mardi 28 octobre 2014

René DESCARTES, Lettre préface des principes de la philosophie, note et commentaire de J. DANTON, Nathan, Paris, 2008, p.24-25)



 sujet 1: La philosophie est-elle la science de tout ou la science du tout?

 sujet 2. Commentez ce texte philosophique.

 J’aurais voulu premièrement y expliquer ce que c’est que la philosophie, en commençant par les choses les plus vulgaires, comme sont : que ce mot philosophie signifie l’étude de la sagesse, et que par la sagesse on n’entend pas seulement la prudence dans les affaires, mais une parfaite connaissance de toutes les choses que l’homme peut savoir, tant pour la conduite de sa vie que pour la conservation de sa santé et l’invention de tous les arts ; et qu’afin que cette connaissance soit telle, il est nécessaire qu’elle soit déduite des premières causes, en sorte que pour étudier à l’acquérir, ce qui se nomme proprement philosopher, il faut commencer par la recherche de ces premières causes, c’est-à-dire des principes ; et que ces principes doivent avoir deux conditions : l’une, qu’ils soient si clairs et si évidents que l’esprit humain ne puisse douter de leur vérité, lorsqu’il s’applique avec attention à les considérer ; l’autre, que ce soit d’eux que dépende la connaissance des autres choses, en sorte qu’ils puissent être connus sans elles, mais non pas réciproquement elles sans eux ; et qu’après cela il faut tâcher de déduire tellement de ces principes la connaissance des choses qui en dépendent, qu’il n’y ait rien en toute la suite des déductions qu’on en fait qui ne soit très manifeste. Il n’y a véritablement que Dieu seul qui soit  parfaitement sage, c’est-à-dire qui ait l’entière connaissance [3] de la vérité de toutes choses ; mais on peut dire que les hommes ont plus ou moins de sagesse à raison de ce qu’ils ont plus ou moins de connaissance des vérités plus importantes. Et je crois qu’il n’y a rien en ceci dont tous les doctes ne demeurent d’accord.
J’aurais ensuite fait considérer l’utilité de cette philosophie, et montré que, puisqu’elle s’étend à tout ce que l’esprit humain peut savoir, on doit croire que c’est elle seule qui nous distingue des plus sauvages et barbares, et que chaque nation est d’autant plus civilisée et polie que les hommes y philosophent mieux ; et ainsi que c’est le plus grand bien qui puisse être en un État que d’avoir de vrais philosophes. Et outre cela que, pour chaque homme en particulier, il n’est pas seulement utile de vivre avec ceux qui s’appliquent à cette étude, mais qu’il est incomparablement meilleur de s’y appliquer soi-même; comme sans doute il vaut beaucoup mieux se servir de ses propres yeux pour se conduire, et jouir par même moyen de la beauté des couleurs et de la lumière, que non pas de les avoir fermés et suivre la conduite d’un autre ; mais ce dernier est encore meilleur que de les tenir fermés et n’avoir que soi pour se conduire. C’est proprement avoir les yeux fermés, sans tâcher jamais de les ouvrir, que de vivre sans philosopher ; et le plaisir de voir toutes les choses que notre vue découvre n’est point comparable à la satisfaction que donne la connaissance de celles qu’on trouve par la philosophie ; et, enfin, cette étude est plus nécessaire pour régler nos mœurs et nous conduire en cette vie, que n’est l’usage de nos yeux  [4]  pour guider nos pas. Les bêtes brutes, qui n’ont que leur corps à conserver, s’occupent continuellement à chercher de quoi  le nourrir ; mais les hommes, dont la principale partie est l’esprit, devraient employer leurs principaux soins à la recherche de la sagesse, qui en est la vraie nourriture ; et je m’assure aussi qu’il y en a plusieurs qui n’y manqueraient pas, s’ils avaient espérance d’y réussir, et qu’ils sussent combien ils en sont capables. Il n’y a point d’âme tant soit peu noble qui demeure si fort attachée aux objets des sens qu’elle ne s’en détourne quelquefois pour souhaiter quelque autre plus grand bien, nonobstant qu’elle ignore souvent en quoi il consiste. Ceux que la fortune favorise le plus, qui ont abondance de santé, d’honneurs, de richesses, ne sont pas plus exempts de ce désir que les autres ; au contraire, je me persuade que ce  sont eux qui soupirent avec le plus d’ardeur après un autre bien, plus souverain que tous ceux qu’ils possèdent. Or, ce souverain bien considéré par la raison naturelle sans la lumière de la foi, n’est autre chose que la connaissance de la vérité par ses premières causes, c’est-à-dire la sagesse, dont la philosophie est l’étude. Et, parce que toutes ces choses sont entièrement vraies, elles ne seraient pas difficiles à persuader si elles étaient bien déduites. (René DESCARTES, Lettre préface des principes de la philosophie, note et commentaire de J. DANTON, Nathan, Paris, 2008, p.24-25)

mercredi 15 octobre 2014

LETTRE ENCYCLIQUE LUMEN FIDEI DU SOUVERAIN PONTIFE FRANÇOIS

 La résurgence du débat Foi et Raison.


"Cependant, en parlant de cette lumière de la foi, nous pouvons entendre l’objection de tant de nos contemporains. À l’époque moderne on a pensé qu’une telle lumière était suffisante pour les sociétés anciennes, mais qu’elle ne servirait pas pour les temps nouveaux, pour l’homme devenu adulte, fier de sa raison, désireux d’explorer l’avenir de façon nouvelle. En ce sens, la foi apparaissait comme une lumière illusoire qui empêchait l’homme de cultiver l’audace du savoir. Le jeune Nietzsche invitait sa sœur Élisabeth à se risquer, en parcourant « de nouveaux chemins (…) dans l’incertitude de l’avancée autonome ». Et il ajoutait : « à ce point les chemins de l’humanité se séparent : si tu veux atteindre la paix de l’âme et le bonheur, aie donc la foi, mais si tu veux être un disciple de la vérité, alors cherche »[3]. Le fait de croire s’opposerait au fait de chercher. À partir de là, Nietzsche reprochera au christianisme d’avoir amoindri la portée de l’existence humaine, en enlevant à la vie la nouveauté et l’aventure. La foi serait alors comme une illusion de lumière qui empêche notre cheminement d’hommes libres vers l’avenir.
3. Dans ce processus, la foi a fini par être associée à l’obscurité. On a pensé pouvoir la conserver, trouver pour elle un espace pour la faire cohabiter avec la lumière de la raison. L’espace pour la foi s’ouvrait là où la raison ne pouvait pas éclairer, là où l’homme ne pouvait plus avoir de certitudes. Alors la foi a été comprise comme un saut dans le vide que nous accomplissons par manque de lumière, poussés par un sentiment aveugle ; ou comme une lumière subjective, capable peut-être de réchauffer le cœur, d’apporter une consolation privée, mais qui ne peut se proposer aux autres comme lumière objective et commune pour éclairer le chemin. Peu à peu, cependant, on a vu que la lumière de la raison autonome ne réussissait pas à éclairer assez l’avenir ; elle reste en fin de compte dans son obscurité et laisse l’homme dans la peur de l’inconnu. Ainsi l’homme a-t-il renoncé à la recherche d’une grande lumière, d’une grande vérité, pour se contenter des petites lumières qui éclairent l’immédiat, mais qui sont incapables de montrer la route. Quand manque la lumière, tout devient confus, il est impossible de distinguer le bien du mal, la route qui conduit à destination de celle qui nous fait tourner en rond, sans direction."  LUMEN FIDEI LETTRE ENCYCLIQUE DU SOUVERAIN PONTIFE FRANÇOIS 

lundi 13 octobre 2014

Interventions armées : l'Afrique de papa revient, vive l'ingérence ? article paru dans JEUNE AFRIQUE, lundi 13 octobre 2014

De la Mauritanie à Djibouti, leur présence ne fait plus grincer des dents. Américains, Français ou Britanniques, on se les arrache au nom de la lutte contre le terrorisme. Résultat : les soldats étrangers n'ont sans doute jamais été aussi nombreux en Afrique depuis les indépendances.
La scène se déroule le 19 juillet dans la fournaise de N'Djamena, quelques minutes après un entretien aussi long que fructueux avec Idriss Déby Itno. Dans l'un des hangars surchauffés de la base aérienne Adji-Kosseï, François Hollande, devant ses troupes et au milieu de quelques-uns des fleurons de la force de frappe française (avions de chasse Rafale, hélicoptères Puma, chars Sagaie et VAB), refait l'histoire de la présence militaire française au Tchad et énonce une vérité qui, pour certains, n'en est pas vraiment une : "Nous ne sommes pas ici chez nous."
Un peu tout de même. Dans ce pays qui a été le théâtre d'opérations gravées dans les annales de son armée, la France compte depuis le mois d'août 1 200 à 1 300 de ses soldats, parmi lesquels quelques-uns de ses officiers les plus chevronnés.
C'est d'ici, désormais, que seront conduites l'ensemble des opérations menées dans le Sahel, des côtes atlantiques de la Mauritanie aux dunes roses du désert libyen, dans le cadre du dispositif Barkhane : 3 000 hommes répartis dans cinq pays et une dizaine de bases, 400 véhicules, 20 hélicoptères, 6 avions de chasse, 3 à 4 drones... "Un truc énorme !" glisse un officier en poste dans la région. Qu'on se le dise : avec une douzaine de bases plus ou moins tenues secrètes, la France est de retour en Afrique.
Officiellement, il n'y a aucun soldat américain au Tchad. En réalité, on en dénombre quelques dizaines...
Elle n'est pas la seule. Ce 19 juillet sur la base Kosseï, quatre treillis gris attirent l'oeil dans la forêt des treillis vert kaki. Quatre Américains. Des agents de liaison, nous dit-on, qui font le lien avec Vicence, en Italie, la base de l'US Air Force qui "chapeaute" l'Afrique. Officiellement, il n'y a aucun soldat américain au Tchad. En réalité, on en dénombre quelques dizaines : récemment, l'US Army s'est mise en quête d'un contractant pouvant assurer le soutien de 35 personnes pendant six mois, "près de N'Djamena", indique l'appel d'offres. Aujourd'hui, la capitale tchadienne, c'est the place to be pour les armées étrangères.
On est certes encore loin du hub militaire que représente Djibouti. À elle seule, la capitale du pays compte près de 7 000 soldats étrangers - soit presque 1 pour 100 habitants. Il y a là les Français, bien sûr, qui font partie du paysage. La France y possède une base considérée comme essentielle depuis l'indépendance, en 1977. Il y a les Américains, plus nombreux mais plus discrets : ils ne sortent quasiment jamais, et toujours avec les plus grandes précautions.
Aux États-Unis, le camp Lemonnier revêt une importance particulière : il s'agit de la seule base officielle dont dispose la première puissance mondiale sur le continent (si l'on excepte celle de Diego Garcia, dans l'océan Indien). Mais quelle base ! Quatre mille hommes, des avions de chasse, des drones, une surface multipliée par six en quelques années et des travaux faramineux depuis que les Américains en ont pris possession, en 2002. Le Pentagone prévoit de dépenser 1 milliard de dollars sur les vingt-cinq prochaines années pour l'agrandir. En mai dernier, Washington et Djibouti ont signé un nouveau bail de dix ans renouvelable qui satisfait tout le monde.
Bientôt des Chinois et des Russes ?
Dans la ville, il y a aussi des Japonais (les premiers déployés hors de leur pays depuis... 1945), des Italiens, des Allemands (quelques dizaines) et, qui sait, peut-être y croisera-t-on un jour des Chinois et des Russes. Pékin en a fait la demande l'année dernière. Moscou aussi. Ce qui n'est pas vraiment du goût des Américains...
Rien à voir avec l'époque de la guerre froide, quand les deux blocs, Est et Ouest, se disputaient les alliés sur le continent. Mais jamais peut-être depuis ce temps-là l'Afrique n'avait été à ce point convoitée par les états-majors des puissances de ce monde. Le Tchad et Djibouti donc, mais aussi le Mali, le Niger, le Sénégal, l'Éthiopie, le Kenya ou encore les Seychelles - liste non exhaustive et en perpétuelle évolution (voir carte).
Pour la France, il s'agit en quelque sorte d'un retour vers le passé. Paris disposait, aux indépendances, de 30 000 soldats sur le continent. Ils n'étaient plus que 15 000 en 1980 et 5 000 en 2012. Mais après une vaine tentative de désengagement impulsée en 2008 par Nicolas Sarkozy, l'armée a retrouvé le chemin de l'Afrique, son terrain de jeu préféré. Ils sont aujourd'hui près de 9 000 soldats tricolores sur le continent à pouvoir reprendre le célèbre chant des légionnaires : "Sous le soleil brûlant d'Afrique / Cochinchine, Madagascar / Une phalange magnifique / A fait flotter nos étendards..."
>> Voir aussi : carte interactive : les troupes étrangères déployées en Centrafrique
Lutter contre les trafics et le terrorisme

Cependant, il est fini le temps des bases imposantes qui trônaient au milieu des "autochtones" telles des miasmes hérités de l'époque coloniale. La mode est à la base discrète et sans prétention, souvent nichée dans un coin d'aéroport, parfois même perdue au fin fond d'un désert. Les bases historiques (Dakar, Libreville, Djibouti) ont perdu de leur superbe et de leurs effectifs.
"Notre mission a évolué, note un officier basé à Paris. Nous n'avons plus pour fonction de soutenir un État ou un régime contre des agressions extérieures ou intérieures, mais de lutter contre les trafics et le terrorisme. Pour cela, on n'a pas besoin de grosses bases." Certaines, que l'on appelle à Paris des "postes avancés" et qui se situent au plus près du front jihadiste, n'abritent pas plus de 50 hommes, pour la plupart des "forces spéciales". Plus discrètes, plus efficaces.
La réflexion est la même à Washington. Longtemps, les États-Unis ont ignoré le continent, jusqu'à ce que l'administration Bush l'intègre en 2002 dans sa "guerre globale contre la terreur". "Cette importance stratégique nouvelle est entérinée en 2007 par la création d'un commandement militaire régional pour l'Afrique : l'Africom", indique Maya Kandel, spécialiste de la politique étrangère des États-Unis et chercheuse à l'Institut de recherche stratégique de l'École militaire (Paris). Un chiffre illustre la nouvelle donne : entre 2009 et 2012, l'aide militaire aux pays africains a doublé, passant de 8 à 16 milliards de dollars. L'Afrique, "c'est le champ de bataille de demain", affirme le général James Linder, qui commande les "forces spéciales" affectées à Africom.
Aujourd'hui, on compte sur le continent entre 5 000 et 6 000 soldats américains. "Du nord au sud, de l'est à l'ouest, de la Corne de l'Afrique au Sahel, du coeur du continent aux îles situées au large de ses côtes, l'armée américaine est à l'oeuvre", constate Nick Turse, un journaliste américain qui a fait de l'Africom sa spécialité. Mais hormis à Djibouti et bientôt au Liberia, où l'arrivée de 3 000 soldats pour lutter contre l'épidémie Ebola ne devrait pas passer inaperçue, les troupes se font discrètes.
Les hommes se comptent par dizaines seulement sur la douzaine de bases qu'a investies l'US Army ces dernières années. Baptisés lilypads ("nénuphars"), il s'agit de dispositifs de petite taille qui se résument à un hangar, quelques tentes et une flotte de petits avions de tourisme truffés d'électronique ou de drones décollant la nuit...
L'Afrique est ainsi devenue, selon Maya Kandel, le laboratoire de la nouvelle approche dite d'empreinte légère - light footprint - et de leadership en retrait chère à Obama.
L'Afrique est ainsi devenue, selon Maya Kandel, "le laboratoire de la nouvelle approche dite d'empreinte légère - light footprint - et de leadership en retrait" chère à Obama, qui repose sur l'usage des drones et de forces spéciales. "Une présence directe et manifeste des forces américaines sur le continent africain peut être source de contestation", expliquait récemment un colonel dans Special Warfare, une revue de l'armée américaine.
Le cas burkinabè illustre la discrétion dont font preuve les armées étrangères, souvent à la demande de leurs hôtes. Longtemps, la présence d'éléments commandos français et américains a été tenue secrète à Ouagadougou, jusqu'à ce qu'il ne soit plus possible de nier l'évidence. L'installation américaine remonte à 2008, après le coup d'État, à Nouakchott, de Mohamed Ould Abdelaziz. "Les Américains ne pouvaient plus mener leurs opérations depuis la Mauritanie, explique un officier burkinabè. Ils se sont rabattus sur le Burkina." À l'époque, le ministre de la Défense, Yéro Boly, avait proposé une zone retirée de la base aérienne de Ouagadougou pour rendre discrète la présence des avions américains. "Le problème, avait-il expliqué aux Américains, n'est pas la présence de ces avions, mais la publicité qui pourrait être faite autour."
Le même dilemme se pose deux ans plus tard, quand la France cherche une base dans la région pour y faire stationner une force d'intervention rapide - celle-là même qui, début 2013, mettra un frein à l'offensive des jihadistes au Nord-Mali. Le Niger et le Mali ayant poliment refusé, Paris se tourne vers Blaise Compaoré. Celui-ci accepte, à trois conditions : que cela reste secret, que les Français forment l'unité antiterroriste burkinabè et qu'ils s'installent dans un camp situé à l'abri des regards, à dix kilomètres de la capitale.

Armées non africaines présentes sur le continent. © Jeune Afrique
Le président ivoirien s'est montré soulagé
Qu'il est loin, cependant, le temps où l'on jurait, la main sur la Bible ou sur le Coran, qu'aucune armée étrangère ne s'installerait dans le pays. "Il y a trois ans, témoigne un conseiller de Hollande, Mahamadou Issoufou ne voulait pas entendre parler d'une présence étrangère sur le sol nigérien malgré des demandes répétées. Aujourd'hui, il s'en félicite." La base aérienne 101 de Niamey, où l'on compte près de 300 soldats français, trois à quatre drones, des avions de chasse de passage et des ravitailleurs, est un pion essentiel dans le dispositif Barkhane. C'est du Niger également que décollent les drones américains volant au-dessus du Sahel. Mais, comme au Burkina, les autorités nigériennes ont exigé que les effectifs déployés soient peu nombreux et peu visibles.
"Aujourd'hui, témoigne un proche de Jean-Yves Le Drian, nombreux sont les chefs d'État qui veulent "leur" contingent de soldats français." Quand, le 9 mai dernier, le ministre français de la Défense a confirmé à Alassane Ouattara que les soldats tricolores ne quitteraient pas le camp de Port-Bouët et que leur effectif serait gonflé (800 en 2016, contre 450 aujourd'hui), le président ivoirien s'est montré soulagé.
>> Lire aussi : Le Drian, ministre de l'Afrique
Deux jours plus tard, Macky Sall était tout aussi radieux : la France venait de lui promettre qu'elle ne toucherait pas aux effectifs des éléments français au Sénégal (EFS) basés à Dakar. Il y a trois ans, son prédécesseur, Abdoulaye Wade, se vantait avec des accents anticolonialistes d'avoir obtenu le départ des deux tiers du contingent.
Même le Nigeria, jadis si jaloux de sa souveraineté, accueille depuis cinq mois (et à sa demande) quelques dizaines d'agents de renseignements et de forces spéciales américains, britanniques et français, dans le cadre de la lutte contre Boko Haram et de la quête des lycéennes enlevées à Chibok. Et Africom, dont aucun État africain n'avait voulu accueillir le siège en 2007 (ce qui avait contraint son état-major à se rabattre sur la ville de Stuttgart, en Allemagne), ne fait plus office d'épouvantail.
À tel point que, comme l'a mentionné l'ancien commandant de la force, le général Carter Ham, "certains pays africains ont discrètement fait savoir que si les États-Unis voulaient établir une base en Afrique, ils seraient sans doute disposés à leur faire une place".
Les griefs de ceux qui dénoncent cette présence, comme l'association Survie en France ou des franges de la société civile en Afrique, et qui jouent sur la dialectique anticolonialiste pour se faire entendre sont nombreux : flou juridique, opacité autour des accords militaires, perte de souveraineté... Comme le souffle un officier français : "Une base, c'est comme une guerre : on sait quand ça commence, mais on ne sait jamais quand ça s'arrêtera." Malgré tout, constate un proche de Le Drian, la plupart des chefs d'État se sont débarrassés de leurs réticences.

Missions d'entraînement de soldats américains au-dessus de Djibouti.
Le pays accueille à lui seul 7000 soldats étrangers. © Johansen Laurel/U.S. Navy/HO/Reuters
D'autres enjeux moins avouables
Il y a plusieurs raisons à ce phénomène. En premier lieu, l'aspect sécuritaire. "Nous avons besoin de cette présence militaire étrangère, ne serait-ce que pour assurer notre sécurité. C'est indispensable. Il y a quelques années, nous ne voulions pas en entendre parler, mais l'effondrement du Mali en 2012 a changé la donne", admet le chef d'état-major particulier du président d'un État sahélien. "Nos armées ont été laissées à l'abandon ces vingt dernières années, notamment en raison des ajustements structurels imposés par le FMI, ajoute le ministre de la Défense d'un pays voisin. Et elles n'ont jamais été formées pour combattre le terrorisme. Il nous faut du temps et de l'aide pour les y préparer."
Mais il y a d'autres enjeux, parfois moins avouables, qui poussent les États africains à brader un pan de leur souveraineté, notamment un enjeu financier : les bases sont bénéfiques pour l'économie nationale. Les Sénégalais s'en sont rendu compte en 2011 : quand 800 des 1 200 soldats français ont quitté le territoire, ce sont des milliers d'emplois directs et indirects qui ont disparu. À Djibouti, la manne est plus importante encore. Américains, Français et Japonais paient en effet un loyer (pratique peu répandue dans les autres pays) qui représente en tout près de 120 millions d'euros par an...
Un enjeu politique, enfin. Comme le note un officier français en poste en Afrique : "Certains régimes sont tentés d'utiliser cette présence pour anéantir des rébellions qu'ils présentent comme terroristes." D'autres peuvent être tentés de "monnayer" une "base" contre, sinon un soutien, du moins le silence de Paris ou de Washington sur des cas de politique intérieure gênants.
Au Tchad, des leaders de l'opposition se désolent de voir l'aspect militaire primer sur les droits de l'homme. Ils s'en plaignent régulièrement aux diplomates français. Il est vrai que Déby, qui était persona non grata à l'Élysée juste après l'élection de Hollande, est aujourd'hui perçu comme un intouchable à Paris. "Il est au coeur de notre dispositif", explique simplement un diplomate français.
Des formations à double tranchant
Le constat est d'un ministre sahélien de la Défense : "La présence de militaires étrangers en Afrique est nécessaire. Mais elle ne sera bénéfique que si elle est accompagnée d'une vraie coopération. Les Français et les Américains doivent nous aider à former nos soldats." C'est déjà le cas. "Cela fait des années que la priorité est donnée à la coopération avec les Africains afin qu'ils assurent eux-mêmes leur défense", indique un officier français. Ainsi, chaque année, la France forme près de 15 000 soldats issus d'une trentaine de pays africains.
Il y a un an, François Hollande a promis de porter ce chiffre à 20 000 par an. Au Mali, l'Union européenne a formé plus de 2 000 militaires depuis l'année dernière. Quant aux Américains, voilà des années qu'ils forment eux aussi des unités d'élite de la plupart des armées du continent, avec une idée en tête : combattre par procuration. Ils sont particulièrement actifs dans le Sahel. Mais cette stratégie a des failles, comme le montre l'exemple malien : la plupart des hommes formés par leurs soins ont basculé dans la rébellion touarègue en 2012. "L'entraînement était peut-être un peu trop concentré sur la dimension technique et tactique, alors qu'il aurait fallu insister sur les valeurs et l'éthique militaires", a reconnu le général Ham.

dimanche 12 octobre 2014

Alexis de Tocqueville (1835) DE LA DÉMOCRATIE EN AMÉRIQUE I, EXTRAIT



Les démocraties sont naturellement portées à concentrer toute la force sociale dans les mains du corps législatif. Celui-ci étant le pouvoir qui émane le plus directement du peuple, est aussi celui qui participe le plus de sa toute-puissance. On remarque donc en lui une tendance habituelle qui le porte à réunir toute espèce d'autorité dans son sein. Cette concentration des pouvoirs, en même temps qu'elle nuit singulièrement à la bonne conduite des affaires, fonde le despotisme de la majorité.

Les législateurs des États se sont fréquemment abandonnés à ces instincts de la démocratie; ceux de l'Union ont toujours courageusement lutté contre eux.

Dans les États, le pouvoir exécutif est remis aux mains d'un magistrat placé en apparence à côté de la législature, mais qui, en réalité, n'est qu'un agent aveugle et un instrument passif de ses volontés. 0ù puiserait-il sa force? Dans la durée des fonctions ? Il n'est, en général, nommé que pour une année. Dans ses prérogatives ? Il n'en a point pour ainsi dire. La législature peut le réduire à l'impuissance, en chargeant de l'exécution de ses lois des commissions spéciales prises dans son sein. Si elle le voulait, elle pourrait en quelque sorte l'annuler en lui retranchant son traitement.

La Constitution fédérale a concentré tous les droits du pouvoir exécutif, comme toute sa responsabilité, sur un seul homme. Elle a donné au Président quatre ans d'existence; elle lui a assuré, pendant toute la durée de sa magistrature, la jouissance de son traitement; elle lui a composé une clientèle et l'a armé d'un veto suspensif. En un mot, après avoir soigneusement tracé la sphère du pouvoir exécutif, elle a cherché à lui donner autant que possible, dans cette sphère, une position forte et libre.

Le pouvoir judiciaire est, de tous les pouvoirs, celui qui, dans les constitutions d'États, est resté le moins dépendant de la puissance législative.

Toutefois, dans tous les États, la législature est demeurée maîtresse de fixer les émo­lu­ments des juges, ce qui soumet nécessairement ces derniers à son influence immédiate.

HOBBES, PHILOSOPHE DE LA PAIX


INTRODUCTION GENERALE
 La guerre est la plus dévastatrice des phénomènes que connaît l’humanité et pourtant les hommes ne rechignent pas à en recourir pour régler leurs différends. Ils se dotent, de surcroît, de moyens plus perfectionnés pour faire la guerre. De plus en plus, l’on assiste à la course à l’armement nucléaire et bactériologique de pointe, le perfectionnement des stratégies de guerre, le peaufinage des techniques d’espionnage, etc. Cette culture de la guerre qui est de mise aujourd’hui a conduit jadis l’humanité, dès la première moitié du XXe siècle, aux deux grandes conflagrations mondiales les plus meurtrières de son histoire. Même l’Organisation des Nations Unies (ONU) sortie des fonds baptismaux au lendemain de la deuxième guerre mondiale pour empêcher un nouveau conflit à l’échelle planétaire et instaurer la culture de la paix, reste impuissante vis-à-vis de ce projet. Si par principe elle a pu éviter jusque-là une troisième guerre mondiale, la culture de la paix reste pourtant la chose du monde la moins partagée.
La guerre est un grand scandale pour la philosophie. Elle marque l’échec de la philosophie. Scandale permanent pour la raison, car elle traduit une faillite de la sagesse. Scandale moral aussi, car la guerre entraîne la mort de certains hommes commise par d’autres hommes. La guerre est également le signe d’une impuissance congénitale de la philosophie politique[1].Toutefois, le philosophe ne doit pas rester indifférent. Dans une humanité perturbée par la violence et son cortège de malheurs, la vocation du philosophe est d'expliquer au monde ce qui lui arrive et de proposer des solutions idoines. Le regard philosophique s’avère nécessaire en dépit des apports techniques et stratégiques de l’irénologie ou de la polémologie[2]. Ainsi donc, dans l’histoire de la philosophie politique, certains philosophes ont fait de la guerre et de la violence l’objet spécifique de leur réflexion, notamment Thomas Hobbes dont la pensée politique fut suscitée par la guerre civile anglaise de 1640.
La théorie politique hobbesienne fournit un cadre conceptuel pour repenser la paix et l’avènement d’une culture de la paix. Avec lui, la philosophie politique peut être repensée aussi comme une science de la paix où elle devient réflexion rigoureuse sur les moyens d’assurer la paix durable et de juguler la guerre au quotidien. Hobbes est encore d’actualité dans la mesure où il a su situer la problématique de la guerre et de la paix dans une perspective anthropologique et politique, d’où le thème de notre recherche : Nature et politique ou de la guerre à la paix.
1. Justification du Thème
Selon Hobbes, la nature humaine est « la matière et la forme » de la République. Par conséquent on ne peut faire fi de sa connaissance dans l’édification d’une science politique rigoureuse. C’est dans cette vision que notre recherche prend naissance. Le concept de nature figurant dans ce thème de recherche renvoie à un double sens. Le premier fait allusion à la nature humaine. Nous considérons la nature humaine dans ses passions, surtout les passions belliqueuses les plus incompatibles avec la vie en commun. Hobbes en a cité principalement trois : la rivalité, la méfiance et la gloire[3]. Il s’agit donc de la nature humaine sujette à la violence et à la guerre. La présence des passions belliqueuses en l’homme fait de lui un être capable de guerre.  En l’homme, il s’aperçoit une volonté et un appétit innés et manifestes de domination. Il reçoit en héritage de la nature la volonté de puissance. Hobbes affirme à ce propos : « Ainsi, je mets au premier rang, à titre d’inclination générale de toute l’humanité, un désir perpétuel et sans trêve d’acquérir pouvoir après pouvoir, désir qui ne cesse qu’à la mort »[4]. Cette volonté de dominer les autres, ou de les assujettir est encore un désir naturel de nuisance[5]. Dans Les éléments du droit naturel et politique, il fait référence à la violence inscrite en chaque être humain[6].
Le second sens du terme nature renvoie à l’état de nature, un concept clé pour les philosophes contractualistes. L’état de nature est une fiction qui sert d’hypothèse de recherche chez Hobbes pour rendre compte de ce que serait la situation des hommes en dehors du corps politique. C’est une abstraction méthodologique. Il extrait la partie du tout afin de mieux appréhender sa fonction dans le tout et son rapport au tout comme l’exige la méthode résolutive-compositive. Ainsi, par le concept d’état de nature, Hobbes fait abstraction du corps politique, pour n’étudier que l’homme dans sa naturalité. Le résultat de cette abstraction est celui-ci : les hommes sont tous égaux de nature et jouissent d’une liberté absolue et d’un droit naturel égal sur toute chose. Il s’ensuit que « l’état des hommes dans cette liberté naturelle est l’état de guerre »[7]. Une situation de désordre où chaque individu lutte pour sa survie. Une situation de guerre de chacun contre chacun[8].
Par conséquent, la nature est guerre, désordre et chaos. L’enjeu ici est d’aborder la question de la guerre qui n’est pas une fiction, mais une réalité toujours imminente. La guerre est plus facile à faire dans les relations humaines, entre les peuples, à l’intérieur d’une République et entre les Républiques, cependant elle est difficile à stopper. L’hypothèse de l’état de nature vise le phénomène de la guerre. Hobbes en fait une véritable phénoménologie de la guerre. Il étudie la guerre à partir de sa véritable racine. L’étude de la nature humaine en ses passions et en ses facultés est orientée dans sa grande partie à l’examen de la guerre comme phénomène imminent et comme le plus grand malheur de l’humanité.
Quant au terme politique, il apparaît dès lors comme tout ce qui est mis en mouvement contre la guerre. Il faut empêcher le puissant et violent mouvement de la guerre d’advenir. Le concept de politique peut s’entendre ainsi comme l’organisation de la société en vue d’exclure l’éventualité de la guerre. La politique, dans la perspective hobbesienne, c’est aussi la création de l’ordre civil en lieu et place du chaos naturel. Elle est la recherche de moyens appropriés en vue de juguler au quotidien le désordre qui a son origine dans la nature humaine. Si la nature est le lieu des passions spontanées et immédiates, la politique est le lieu de la médiation de la raison. Elle est le fruit de l’éveil progressif de la raison humaine à elle-même. Certes, les passions sont plus vives que la raison, mais la raison permet à l’homme de les contenir et de minimiser leurs effets. La raison est aussi calcul des inconvénients de la guerre et des bienfaits de la paix.
La politique consiste en la réglementation des rapports humains afin de les rendre plus conciliables. Elle commence avec l’application des exigences des lois de nature, lois de la droite raison. L’objectif de la politique est de rendre la société viable et stable. Sa finalité première est de créer les conditions de la paix durable. La politique consiste à arrache la nature humaine à la brutalité de la force pour la rendre pacifique au moyen de la force du droit positif. Pour être créatrice de paix, elle doit être la gestion des intérêts individuels les plus inconciliables en vue de les rendre plus compatibles et conciliants.
Nous avons choisi Hobbes parce que parmi les précurseurs de la politique moderne, il est celui qui a su mesurer l’enjeu de la guerre. Pour lui la guerre est un danger permanent et nécessite une solution idoine. Il ne néglige aucun moyen pour parer à la guerre civile. Sa philosophie nous paraît actuelle dans une Afrique soumise à des guerres civiles récurrentes (par exemple les guerres civiles de la Somalie, du Soudan, la guerre du Darfour,), des coups d’État interminables (récemment en Centrafrique, en Egypte, au Mali, au Niger, en Guinée Conakry, etc.), des rébellions avec leurs cortèges de réfugiés, des contentieux électoraux qui se vident par les armes (le Kenya, la Côte d’Ivoire) etc. Nous pensons trouver dans la philosophie de Hobbes les jalons d’une science rigoureuse de la paix quoique nous soyons dans une époque et dans un environnement politique différents du sien. Toutefois, le contexte d’émergence de sa pensée est le même que connaît l’Afrique : un contexte de guerres civiles et de rébellions à répétition.
Notre intérêt pour la pensée de Hobbes est né particulièrement de la guerre civile qu’a connue notre pays la Côte d’Ivoire le 19 septembre 2002. En effet, nous trouvons dans sa pensée une approche rigoureuse du problème de la guerre que l’on pourrait mettre au service du développement et de la recherche de la paix durable sur le continent.
2. Problème, problématique et orientations de la Thèse
L’énonciation et la détermination du thème de cette recherche nous situent au cœur du projet hobbesien d’empêcher le malheur de la guerre dans la République et de bâtir durablement la paix. Le thème « Nature et politique » renvoie donc aux deux notions antithétiques, mais aussi dialectiques que sont la guerre et la paix. La politique serait créatrice des conditions de la pacification de la nature humaine. Par l’intitulé de cette étude, il s’agit de voir comment Hobbes résout le problème de la guerre dont les racines se trouvent dans la nature des hommes et qui caractérise leurs rapports mutuels. Pour qu’advienne la paix et que dépérisse la nature désordonnée et belliqueuse de l’homme, Hobbes préconise l’Etat-Léviathan, c’est-à-dire l’absolutisme.
Mais l’absolutisme de Hobbes et son possible impact sur la liberté des citoyens furent décriés dès la parution de ses œuvres politiques. Ce qui fit d’ailleurs sa réputation mitigée en philosophie, comme le souligne Simone Goyard-Fabre, une célèbre exégète du hobbisme :
« Parler de Hobbes, c’est immanquablement évoquer la figure du grand Léviathan imposant sa loi terrible à la cité des hommes. C’est du même coup, réveiller le monstre du chaos primitif que «personne sous tous les cieux» n’a affronté sans pâtir. C’est donc tout ensemble, saluer l’importance du problème politique dans la pensée du philosophe de Malmesbury et en pressentir les difficultés.»[9] 
La trop grande puissance du souverain de Hobbes fait craindre l’oppression des citoyens. Il y a donc matière à controverse dans la pensée politique du philosophe au sujet des libertés individuelles. Cette controverse englobe : le droit à la propriété privée, le droit de vie et de mort du souverain absolu sur ses citoyens et l’absence de la liberté d’opinion. La liberté d’opinion et d’expression, le droit à la propriété privée sont entre autres des notions chères à la pensée politique contemporaine. Celles-ci apparaissent pour la pensée postmoderne comme des éléments de base de la dignité humaine et des conditions sine qua non à l’établissement de la paix. Sans liberté pour les citoyens, il est donc difficile de concevoir la paix.
La paix dans la pensée de Hobbes revêt certaines ambiguïtés. De prime abord il définit la paix par voie négative, comme absence de guerre : « Le temps qui n’est pas la guerre est la paix »[10]. La paix, est-ce tout simplement absence de combats ou d’affrontements effectifs? Si c’est cela, même sous une tyrannie, au sens contemporain du terme, la paix serait possible. La conception hobbesienne de la paix paraît inachevée. Elle ne tient pas compte de la guerre entre les nations et laisse en suspens la paix internationale. Pour lui, la paix n’est que civile c’est-à-dire elle ne dépasse pas les frontières des États. Les États sont entre eux comme les individus à l’état de nature. La guerre internationale est irréductible, dit-il. Les États doivent toujours se préparer à la guerre :
« Parmi des États ou Républiques indépendants l’un de l’autre, chaque République possède la liberté de faire ce qu’elle juge le plus favorable à son intérêt : mais aussi elles vivent dans un état de guerre perpétuelle, dans une continuelle veillée d’armes, leurs frontières fortifiées, leurs canons braqués sur les pays qui les entourent. »[11]

Une telle réflexion sur les relations internationales laisse perplexe l’esprit contemporain. Cette considération des rapports inter-Etats prête à confusion. L’on serait en droit de qualifier la politique hobbesienne de belliqueuse ; et il ne serait pas superflu de s’interroger sur le projet de l’auteur du Léviathan à instaurer la paix.
Par conséquent, la préoccupation principale et fondamentale qui constitue la trame de cette recherche sera une enquête sur la nature de la philosophie politique hobbesienne : si la nature de l’homme selon Hobbes est belliqueuse, dans quelle mesure la politique absolutiste qu’il propose peut-elle servir à fonder durablement la paix?
Cette interrogation essentielle s’articule en trois moments. Le premier moment conduit à la clarification de l’anthropologie hobbesienne : comment s’opère, chez Hobbes, le passage de l’anthropologie à l’étiologie de la guerre ? Ou encore qu’est-ce qui justifie que les racines de la guerre se trouvent dans la nature de l’homme? Le deuxième moment renvoie à la compréhension de l’idée de la politique chez Hobbes : peut-on soutenir que l’essence de la politique est l’art de la paix ? Et quelle est la nature de cette paix qu’il propose? La difficulté ici est bien réelle et elle peut se formuler en ces termes : comment l’homme, pour échapper à sa propre nature qui le conduit à la négation et à la destruction de l’autre peut-il envisager de se mettre sous le joug d’un individu ou d’un groupe d’individus dont la nature n’est pas moins semblable à la sienne ? Le troisième moment de l’interrogation concerne la signification de la politique absolutiste hobbesienne pour l’Afrique aujourd’hui. Au regard de l’environnement politique délétère de plusieurs Etats du continent, la pensée politique hobbesienne est-elle encore d’actualité ? Autrement dit, en quel sens la pensée politique de Hobbes peut contribuer aujourd’hui à l’avènement de la culture de la paix dans les pays africains exténués par des régimes autocratiques et totalitaires?
Ainsi donc, cette étude prend l’allure d’une herméneutique. Sous cette optique, l’interprétation de la pensée politique de Hobbes comme une philosophie de la paix sort du cadre commun des études menées jusqu’ici. L’originalité de la question soulevée ici réside en ce que de nombreux travaux sur Hobbes se sont limités à élucider le statut de l’État-Léviathan, les questions du droit naturel, la signification du droit et de la loi chez Hobbes, la liberté du citoyen face aux exigences de l’absolutisme, etc. Dans nos lectures d’interprètes et de commentateurs de Hobbes, une telle interprétation n’est certes pas exclue, mais elle n’est pas non plus soutenue et illustrée.
De Raymond Polin à Yves Charles Zarka en passant par Léo Strauss, l’intuition y figure simplement, mais est non systématique. Par exemple dans son commentaire de Hobbes intitulé, Hobbes Dieu et les Hommes[12], Raymond Polin introduit un chapitre sur la signification de la paix chez Hobbes sans toutefois convenir que le hobbisme est une science de la paix. Leo Strauss dans son exégèse de la philosophie politique de Hobbes[13] n’effleure pas la perspective d’une philosophie hobbesienne de la paix. Aussi, Norbert Campagna, dans son étude intitulée Thomas Hobbes, l’ordre et la liberté[14], en vient à postuler le libéralisme de celui-ci en passant par l’effroi de la guerre et la nécessité du Léviathan, mais oublie le rôle central de la paix dans le système hobbesien. On peut être un philosophe libéral sans être pour autant un philosophe de la paix et pour la paix. Une herméneutique de Hobbes comme un philosophe de la paix est autorisée par l’auteur lui-même lorsque prenant la mesure de l’imminence de la guerre civile anglaise il décide d’écrire pour dissuader ceux qui l’attisent et pour persuader ceux qui la redoutent.
Nous entendons donner l’esquisse de la philosophie politique comme science de la paix telle qu’elle se présente chez Hobbes et qui pourrait servir la cause de la paix en Afrique. Pour ce faire, cette étude s’articule en trois parties. La première partie traite de l’anthropologie hobbesienne comme une étiologie de la guerre, la deuxième partie définit la politique comme l’art de la paix et la troisième révèle que le hobbisme à son paroxysme aboutit à la culture de la paix.

PREMIERE PARTIE : DE L’ANTHROPOLOGIE A L’ÉTIOLOGIE DE LA GUERRE
La philosophie politique de Hobbes en tant qu’une réflexion sur la paix est précédée d’une phénoménologie de la guerre. Pour Hobbes, les racines de la guerre sont à chercher avant tout dans la nature humaine. Ainsi donc, l’anthropologie hobbesienne dans son l’élaboration devient une étiologie de la guerre dont la préoccupation fondamentale consiste à découvrir les vraies causes de la guerre qui paraissent omniprésentes dans l’homme.
Cette anthropologie rend compte de la nature humaine, spécialement en ses deux parties essentielles que sont la raison et les passions[15]. L’étude de la nature humaine, dans ses deux dimensions, révèle que certaines passions disposent les hommes à la guerre et la raison humaine, dans une certaine mesure, ne rend pas l’homme moins belliqueux. Mais si la guerre trouve son origine dans certaines passions humaines et en partie dans la raison, la nature humaine ne serait-elle pas fondamentalement belliqueuse ? Considérer l'homme ainsi, n’est-ce pas incriminer la nature humaine? Il faut prendre en considération l’environnement dans lequel la nature a placé les hommes. La condition naturelle des hommes, celle dans laquelle la pure nature a daigné les placer est un contexte d’égalité et de liberté absolue accordé à tous. Les relations humaines dans une telle condition d’existence se transforment en conflit à cause de la passion de gloire ou de l’ambition qui engendre la rivalité et la méfiance entre les hommes. Ce conflit est selon Hobbes une guerre de chacun contre chacun. C’est ce dont tente de rendre compte le concept d’état de nature et qui a stigmatisé la pensée politique hobbesienne.
Les spécialistes de Hobbes, notamment Yves Charles Zarka, Simone Goyard-Fabre, Raymond Polin, Leo Strauss, Norbert Campagna, sont d’avis que l’état de nature est bien un concept qui sert de paradigme d’investigation sur la guerre quelle qu’elle soit. Le concept sert de phénoménologie de la guerre et d’élucidation prochaine du problème de la paix. Les deux réalités guerre et paix sont intimement liées. Un autre point capital à souligner avec le concept d’état nature est qu’il sert aussi d’étude phénoménologique des relations interpersonnelles dans leur immédiateté.
Avant Hobbes le problème politique ne fut pas élucidé à partir d’une anthropologie rigoureuse ; et la science politique ne faisait pas du problème de la guerre et de la paix une préoccupation centrale. C’est donc à partir de cette considération polémologique et irénologique qu’il faut faire l’herméneutique de la philosophie politique de Hobbes. Il s’agit bien d’une philosophie qui prend racine dans l’expérience de l’homme en société et en politique ; aussi de l’homme naturel qui du point de vue physique et psychologique est soumis au mécanisme universel des corps. La conviction de Hobbes est ceci : que la pure nature de l’homme doit être le fondement de toute philosophie politique et le lieu de toute étiologie de la guerre si l’on veut construire la paix.
Le statut épistémologique de cette anthropologie hobbesienne qui se veut une étiologie rigoureuse de la guerre tient à la méthode analytique appelée « résolutive-compositive ». Cette méthode est tirée de la mécanique galiléenne fondée sur un matérialisme stricte. Il conçoit l’action de l’homme dans la perspective de la théorie des corps universels et du mouvement[16].
Le problème capital que soulève le concept d’état de nature et que nous devons résoudre par la suite, est qu’il semble situer l’avenir de l’humanité dans une impasse. La grande difficulté consiste pour l’homme d’échapper à sa propre nature. La nature humaine ne peut pas être supprimée, mais ce sont les conditions naturelles d’existence que l’homme a besoin de transformer afin d’échapper à la misère de la nature. Cela place l’homme dans une quête perpétuelle de conditions pacifiques. D’où chez Hobbes, l’appel à la morale comme première voie de sortie de l’impasse de cet état de guerre. Par la découverte rationnelle des lois de nature, lois proprement morales, l’homme se donne des moyens de recréer non sa nature, mais sa condition naturelle. L’homme hobbesien est un grand artisan; il est celui qui est capable d’inventer continuellement sa condition d’existence et de « co-existence ». Il doit créer les conditions de la paix telle qu’indiquer par la morale. Les belligérants d’hier parviennent à cette solution lorsqu’ils acceptent chacun d’être plus raisonnable et moins passionnel. Et les lois morales sont là comme un théorème et un vade-mecum de la paix. « Cela suffit comme description de la triste condition où l’homme est effectivement placé par la pure nature, avec cependant la possibilité de s’en sortir, possibilité qui réside partiellement dans les passions et partiellement dans sa raison.»[17]

DEUXIEME PARTIE : DE L’ESSENCE DE LA POLITIQUE COMME L’ART DE LA PAIX
Ce que l’on retient de la pensée politique de Hobbes est certainement l’absolutisme et ses implications pour les libertés individuelles. Mais de ce qui précède, à savoir son étiologie de la guerre, force est de reconnaître que l’enjeu de la théorie éthico-politique hobbesienne est au-delà de l’absolutisme. La paix et ses implications chez le philosophe ne semblent pas retenir l’attention de maintes interprètes du hobbisme. La paix hobbesienne parait sous l’ombre de son Léviathan c’est-à-dire du pouvoir absolu. Ce qui jette des suspicions et des soupçons sur le projet de paix du philosophe et sur la signification de la paix qu’il veut construire. La difficulté à concevoir une politique de paix chez Hobbes est bien réelle, mais cela n’interdit pas qu’il y ait chez lui une véritable corrélation entre sa pensée politique et la philosophie de la paix.
La nature est guerre, mais c’est encore à partir de cette nature qu’il faut construire la paix comme indiquée par les lois naturelles. L’état politique ou l’état civil est artificiel ; il est fruit de l’industrie de ce même être prédisposé au conflit. L’homme belliqueux du départ est celui qui doit concevoir la paix. Après l’expérience de la guerre, l’homme conçoit et construit la paix à partir de sa propre nature, mais aussi contre elle. Le paradoxe est là. Il se trouve au niveau de cette nature dont il faut partir pour réaliser le projet de pacification des relations interpersonnelles. Comment sera-t-il possible de fonder la paix sur une nature humaine sujette à la guerre ? N’est-ce pas ce qui explique le sursis de la paix face à la menace perpétuelle de rébellion, de guerre civile et même de guerre internationale ? Le problème politique chez Hobbes comme souci de paix est d’abord un problème de relation interindividuelle avant d’être un problème de corps social. Ainsi la première préoccupation de la philosophie politique hobbesienne est donc celle-ci : comment concevoir une nouvelle forme de relation interindividuelle destinée à former une société de paix?
Vue sous cet angle la politique de Hobbes se démarque non seulement de la conception traditionnelle, mais elle ne trouve pas non plus de répondant dans la conception contemporaine de la politique. En revanche, sa préoccupation est quand même actuelle. Contrairement à la tradition et aux modernes, la philosophie politique hobbesienne présuppose une étiologie de la guerre; et contre les contemporains, elle est profondément morale. Entre les anciens, les modernes et les contemporains, la politique de Hobbes demeure singulière. Elle prend sens dans les lois de nature qui sont proprement des normes morales dans leur détermination à la paix. La politique et la paix entretiennent un rapport non seulement de cause à effet, mais aussi un rapport de principe et d’action. La politique surgit comme une nécessité « sotériologique » pour l’homme à la lumière des considérations des lois morales dites aussi théorèmes rationnels. Quelle validité morale la politique peut-elle avoir lorsqu’elle est perçue du point de vue absolutiste ? Il nous faut examiner les thèses politiques singulières du hobbisme afin de dégager son essence et la nouvelle orientation qu’il donne à la philosophie politique.
Les questions de souveraineté, de pouvoir et de libertés individuelles doivent être élucidées par la même occasion, car la conception de Hobbes soulève beaucoup de paradoxes. Néanmoins, ces paradoxes sont apparents si l’on ne dispose pas de clés de lecture pour une herméneutique des textes de Hobbes. Ainsi la première clé de compréhension de l’idée de politique selon Hobbes se situe dans les lois de nature comme norme téléologique de la politique. La seconde clé est l’identité de concept entre la paix et la politique et l’antinomie conceptuelle de la guerre et de la politique opérée par le philosophe.
La politique selon lui est l’antithèse de l’état de guerre. Elle est conçue comme le lieu où les luttes, les conflits interindividuels et intercommunautaires cèdent la place à la concorde et à la paix. Avec Hobbes, la politique et la paix sont perçues comme des réalités synonymes. Cela nous autorise à dire que l’essence et la raison d’être de la politique consistent à créer la paix par le dialogue. Cette affirmation est belle et bien possible et légitime dans une œuvre où l’histoire des idées politiques n’a retenu que l’absolutisme, le pessimisme et l’apologie de la guerre. Trois arguments fondent cette interprétation : d’abord, la politique est l’œuvre de la raison calculatrice en fonction du mode opératoire des lois de nature, ensuite ces lois de nature déterminent sa dimension téléologique et enfin la Politique comme l’art de la paix s’entend essentiellement comme relation éthique.
Selon le premier argument, la politique est l’œuvre de l’homme devenu raisonnable après l’expérience de la guerre. La Raison est parvenue à la maturité à travers le théorème des lois de nature qui indiquent le chemin de la paix. Pour ce faire, la raison humaine devient calcul non égoïste des intérêts personnels. Selon ce nouveau type de calcul rationnel les hommes découvrent l’idée du contrat social comme cadre de dialogue et d’accords en vue de concilier leurs intérêts divergents et opposés. La conclusion de ce dialogue est la création d’un espace politique, sous le contrôle d’un pouvoir absolu accepté et reconnu par tous, où chaque individu pourra exprimer sa liberté dans la sécurité mutuelle. Il va sans dire que selon l’auteur du Léviathan, le pouvoir absolu est meilleur pour la paix, parce qu’il est meilleur pour la liberté de tous.
Le deuxième argument qui permet de justifier notre propos part de l’importance que revêtent les lois de nature dans la pensée politique hobbesienne. En effet, nous devons retenir que chez Hobbes les lois de nature déterminent de façon téléologique la politique et l’exercice du pouvoir[18]. Par conséquent, la politique a pour cause formelle et cause finale les lois morales qui indiquent la voie de la paix. La nécessité du pouvoir absolu en vue de la paix entre les hommes répond à la logique qui veut que le moyen soit conforme à la finalité poursuivie : il s’agit d’une identité de nature. Ainsi, l’absolutisme est le reflet de l’intransigeance des lois de nature qui prescrivent de faire la paix. Ces lois sont inconditionnelles par conséquent le pouvoir qu’elles engendrent l’est aussi. Le pouvoir absolu hobbesien est la conséquence de l’essence de la politique qui se veut relation éthique.
Le troisième et dernier argument insiste sur la politique comme relation éthique. Si la guerre est l’œuvre par excellence des passions belliqueuses qui ordonnent la manière égocentrique de coexister avec les autres, la politique en tant que l’œuvre des hommes devenus raisonnables est ouverture et acceptation de l’altérité. Désormais, ils comprennent que l’existence selon le mode du Moi-inclusif et ouvert, où l’on tient compte des aspirations et des intérêts de l’autre, est plus appropriée à la préservation de la vie. Cette existence selon le principe du Moi-inclusif et ouvert est l’idéale politique du hobbisme, ce que nous avons appelé relation éthique. Elle consiste en la loi de la réciprocité ou en la règle d’or caractéristique des exigences de la paix : « ne fait pas à autrui ce que tu ne voudrais pas qu’on te fasse»[19]. Une telle vision de la politique fait comprendre l’idée que chez l’auteur du Léviathan l’exercice du pouvoir est d’abord une éducation à la paix avant d’être un moyen de coercition à cet effet[20].
En cela, la politique hobbesienne s’avère d’actualité dans notre environnement politique aujourd’hui où les guerres civiles et internationales n’ont pas encore disparu et où des régimes totalitaires dans certaines parties du globe notamment en Afrique sont les causes des pires formes d’oppressions des libertés individuelles et atteintes aux droits de l’homme.
TROISIEME PARTIE : LE HOBBISME ET L’AVÈNEMENT D’UNE CULTURE DE LA PAIX EN AFRIQUE
De ce qui précède, la signification de la politique se situe aux antipodes des querelles sociopolitiques actuelles conduisant à la terreur de la menace d’une mort violente imminente. Nous retenons avec Hobbes que toute politique qui met les hommes en situation de crise et de conflit est une absurdité et un scandale pour la Raison humaine. Le point central de cette réflexion, à quoi nous nous attachons fermement, est qu’il situe l’homme face à son devenir et sa propre histoire. Hobbes engage l’homme à se percevoir dans la pure naturalité de ses actions et de ses mobiles lorsqu’il se met en rapport avec ses semblables et entre en relation politique. Nous sommes amenés à reconnaître à travers les thèses hobbesiennes que notre nature d’homme a besoin d’une culture de la paix. Pour y arriver il n’y a pas d’autres chemins que le passage obligé de l’abandon de notre liberté dissolue et irrationnelle pour une liberté résolue et rationnelle. C’est sur la terre de la liberté que se jouent les exigences d’une culture de la paix. Cela consiste dans la majeure partie en une éducation et en une contrainte (légitime et mutuelle) aux exigences de cette culture. Nous parlons de culture de paix parce que la paix doit devenir un état, l’état de conscience de l’homme, l’état d’existence avec les autres. Pour le dire comme Heidegger, l’être-là de l’homme et son être-avec les autres doivent coïncider en la paix.
Vu sous cet angle, la théorie politique hobbesienne ne peut rester en marge d’une recherche de moyens d’expression et d’axiomatisation d’une culture de la paix en Afrique. En effet, les peuples d’Afrique – sans toutefois sombrer dans un afro-pessimisme et dans une généralisation – sont en proie à des guerres civiles et à des coups d’État réussis ou non. La réalité africaine est quelque peu difficile. Le tableau des guerres civiles et des coups d’État depuis les indépendances jusqu’à ce jour est macabre. Pour le besoin, prenons par exemple le cas de la sous-région ouest-africaine. Il y est dénombré cinq guerres civiles, trente-huit coups d’État militaires réussis, avec quatre rébellions séparatistes. A ceux-ci il faut ajouter un nombre incalculable de tentatives de putsch[21].
Ces chiffres, sans donner plus de détails, prennent en compte les guerres civiles et conflits armés actuels (en RDC la guerre entre l’armée régulière congolaise et la rébellion du M23; la situation confuse et acte de terrorisme au nord Mali, le putsch en Centrafrique, etc.) et celles qui viennent à peine de prendre fin comme état de cessez-le-feu et d’équilibre de force. La prolifération des guerres civiles et conflits armés en Afrique est telle que presque tous les pays du continent ont connu plus ou moins leurs guerres. Dès lors, la contribution de Hobbes s’avère opportune et d’actualité en Afrique, tant le climat politique africain est un véritable lieu d’appel du hobbisme. La guerre n’est pas une fatalité ni un phénomène irréversible. Cette certitude hobbesienne montre bien qu’au-delà des instabilités politiques que puisse connaître une République, la paix est possible et peut être maintenue si l’on suit les règles infaillibles de l’art qui la crée ; si l’on reste fidèle à son mode d’emploi. L’idée ici est quelque peu caricaturale, mais non spécieuse.
Dans certaines études[22] sur les guerres civiles en Afrique, nous constatons non seulement une approche dualiste des causes des conflits armés, mais aussi l’Afrique y est dépeinte comme un continent où le phénomène guerre fait partir du factum des peuples. Selon leur approche, les guerres en Afrique sont soit ethniques, entre le nord et le sud, soit religieuses, entre musulmans et chrétiens. Le continent Africain serait comme un milieu d’individus éternellement antagonistes où la paix ne peut jamais exister et où les africains seraient perpétuellement en état de guerre[23]. Un continent où l’assertion de Plaute « homo homini lupus » semble bien être indéniable. En revanche, les thèses du hobbisme montrent encore une fois qu’aucun peuple n’est condamné à vivre indéfiniment dans la guerre.
Comment la pensée politique hobbesienne peut-elle servir la cause de la paix en Afrique ? Quelles leçons peut-on tirer d’une pensée politique aussi circonstancielle que celle exposée par Hobbes à la suite de l’expérience de la guerre civile de son pays ? La réflexion philosophique sur un phénomène problématique est in fine une recherche de solution. Quelles sont les éléments philosophiques chez Hobbes qui peuvent nous conduire à une compréhension des conflits armés en Afrique et à une ébauche de solution?
La théorie politique hobbesienne peut donc servir la cause de la paix en Afrique dans la mesure où elle engage tout être humain et surtout chaque État à prendre ses responsabilités vis-à-vis de la République et de ses concitoyens. La conviction de Hobbes, qui est aussi la nôtre, est que la guerre est un malheur pour l’humanité. Elle ne peut pas être un moyen efficient pour atteindre quelques buts heureux pour l’humanité. Le hobbisme comme philosophie de la paix sert la cause de la paix seulement comme prolégomènes. Comme telle, la leçon du hobbisme consiste à donner les critères fondamentaux pour une véritable étiologie de la guerre. Savoir reconnaitre les causes premières des causes secondes de la guerre c’est déjà savoir comment rétablir la paix. La tâche n’est pas aisée lorsqu’il s’agit d’analyser un conflit et d’y déceler sa véritable origine. La dynamique des violences en période de guerre engendre un véritable engrenage des causes et des effets qu’ils sont souvent confondus. L’ampleur de certains effets les fait passer pour l’origine des conflits. D’où le constat que certaines résolutions de conflits demeurent très éphémères et au final deviennent belligènes c’est-à-dire porteuse de nouveaux gènes de conflits.
Les exemples du soudan et de la Côte d’Ivoire sont illustratifs. La partition du soudan en deux États en apparence indépendants, n’a pas permis de mettre fin à la guerre civile et d’instaurer la paix. Bien au contraire, cela a engendré d’autres types de querelles, en l’occurrence au sujet de l’exploitation du pétrole entre ces deux États ainsi créés. En Côte d’Ivoire, également, les bombardements des forces françaises (placés sous résolution Onusienne) contre les forces loyales à l’ex-président, n’ont pas permis de résoudre efficacement la crise ivoirienne et ont laissé le pays dans un climat sécuritaire délétère. Ce qui revient à dire avec Hobbes que la paix n’est pas qu’une simple cessation de combats effectifs, mais la cessation du climat de guerre.
Le débat sur l’actualité du hobbisme s’élucide dans la perspective d’une compréhension du Léviathan comme « creator pacis » et comme condition d’avènement d’une culture de la paix dans le monde contemporain. L’actualité de Hobbes ne souffre pas de doute selon nous ; surtout dans une Afrique où les guerres civiles, les rébellions et les coups d’Etats semblent être une fatalité. Jusque-là aucune étude étiologique n’avait réussit à rendre intelligible la recrudescence – non moins absurde – des conflits armés sur le continent hormis l’étiologie hobbesienne. Une relecture des guerres africaines à la lumière de la phénoménologie de la guerre opérée avec le philosophème de l’état de nature nous a permis de mieux comprendre que: c’est l’ambition de certains individus ou groupes d’individus fortunés et impuissants, liée à l’absence d’un Etat-fort qui rendent intelligible la répétition des conflits armés sur le continent noir. Les ambitieux, en quête de gloire et de richesse personnelle, trouvent en la faiblesse de l’État la possibilité de s’accaparer à leur tour du pouvoir.
Par absence d’État-fort, entend-on faiblesse institutionnelle et faiblesse militaire, manque de légitimité suffisante et non prise en charge de l’intérêt commun des citoyens. Ayant identifié l’ambition humaine comme cause première de la recrudescence des guerres en Afrique, Hobbes a jeté les bases de la culture de la paix bien avant l’UNESCO. Il invitait déjà à dresser les défenses de la paix dans l’esprit des hommes[24]. Le hobbisme se présente donc comme une leçon à apprendre si l’on veut faire advenir réellement la culture de la paix. La particularité de cette culture de la paix dont le hobbisme est porteur réside dans le fait qu’elle repose sur deux obligations essentielles : l’obligation morale et l’obligation juridique.
Ce sont les deux hypostases de la paix. La première obligation naît de l’éthique de la paix qui de notre point de vue est le fondement de toute culture de la paix. Le mérite de l’auteur du Léviathan est de ramener le discours philosophique à la réalité sensible afin d’éviter le fossé entre le principe de réalité et le principe des idées, entre la théorie et la pratique. Hobbes ne se fait pas beaucoup d’illusions sur l’humaine nature qui sans obligation quelconque ne peut s’orienter aisément dans une relation éthique avec ses semblables. En ce sens l’avènement d’une culture de la paix ne pourra se faire en Afrique sans l’existence d’un Etat-fort qui en imprime la marche et qui offre des conditions de réalisation optimales. La culture de la paix fondée sur une véritable éthique de la paix suppose un courage qui transcende notre condition naturelle. La culture de la paix est une activité créatrice qui appel à l’énergie spirituelle de l’homme.
CONCLUSION GENERALE
En suivant la méthode résolutive-compositive exigée par l’option matérialiste et mécaniste de Thomas Hobbes, l’aboutissement de notre recherche est l’affirmation que la pensée politique de Hobbes est en sa quintessence une philosophie de la paix dont l’objectif est d’indiquer les sentiers de la culture de la paix en lieu et place d’une nature belliqueuse. Il n’y a pas de meilleure définition de la politique que celle qui la conçoit comme l’art de construire la paix afin d’arracher à la nature humaine ses prédispositions à la guerre. La politique est l’effet de l’homme sans pour autant provenir de sa nature primitive profonde. Le discours naturaliste supposé chez Hobbes fut un prétexte philosophique pour établir l’essence véritable du politique et ou de la politique.
Le départ anthropologique de la science politique hobbesienne qui s’apparente à la science naturelle n’est véritablement qu’une étiologie de la guerre. A partir de celle-ci la politique devient l’antithèse de la nature humaine comme la paix l’est de la guerre. La Politique et la paix sont corrélatives ; pour mieux dire elles s’identifient. L’existence politique est une existence pacifique. A la nature humaine, il faut suppléer une culture de la paix. Cette herméneutique de la philosophie politique hobbesienne s’articule autour de trois idées maîtresses.
Premièrement, la préoccupation principale qui a mobilisé tout le génie intellectuel de Hobbes, dans ses textes de philosophie politique, est la guerre, en l’occurrence la guerre civile d’Angleterre des années 1640. C’est à partir de sa compréhension de la guerre civile anglaise comme scandale morale et absurdité intellectuelle que Hobbes prend la plume pour démontrer scientifiquement les fondements du pouvoir et du droit civil. Car c’est leur méconnaissance qui a conduit les Anglais à la guerre civile.
Notre étude à caractère herméneutique prend racine sur le mobile historique pour lequel l’auteur dit avoir pris la plume pour écrire son traité politique. Son traité fut trop longtemps assimilé à une défense de la monarchie absolue. Cette interprétation est possible si l’on s’arrête à une certaine lecture historique superficielle de la pensée politique hobbesienne. En nous basant sur une considération profonde de l’analyse historique de ladite guerre civile anglaise qui donne naissance à la pensée politique de Hobbes, nous percevons que l’intention circonstancielle de l’auteur fut d’empêcher que les Anglais sombrent dans l’absurdité de la guerre comme moyen de résolution de leurs différends. Par dessus toutes les différentes factions en conflit dans l’Angleterre de 1640 à 1660, Hobbes ne prit position que pour la vérité scientifique qui amènerait les protagonistes à éviter la guerre.
Le contexte historique de l’émergence du traité politique hobbesien autorise une interprétation de la philosophie politique hobbesienne comme étant moins une théorie absolutiste qu’une philosophie contre la guerre. Toutefois, si l’on devait réduire le travail herméneutique de sa pensée à son contexte historique ce serait l’appauvrir ; car l’interprétation d’une pensée philosophique s’enrichit dans le cours évolutif de l’histoire. Néanmoins, le contexte historique en détermine de prime abord les possibilités d’interprétation afin d’éviter le non sens. Ce travail a été déjà opéré par le philosophe en dépassant l’histoire factuelle et circonstancielle pour s’élever à la dimension scientifique de la guerre comme phénomène susceptible d’être objet de science.
C’est pourquoi chez lui on passe de la connaissance des causes factuelles à celle des causes principielles et universalisables du phénomène guerre. L’apport de Hobbes à la philosophie politique et morale consiste en ce passage qu’il opère de l’histoire comme réalité concrète à la théorisation scientifique par démonstration inductive. Ainsi, l’étude du phénomène de la guerre comme évènement malheureux le situe au cœur de la nature humaine. Il découvre les principes et les causes non dans l’histoire mais dans la nature humaine qu’il conceptualise à partir du philosophème de l’état de nature. La guerre s’origine dans les passions humaines. Toute étiologie de la guerre qui se veut scientifique aboutit nécessairement à une anthropologie.
Deuxièmement, partant du fait que la nature humaine est à l’origine de la guerre, il n’est pas possible de concevoir autrement la politique hobbesienne comme l’art de la paix. La seule compréhension valable de l’idée de politique est donc qu’elle fait partie de « la poièsis », contrairement à l’acception traditionnelle du stagirite. Et comme telle, la politique est l’art de créer la paix par l’éducation de la nature désordonnée de l’homme. D’une façon imagée, la politique est l’œuvre d’art qui expose la paix. Cet art semble se confondre avec la théorie absolutiste. Il est plus approprié de parler du symbolisme du Léviathan qui dépasse bien l’absolutisme tel que défendu par Jean Bodin.
Ce symbolisme est tout ce qui représente l’enjeu de la politique ordonnée à la transformation d’une nature hostile à la coexistence pacifique. Il symbolise aussi toute la lutte contre l’anomie qui conduit au chaos dans les Républiques. Pourtant, ce symbolisme a connu un échec dans son contexte historique d’émergence. L’échec fut incontestable malgré le vœu du philosophe Anglais d’empêcher la dégénération des querelles anglaises en conflit armé. Le Léviathan fut un échec en son temps non parce qu’en tant que symbolisme, il fut absurde, inconséquent et inefficace, mais parce qu’il ne fut pas suivi par ceux pour qui il a été destiné.
Le Léviathan hobbesien résume en lui seul l’inquiétude de la stabilité d’une République et l’angoisse de vivre des hommes. L’inquiétude est grande d’autant plus qu’elle concerne toute l’énergie et tout l’artifice qu’il faut pour maintenir un être dont la nature ne prédispose pas à l’existence politique. Le symbolisme du Léviathan est en outre celui de tout exercice du pouvoir qui doit faire rentrer les hommes dans une dynamique de relation pacifique malgré l’opposition mutuelle et naturelle de leurs intérêts et de leurs passions individuels. Pour créer la paix il faut construire un cadre artificiel qui arrachera continuellement la nature humaine à sa brutalité originelle. Ce cadre est la République incarnée par un pouvoir fort, capable de modeler la nature humaine pour l’ordonner à un type nouveau de relation qu’est la paix. Cette République est celle de l’État de droit, de liberté raisonnable et de justice pour tous. Une République où la loi devient l’élément central, le leitmotiv du retournement de la nature de l’homme. C’est d’ailleurs la paix qui doit constituer la clé d’interprétation de la philosophie politique hobbesienne.
Beaucoup d’historiens et d’auteurs critiques de Hobbes sont tombés dans une mésinterprétation et se sont arrêtés à la simple image du monstre marin. Ils ont pour cela qualifié ses thèses de monstrueuses et de pernicieuses pour toute République. En omettant la paix dans le hobbisme, on se ferme non seulement à une compréhension authentique de ses thèses mais encore on se ferme à la paix civile elle-même. Car aucun des philosophes du contrat n’a traité de la paix de manière holistique.
La signification de la paix chez Hobbes le hisse au devant des recherches scientifiques sur la paix. Sa conception de la paix est plus englobante et aussi plus radicale. Elle est radicale parce qu’elle est adossée à un Léviathan. Cela est tributaire de sa définition de la guerre. Fidèle à la rigueur de ses déductions, il définit la paix par voie négative. Car la paix est une notion anthropologique de second degré – artificielle – liée à la partie rationnelle de l’homme. Elle est découverte par induction après l’expérience primitive de la guerre. Tout autre temps qui n’est pas guerre est paix. Cela signifie que la paix est le « confort of live, the commodities of live », la sécurité, la liberté. La paix est aussi la tranquillité de l’environnement social, où il n’y pas l’angoisse de l’imminence d’un affrontement armé; l’accord entre les individus aux intérêts divergents. En somme, Hobbes mesure la paix dans l’espoir et l’espérance qui habite les hommes de pouvoir vivre et bien-vivre. Une espérance qui engendre l’espoir au quotidien.
La paix est encore une notion juridique qui fait appel aux lois positives et donc à l’obligation juridique. Comme notion juridique, elle se définit contre l’anomie. Elle repose pour cela sur le devoir d’obéissance sans laquelle elle n’est pas possible. L’obligation civile mise en exergue dans les traités politiques, surtout dans le De cive, montre bien comment la paix et l’obligation juridique sont inséparables. La paix est enfin une notion morale qui constitue en soi son essence et son principe premier. Elle implique la relation éthique. Elle est fondée sur la raison humaine. Elle permet à l’homme de découvrir qu’il ne peut exister et bien-vivre sans la reconnaissance mutuelle des autres. Il doit pour ce faire obéir en son for interne à la loi de la réciprocité. Sous son aspect moral, la paix doit devenir une seconde nature de l’homme, une culture. Chez Hobbes il s’agit donc d’une culture de la paix dont tout le fondement réside en l’éthique de la paix que traduit excellemment l’éthique de la responsabilité de Lévinas. Pour nous donc l’absolutisme de Hobbes est le reflet de l’intransigeance des prescriptions morales des lois de nature dans leur détermination fondamentale qu’est la paix.
Troisièmement, tandis que Machiavel a amorcé une rupture – rupture qui sera toujours celle de la pensée politique contemporaine – de la politique avec la morale qui se fonde sur la distinction de deux ordres, le public et le privé, Hobbes quant à lui réconcilie politique et morale. Il faut une morale politique : que l’action politique soit guidée par des intentions morales dans l’unique but de la rendre plus efficace dans sa tâche perpétuelle de créer la paix. La Politique et la morale constituent les deux hypostases de la paix. La forme de cette morale politique est donnée par les lois de nature, lois morales. Elles se résument selon Hobbes à la loi générale de la charité : « ne fait pas à autrui ce que tu ne voudrais pas qu’on te fasse ».
Par ailleurs, une fois de plus le soupçon absolutiste et généralissime du Léviathan se réveille. En liant les deux ordres, le risque de vouloir contrôler les consciences est grand. Le for interne, domaine privilégié de la morale se tient hors de portée de l’action politique qui concerne le for externe. On ne légifère pas sur le for interne. Sur la question Hobbes n’est pas assez explicite ; il souligne seulement que le for interne reste et demeure hors d’atteinte. C’est d’ailleurs l’une des caractéristiques de la notion de citoyenneté chez Hobbes. Il faut préserver le for interne du citoyen comme le lieu de son repli et de sa liberté privée. Au même moment le for interne intéresse la praxis politique quand il sous-entend les actions humaines. La volonté du Léviathan est que ce for interne coïncide avec l’intention morale pour que l’acte volontaire favorise l’existence politique comme coexistence pacifique.
Au reste, le mérite de Hobbes à ce sujet c’est de faire de la morale politique plus une affaire des détenteurs du pouvoir publique que celui des citoyens. Le souverain a le plus besoin d’être vertueux que les citoyens. Ces derniers ont les obligations juridiques même si dans une certaine mesure la moralité dispose plus à l’obéissance civile. La conjonction des deux ordres, le for interne et le for externe, concerne la praxis politique qui revient directement au représentant souverain. L’éthique de la responsabilité contenue dans la compréhension de la paix, oblige de soi le souverain. Sa conscience morale doit influer sur ses choix politiques.
Pour Hobbes, au-delà de l’éminence du Léviathan, il est lié par nécessité à la loi morale. Sa vie publique et sa vie privée doivent correspondre en sorte que s’il y a scission la conséquence est sa propre ruine. La conviction du philosophe paraît certes utopique mais elle vaut pour la perspective politique qui est la sienne. Il faut comprendre par là que la praxis politique hobbesienne ne vise pas le résultat de se maintenir au pouvoir. Elle cherche plutôt à atteindre une finalité. La nuance est claire. L’obligation de résultat ne tient pas compte de la valeur des moyens utilisés pourvu que ceux-ci soient efficients alors que la finalité, est principe même de ses moyens. La paix comme finalité de l’exercice du pouvoir commande et détermine déjà ses propres moyens. Hobbes l’a compris et c’est ce qu’il veut transmettre à tous les citoyens et à tous les acteurs politiques : qu’il ne peut jamais se faire que les moyens de guerre soient au service de la paix. Par son contrat social Hobbes affirma hier aux anglais et aujourd’hui au pays en guerre que le dialogue est le moyen nécessaire et suffisant pour retrouver la paix ; la paix de chacun avec chacun.
Une telle conception de la politique peut servir la cause de la paix dans le monde aujourd’hui où la culture de la guerre est prônée paradoxalement par certains membres permanents de l’Organisation des Nations-Unies. Bien souvent, ils prennent position pour un parti dans les résolutions des conflits, au détriment du dialogue. Le dialogue est le moyen privilégié selon le philosophe anglais pour la raison que l’une des caractéristiques de la paix c’est d’être la conciliation des intérêts mêmes les plus divergents et les plus opposés. L’intérêt de la redécouverte de l’auteur du Léviathan comme un philosophe de la paix réside aussi dans sa conviction que toute politique doit aboutir à une culture de la paix. Une politique qui conduit à la guerre ne fut pas dès le départ une politique mais un simple état de nature. Dans un monde marqué par la lutte entre grandes puissances en vue de la consolidation de leurs intérêts, la guerre devient de plus en plus le moyen le plus « facile » pour y parvenir. Ces luttes entre ces puissances étatiques sont transposées dans les États faibles et les condamnent à une spirale de violence et par conséquent à la paupérisation accentuée.
Nous retenons que dans son optique réaliste l’esquisse d’une philosophie de la paix chez Hobbes demeure incomplète. Elle ne tient pas compte des guerres internationales qui selon la logique de sa définition de la paix demeure irréductible. Cette difficulté est bien réelle et elle l’est encore aujourd’hui. La paix reste civile et ne saurait prendre de prédicat international pour la simple raison qu’elle ne s’identifie pas à l’équilibre des forces dû à l’égalité d’armement. Pour parler de paix internationale, il faut qu’il n’y ait pas de climat de suspicion entre les États, entre les grandes puissances. Ce propos de Hobbes doit constituer selon nous une critique adressée à l’encontre de ce que l’on appelle aujourd’hui la communauté internationale. Nous sommes au faîte du principe de réalité qui met sous nos regards que la culture de la guerre est bien encore celle de l’ordre international de notre siècle. S’il s’agit d’une vision pessimiste de la réalité alors c’est que la réalité du monde est alarmante.
La philosophie politique de Hobbes comme une philosophie de la paix a ainsi jeté les bases d’une science de la paix en recentrant la problématique guerre et paix sur la nature humaine. Dans la mesure où la guerre à ses racines profondes dans la nature humaine, la politique et l’exercice du pouvoir consistent respectivement en l’art de construire la paix et d’éduquer à la paix.



[1]  Nicolas TENZER, Philosophie politique, Paris, PUF, 2e éd., 1998, p. 452.
[2] La polémologie (littéralement « science de la guerre ») est une branche de la théorie des relations internationales mettant l'accent sur la compréhension des conflits, de leur origine et de leur fonctionnement. Le terme français, qui en fait une discipline distincte de l'irénologie (alors que l'anglais tend à fusionner les peace and conflict studies), provient du sociologue Gaston Bouthoul (1896-1980) qui utilisa ce terme après la Seconde Guerre mondiale pour proposer un nouveau champ d'investigation. Au sens de Bouthoul, cette discipline étudie les facteurs dits « polémogènes » : les corrélations éventuelles entre les explosions de violence et des phénomènes économiques, culturels, psychologiques et surtout démographiques récurrents.
[3] Thomas HOBBES, Léviathan, trad. F. Tricaud, Paris, Dalloz, 1999, p.123.
[4] Idem., p.96.
[5]Thomas HOBBES, Le citoyen, trad. Samuel Sorbière, note et présentation de S.Goyard-Fabre, Paris,
Flammarion,1982, p.95.
[6]Thomas HOBBES, Les éléments du droit naturel et politique, ch. XIV, 2, traduction, introduction,
conclusion et notes, Louis Roux, Lyon, L’Hermès, 1977, p.201.
[7] Idem., p.203.
[8] Thomas HOBBES, Léviathan, p.124.
[9] Simone GOYARD-FABRE, Le droit et la loi dans la philosophie de Thomas Hobbes, Paris,
Klincksieck, 1975, p.13.
[10] Thomas HOBBES, Les éléments du droit naturel et politique, Ch. XIV, 11, trad., intro. et note,
Dominique Weber,  Paris, Livre de poche, 2003, p.180.
[11] Thomas HOBBES, Léviathan, p.227.
[12] Raymond POLIN, Hobbes Dieu et les hommes, Paris, PUF, 1981.
[13] Léo STRAUSS, La philosophie politique de Hobbes, trad. André Enegrén et Marc B. de Launay,
Paris, Belin, 1991.
[14] Norbert CAMPAGNA, Thomas Hobbes, l’ordre et la liberté, Paris, Editions Michalon, 2000.
[15] De la nature humaine, trad. Baron d’Holbach, intro. E. Naert, 4ème éd., J.Vrin, Paris,1999, p.19.
[16] Cf. Léo STRAUSS, La philosophie politique de Hobbes, op.cit., p.16.
 [17] Ibid.
[18] Léviathan, p.129.
[19] Idem., p.157.
[20] Idem., p.357.
[21]Issaka K. SOUARE, Guerres civiles et coups d’Etat en Afrique de l’Ouest, comprendre les causes et
identifier des solutions possibles, L’Harmattan, Paris, 2007, p.15.
[22]Nous faisons référence entre autres, à Stephen ELLIS, The mask of anarchy: the destruction of Liberia
and religious dimension of an African civil war, C. Hurst & Co, London, 1999; Niels KASTFEL (dir.),
Religion and African civil wars, C. Hurst & Co, London, 2005; Enloe CYNTHIA, Ethnic soldiers,
University of Georgia Press, Athens, 1980 etc.  
[23]Issaka K. SOUARE, op.cit., p.20.
[24] Léviathan, chap. XVIII, p.184 ; chap. XXX, p.365.