculé dans l'idolâtrie (cf. Rm 1, 21-32), l'Apôtre estima plus sage de mettre son discours en rapport avec la pensée des philosophes qui, depuis les débuts, avaient opposé aux mythes et aux cultes à mystères des conceptions plus respectueuses de la transcendance divine . » Jean-Paul II, Encyclique fides et ratio, n°36.

 [P9]Pour aborder la question qui est hautement une préoccupation de l’époque médiévale, nous retiendrons pour le besoin les grandes figures comme Saint Augustin et Thomas d’Aquin, qui représentent chacun deux conceptions différentes du rapport foi et raison. L’un soutient une interdépendance de la foi et la raison avec l’idée de la supériorité des données de foi ; l’autre maintient au nom de leur différence de genre leur indépendance et par conséquent leur non-contradiction, aussi que les vérités de foi sont plus élevées. 

 [P11]Ici nous pensons que la problématique du rapport entre les sciences de la nature et la philosophie de la nature nous montre clairement la différence entre la philosophie et la science dans son acception moderne, mais aussi leur interdépendance.

1 commentaire:

  1. à l'attention des étudiants de l'ISPSH de Lomé, ici se trouve le plan et la bibliographie du cours!

    RépondreSupprimer