mardi 9 juin 2015

EXTRAIT DE L'OEUVRE L'ETAT-FORT POUR LA PAIX DURABLE EN AFRIQUE, Dr. EZOUAH LEON KOFFFI

La physionomie de l’Etat en Afrique : La présence du Behemoth, monstre du chaos.

Si la conception postmoderniste de la présence de l’Etat dans la République semble être en contradiction avec le concept d’Etat-fort apparenté au Léviathan, cependant, il n’est pas moins urgent en Afrique d’insister sur l’idée de l’Etat-fort. Au regard de la physionomie de l’Etat dans plusieurs Républiques Africaines, il est nécessaire de réaffirmer que le concept d’Etat-fort, est la solution obligée pour leur stabilité et pour l’avènement d’une culture démocratique du pouvoir et de son exercice dans une certaine Afrique en conflits. Nonobstant ces critiques contemporaines, nous proposons le Léviathan comme mythe du pouvoir d’Etat pour former un nouvel imaginaire du pouvoir politique en Afrique c’est-à-dire une nouvelle perception du pouvoir. Car le Behemoth, monstre du chaos, y innerve l’existence politique.
C’est une solution philosophique dans le contexte de crises sociales, politiques et militaires à répétition. Nous parlons d’un nouvel imaginaire pour la simple raison que dans la situation actuelle le pouvoir est banalisé soit par excès soit par défaut. Par excès, il est signifié que ceux qui le détiennent en font un instrument au service de l’arbitraire, engendrant ainsi dans l’esprit des citoyens un dédain qui se traduit par exemple dans la généralisation de la corruption à tous les niveaux de l’administration publique. Par défaut, il est aussi signifié que les opposants, des personnalités puissantes, quelques multinationales et même quelques Etats puissants cherchent, par tous les moyens, à l’affaiblir pour satisfaire, pour les uns leurs ambitions et pour les autres leurs intérêts.
De ce fait, plusieurs raisons militent en faveur de l’opportunité du mythe du Léviathan que nous interprétons comme augurant de l’avènement de l’Etat-fort sur le continent. Pour le besoin, retenons deux raisons principales : la première concerne le jeu démocratique des partis politiques africains et la seconde est la non-représentativité de toutes les couches sociales et culturelles dans les institutions de l’État.
D’abord, la démocratie des partis politiques montre que lorsqu’un parti politique est au pouvoir, il tend à écarter les autres partis des institutions de l’État– et l’expérience actuelle le prouve – afin d’avoir les mains libres pour gouverner. Ainsi, force est de constater que les nominations à la tête des différentes institutions de l’État se font parmi les membres du parti. Cela pose problème lorsque le parti au pouvoir s’arroge certains privilèges économiques et judiciaires au détriment de toute la République. L’accession au pouvoir d’État devient donc un moyen de promotion pour tous les compagnons de même parti et comme une récompense exclusive. Le problème se situe encore au niveau de la manière d’accéder au sommet de l’État, lorsqu’il s’agit d’un gouvernement issu de putsch, d’élections contestées et rejetées par les autres partis ou de rébellion, etc. 
Il va sans dire que les autres partis se sentant lésés œuvreront contre les détenteurs du pouvoir d’État et donc contre l’État. Par conséquent, les gouvernements d’union nationale – qui parurent surtout à partir de 1995 comme des solutions miracles à ces cas de figure – deviennent les lieux où les opposants trouvent l’occasion de saper le pouvoir de l’État. Ils œuvrent à l’intérieur des gouvernements pour les faire échouer. Sans vouloir répéter certain slogan, car ce sont des faits avérés dans une certaine Afrique, il arrive que ces derniers trouvent des puissants pour les soutenir à travers une rébellion armée. Ils s’y adonnent volontiers jusqu’à ce que le pouvoir change de main sans toutefois changer la donne. A leur tour le pouvoir d’État deviendra un butin de guerre et une promotion sociale. Dans les deux cas l’État est réduit à son aspect d’appareil répressif, et devient pour les citoyens comme un monstre froid selon Nietzsche : « l’État, c’est le plus froid de tous les monstres froids : il ment froidement et voici le mensonge qui rampe de sa bouche : moi l’État, je suis le peuple. »[1]L’État devient aussi selon la critique de Lénine « l’organisation spéciale d’un pouvoir : c’est l’organisation de la violence destinée à mater une certaine classe.»[2] 
Ensuite, cela met en lumière toute la difficulté des États africains à être représentatifs de toutes les composantes du corps politique et social. Il n’est pas rare de trouver que tout l’appareil de l’État est détenu par une seule classe d’individus appartenant soit à un même bord politique soit à une même ethnie ou à une même région. Le corollaire est que les ressources communes sont pour la plupart mises à la disposition d’une seule région qui est celle des membres du parti au pouvoir. Cela conduit au clientélisme de l’État. Le concept « d'État clientélaire » [3] a parfois été mentionné à ce propos pour identifier un système politique dans lequel un parti dominant s’accapare l'appareil étatique, les biens publics et le système de leur distribution, dans le but de préserver son hégémonie. Il s'accompagne d'un usage discrétionnaire des ressources publiques, qui contredit les règles de l'État de droit et celles de l'impartialité bureaucratique et de la justice distributive.
Les gouvernants mettent à la disposition de leur région d’origine et de leur bastion politique tous les biens de l’État dans la seule intention de conserver leur électorat et de fidéliser leur zone culturelle d’appartenance. Toute l’énergie de l’État est concentrée dans une seule direction. Les politiques sociales, les programmes d'aménagement urbain ou les aides au développement économique sont tous destinés aux régions favorables au parti en place. La seule contrepartie qui lui est due par ses régions ou par son groupe ethnique, est de lui accorder d’office leur suffrage lors des élections, ou lors d’un coup de force. L’État n’est donc plus le signe de l’unité du peuple. Il donne lieu à l’exaltation d’un certain groupe d’individus qui s’en croient propriétaires. L’Etat devient par conséquent le lieu d’impunité, d’injustice subie par les autres membres de la République. Croyant s’assurer par là une certaine stabilité et une certaine pérennité, l’État clientélaire donne lieu au non-respect des lois censées le maintenir tant par les partisans du régime que par le reste du peuple. En outre, dans sa forme radicale l’Etat clientélaire aboutit à la fratricide, où les citoyens deviennent des ennemis « chacun contre chacun ».
Ainsi s’installe le désordre où chaque citoyen ne reconnaît aucune autorité à l’État. Les uns par le fait que les dirigeants ont monnayé leur civisme par leur allégeance de fait, les autres par le fait de la partialité des institutions étatiques. Dès lors, l’appareil étatique devient plus un outil de répression contre « les non partisans » ou les « opposants » et un instrument de défense et de protection pour les membres du parti au pouvoir : on ne peut ni parler d’Etat encore moins de République. L’État n’existe simplement pas dans un tel contexte pour la raison qu’il ne représente ni n’organise le corps politique en son ensemble. Il n’est que le pouvoir du plus fort ainsi que le règne de l’arbitraire. La loi ne s’applique pas à tous les citoyens de la même manière. Elle semble être taillée sur mesure au détriment de la non-clientèle. Par conséquent, l’État porte en son flanc les germes de sa propre destruction et de la guerre civile. De ce fait, selon la perspective hobbesienne, il s’agit moins d’un Etat civil que d’un état de nature; un Etat en perpétuel conflit[4].



[1] Friedrich NIETZSCHE, Ainsi parlait Zarathoustra, trad. Henri Albert, Paris, Mercure de France,
1989, p.66.
[2] LENINE, L’Etat et la révolution, chap.II,1, Paris, Ed. Sociales, 1917, p.37.
[3] Le clientélisme est un rapport entre des individus de statuts économiques et sociaux inégaux (le « patron » et ses « clients »), reposant sur des échanges réciproques de biens et de services et s'établissant sur la base d'un lien personnel habituellement perçu dans les termes de l'obligation morale. Envisagé de cette manière, il s'agit d'un phénomène attesté dans des contextes sociaux très divers. Dans la Rome antique, les patriciens entretenaient une vaste clientèle d'affidés à laquelle, en contrepartie de son allégeance et de son soutien politique, ils apportaient leur protection économique et prodiguaient leurs largesses (Paul Veyne). À l'époque féodale, la relation unissant un vassal à son seigneur supposait des engagements de nature privée impliquant la fidélité et l'assistance mutuelles (Marc Bloch). Dans la plupart des sociétés traditionnelles, les détenteurs de l'autorité se devaient de justifier leur pouvoir et leur prestige en distribuant une partie de leurs richesses à leurs subordonnés, sous la forme de dons, de prébendes ou d'assistance. (Jean Louis BRIQUET, article sur le « clientélisme » in encyclopédie universalis, 2013, version électronique.)
[4] Thomas HOBBES, Léviathan, chap. XIII.

Guinée Conakry le Dialogue n’est-il plus possible ?

Guinée Conakry le Dialogue n’est-il plus possible ?

L’appel de l’opposition à manifester contre l’insécurité en Guinée Conakry a viré à l’affrontement entre les partisans de l’opposition et les forces de l'ordre venus encadrer la marche... Le bilan actuel fait état d’un tué par balle et plusieurs blessés. Les manifestants et les forces de l’ordre se rejettent mutuellement la responsabilité de ce dérapage. Après ces deux jours d’échauffourée, le chef de file de l’opposition l’ex-premier ministre Cellou Dalein Dialo a annoncé hier mardi la suspension de ses manifestations jusqu'à lundi : « Nous avons décidé de suspendre les manifestations pour les reprendre lundi, afin de permettre à nos militants et à la population de souffler", a déclaré, le 14 avril, le chef de file de l'opposition guinéenne, l'ex-Premier ministre Cellou Dalein Diallo.
Quant au gouvernement, il ne cesse, depuis l’annonce de l’opposition à engager une série de manifestation, d’appeler tous les acteurs politiques au dialogue.
Mais « concernant le dialogue avec  le gouvernement, il faut que la Ceni [Commission électorale nationale indépendante] annule son chronogramme électoral et mette fin à ses activités sur le terrain », a précisé Cellou Diallo, peu après la publication d'un communiqué gouvernemental.
En absence d'Alpha Condé, le président guinéen, parti pour Paris et ensuite Washington pour les réunions de printemps de la Banque mondiale et du FMI (17 au 19 avril), c'est donc le Premier ministre Mohamed Saïd Fofana qui tente de faire baisser les tensions dans le pays. Dans un communiqué publié mardi, à l'issue d'une réunion dans l'après-midi avec dix ministres, il a appelé au dialogue pour parvenir à "un consensus autour des échéances électorales".
Le Premier ministre a également annoncé « la mise en place d'un comité restreint chargé de lui faire des propositions concrètes permettant la reprise rapide du dialogue avec les partis de l'opposition ». En attendant, Mohamed Saïd Fofana a demandé solennellement aux responsables des partis politiques « d'accepter de venir à la table des discussions afin que le débat puisse se tenir dans la sérénité »
« Le gouvernement reste ouvert à toute suggestion respectueuse des lois et prenant en compte toutes les contraintes, qui permettra d'aboutir à un consensus autour des échéances électorales », a souligné le chef du gouvernement guinéen.
Selon le communiqué, Mohamed Saïd Fofana a en outre donné des consignes fermes de maintien de l'ordre dans le strict respect de la loi et a souhaité que toute la lumière soit faite sur les tirs enregistrés lors des affrontements et les circonstances qui ont occasionné un mort et des blessés.

Pour l’opposition le préalable semble non négociable. il faut annuler le chronogramme déjà établi. Peut-il y a avoir dialogue lorsque chacun table sur des préalables intransigeants ?  Pour la particularité de la situation sanitaire de ce pays – atteint par l’Ebola – l’institution sous-régionale, la CEDEAO, doit faire diligence pour faire trouver un consensus avant que cela ne vire à la guerre civile. Il serait impérieux d’entamer une médiation préventive vu le risque élévé d’une déstabilisation de l’espace CEDEAO due à l’insécurité sanitaire qu’une guerre civile en Guinée peut provoquer.